LE 15 OCTOBRE 1987 : réactions croisées avant pendant et après (1ere partie avant le 15 octobre)

L’hebdomadaire San Finna http://www.sanfinna.com, à l’occasion du 21eme anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara qui a vu l’accession au pouvoir de Blaise Compaoré  a publié trois séries de témoignages revenant sur les épisodes de l’histoire du Burkina avant pendant et après le 15 octobre 2007. Vous trouverez ci-dessous la première série de témoignages traitant de la période précédant le 15 octobre 2007, Les suite des témoignages, sur le 15 et après le 15 se trouvent respectivement aux adresses http://thomassankara.net/?p=0687 et http://thomassankara.net/?p=0693. Les animateurs du site. 


Le 15 Octobre 2008 arrive. Blaise Compaoré célèbrera le 21 ème anniversaire de son accession au pouvoir. Mais l’évènement ne se résume pas à ce seul fait. Le 15 Octobre, c’est aussi la fin du CNR, l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons, la fin de la Révolution. C’est une circonstance qui entretient au moins trois opinions : l’une la considère comme un drame ; l’autre, comme une occurrence qui a permis le rétablissement de la démocratie ; la dernière, comme une rupture souhaitée mais malheureusement intervenue dans le sang. Ce n’est donc pas un putsch banal. On considère par ailleurs que, mine de rien, plus aimé à l’extérieur qu’à l’intérieur de son pays au lendemain des faits, Thomas Sankara inspire aujourd’hui la jeunesse et accède au panthéon des leaders mondiaux tels Che Guevara, Amilcar Cabral, Steve Biko… Cela en soi suffisait à nous amener, à San Finna, à tenter la rétrospective, à essayer de mieux comprendre, sans passion, sans volonté de diabolisation ou de déification, les conditions qui ont précédé le 15 octobre, sa réalisation et ses suites.
Au moment de commencer cet exercice, nous devons en confesser les difficultés. Beaucoup de témoins et d’acteurs des faits ont refusé de s’exprimer ; d’autres ont proposé de le faire sous condition d’anonymat ; d’autres enfin s’y sont pliés à visage découvert. Nous leur disons merci et demandons à notre lectorat d’excuser les limites de notre recherche d’objectivation du passé, de considérer que ce que nous faisons, n’est que l’amorce d’un devoir mémoriel qui nous incombe à tous. Les années à venir, nous le souhaitons, délieront peut-être un peu plus les langues pour aider l’Histoire à retrouver sur cette séquence, comme sur bien d’autres, ses droits en étant dépouillée des oripeaux multiples qui l’affectent.
Nous commençons cette semaine par les conditions de l’avènement du 15 Octobre. Voici ce qu’en ont dit des Burkinabé, connus ou inconnus.

I. AVANT LE 15 OCTOBRE

Norbert M. Tiendrébéogo, Député : « C’est bien le 04 août 83 qu’il y a eu la révolution démocratique et populaire proclamée par le Président Thomas Sankara. Il y a eu beaucoup de débats pour savoir si c’était un coup d’Etat ou une révolution et sur la question, les révolutionnaires ont tranché. Qu’est-ce qui s’est passé en son temps ? Il faut dire que les populations ont trouvé une grande fierté dans leur participation à la construction de leur propre destin. Le Voltaïque et le Burkinabé ne s’étaient jamais sentis aussi responsables.On ne peut parler de ces 4 années sans mentionner toutes les veillées débats qui ont permis la prise de conscience de la population ; on ne peut pas non plus oublier toutes les grandes réalisations socio-économiques qui ont été faites de gaieté de cœur par le peuple à travers notamment les travaux d’intérêt collectif (bataille du rail, construction des cités du 04 août…). Il y a ainsi un certain nombre d’actes forts qu’on n’avait jamais vus. Je me rappelle encore que le président avait préféré un R4 à une Cadillac ; les T.P.R ont aussi constitué une grande école pour le peuple burkinabé. Vous savez, nous avions à l’époque une indépendance -j’allais dire factice- de près de 20 ans, et quatre ans c’est beaucoup, mais reconnaissez que c’est peu pour procéder à une reconversion totale des mentalités ».

 Jonas Sawadogo, enseignant de profession, militant de l’UPS : « Durant la période révolutionnaire, j’étais élève au collège de Kongoussi. C’étaient des moments de plein épanouissement pour nous jeunes, à cette époque. Il y avait d’abord le rapprochement entre militaires et civils. On était ensemble, en train de faire le sport, de construire des cités. C’était vraiment pour nous un épanouissement. Donc c’est avec regret que nous avons vu tout ce processus, tout ce travail s’arrêter. La révolution respectait quand même les droits de l’homme et ce, contrairement à ce que les gens pensent. C’est vrai il y a eu quelques exagérations. Mais le principe était simple. C’est une question de survie de la révolution. Il y avait ceux qui étaient contre la révolution et travaillaient à saper les acquis de la révolution, qui travaillaient à renverser la révolution, et la révolution ne pouvait pas les laisser faire. Sinon, de façon globale, la révolution respectait les droits de l’homme, mais pas les droits de l’homme tels que prononcés par le Sommet de la Baule ou ailleurs. On respectait notre peuple, on faisait en sorte que ce soit les besoins de notre peuple qui soient exprimés. C’est le sentiment de notre peuple qui était exprimé, mais pas les sentiments des individus ».

 Ablassé Tiendrébéogo, militant de l’UNIR/MS : « Pendant la révolution, j’étais dans le domaine commercial. A ce moment, je voyais un peuple uni, debout, travailleur. Je pense que la période révolutionnaire était la meilleure période pour le peuple burkinabé. Le 15 Octobre, je l’ai reçu dans la douleur. J’ai vu un peuple meurtri. Dès l’annonce du coup d’Etat, toute la jeunesse s’est sentie désespérée. Les commerçants qui critiquent la révolution ne l’ont pas comprise, il fallait un peu de temps pour leur inculquer le fait que la révolution ne visait que l’intérêt du peuple et non la ruine de certains d’entre eux ».

 Gédéon Sibiri Sanou, technicien agricole : « Avec le CNR, on sentait que le pouvoir appartenait au peuple. Le gouvernement était proche des plus démunis et travaillait pour leur épanouissement. On n’avait pas besoin d’être un politicien pour sentir cela. C’est vrai qu’il y a des gens qui se plaignaient de cette révolution. Mais en fait, ce n’était que la minorité qui exploitait le peuple et qui n’avait aucun souci pour son avenir. Ceux-là, c’était nécessaire de les combattre. C’est pourquoi, avant le 15 octobre on ne pouvait pas sentir qu’il y avait la crise qui a débouché sur le coup d’Etat sanglant qui a emporté le camarade Capitaine Thomas Sankara et ses compagnons. A l’époque, tout le monde a pu constater que la corruption avait disparu et que les gens ne détournaient plus les biens de l’Etat. Chacun était récompensé au mérite. Le Burkina Faso en son temps vivait selon ses moyens. Ceux qui ont vécu cette époque se souviennent toujours du fameux slogan : “Consommons ce que nous produisons et produisons ce que nous consommons”. L’égalité entre l’homme et la femme était une réalité. C’est sous la révolution qu’on a vu pour la première fois des femmes policières, et le Burkina Faso était admiré partout pour cela. On n’a pas attendu des influences extérieures pour parvenir à la promotion de la femme. En plus de ça, les théories creuses comme par exemple le développement durable que les institutions internationales nous imposent aujourd’hui, étaient déjà prises en compte à travers les trois (3) luttes : lutte contre la coupe abusive du bois, la divagation des animaux et les feux de brousse. Vraiment, vous voyez que les acquis de la révolution étaient très nombreux. Quand je pense que tout cela avait été réalisé en quatre (4) ans seulement, j’en ai les larmes aux yeux. Le peuple burkinabé marchait fièrement vers sa libération totale et c’est pour cela que l’impérialisme international et ses alliés locaux ont mis en place le complot du 15 Octobre 1987 qui a endeuillé le peuple burkinabé et même l’Afrique toute entière ».

 René Emile Kaboré, militant de base du CDP : Merci Mr Nabyouré de me tendre votre micro. Vous le faites pour la mémoire de l’histoire d’un évènement qui a précisément pris date dans l’Histoire de notre pays. Pour ce faire, la contribution des uns et des autres, surtout après un recul d’une vingtaine d’années, ne me parait pas superflue. C’est à ce titre et pour ce faire, que j’accepte de répondre à votre question.

Comme vous le savez, l’évocation du 15 octobre 1987 engendre des sentiments divers, souvent passionnés et quelquefois contradictoires, chacun ayant, acteur ou spectateur, ses arguments, ses analyses et même ses conclusions.

Pour ma part, j’ai été un spectateur physiquement éloigné en son temps du Burkina Faso. A l’observation, deux constantes demeurent :

Tout le monde déplore la manière dont les choses se sont passées et tout le monde regrette qu’il y ait eu mort d’hommes. La question qui reste et qui restera toujours posée : pouvait – il en être autrement ?

La période qui a précédé l’avènement de la révolution du 04 août 1983 a été marquée par une intense activité politique avec des ratés extraordinaires qui ont d’une certaine manière, servi de catalyseur et de détonateur. Sans rentrer dans les détails, on se rappelle la guéguerre du Président de l’Assemblée Nationale et du Premier Ministre ayant conduit au coup d’Etat institutionnel de février 1974, la grève des syndicats ayant forcé la main du Président LAMIZANA en 1975, l’avènement de la 3ème république en 1977, le coup d’état du CMRPN en 1980, ceux du CSP 1 et CSP 2 en 1982 et 1983. Tout le monde, devant cette accélération et l’apparition de jeunes militaires sur la scène politique, savait vaguement que quelque chose allait se passer. Tout le monde espérait que quelque chose de nouveau et de plus solide survienne pour mettre fin à ce cycle infernal.

C’est dans ce contexte qu’arrive le CNR. Il choisit d’entrée de jeu de mettre au placard toutes les forces politiques dites réactionnaires : le RDA des Gérard KANGO et Joseph CONOMBO, l’UNDD des Herman YAMEOGO et Macaire OUERDAOGO, le FPV des Jo WEDER et Ki ZERBO, le PRA des PALE Welté et François BASSOLE, le PRN des Karambiri FASSANO et Emmanuel BATIEBO, les Indépendants des KARGOUGOU Moussa et Frédéric GUIRMA etc… IL garde en son sein les forces dites de « gauche » ou « progressiste » à l’exclusion bien sûr du FPV de Ki ZERBO, pourtant membre de l’Internationale Socialiste : Il y a le PAI des Philippe OUEDRAOGO, Adama TOURE, l’ULC des Basile GUISSOU mais aussi d’autres groupes politiques pas connus de tous.

 Il était donc prévisible que les premiers moments de surprise et de stupeur passés, le camp que le CNR avait choisi d’en faire son ennemi, ne manquerait pas de réagir en s’appuyant bien sûr sur ses soutiens et réseaux à l’intérieur comme à l’extérieur. Voilà je pense, le premier élément qui peut fournir une explication.

Le deuxième élément, et sans doute le plus important, est venu du CNR lui-même : le rassemblement créé par les différentes formations politiques se réclamant pourtant toutes du marxisme léninisme, n’a pas pu, à l’intérieur du CNR et devant la réalité du pouvoir, conserver sa cohésion. Dès 1984, le PAI dont le programme a semblé longtemps inspirer le pouvoir, commence à prendre ses distances. On entend ça et là que des tentions naîtraient dans des débats autour des expériences soviétique, albanaise, chinoise ou cubaine…les extrémistes de chaque bord ayant poussé à la radicalisation, le fil du dialogue finit par rompre. Dès lors, le tableau politique se simplifie singulièrement : les quatre chefs historiques de la révolution, tous militaires d’élite, bien formés, bien armés et détenant la réalité du pouvoir politique et militaire, se retrouvent dans un face à face, dans une sorte de solitude des camps. La classe politique dite réactionnaire avec trois anciens chefs d’Etat et avec ses soutiens comme la chefferie traditionnelle, se retrouve au placard et ne peut plus par conséquent, servir de prétexte, encore moins d’arbitre…

La population quant à elle commençait à s’interroger devant les comportements de certains CDR que la direction politique, malgré ses efforts de formation, avait du mal à contenir.

Tout devenait donc possible, et la question n’était plus de savoir si l’affrontement aurait lieu mais bel et bien qui allait gagner….

Mao TSE TOUNG disait que l’expérience est une torche qui ne sert qu’à éclairer le chemin parcouru. Le 04 août 1983 et le 15 octobre 1987 font partie de l’expérience, du patrimoine du Burkina Faso. Si le Burkina Faso veut savoir d’où il vient avec l’espoir de savoir où il va, il n’a pas d’autre choix que d’éclairer son histoire.

Car tout compte fait et comme l’affirmait le Général De GAULLE « la Révolution est une Evolution manquée ». La seule façon donc de ne pas y entrer ou y retourner, c’est de soigner l’Evolution en introduisant chaque fois que de besoin ce qu’il faut de Réformes ».

 Evariste Konsimbo, Président du CEDEV : « Personnellement, je n’ai pas vécu la révolution directement au Burkina Faso, parce qu’avant la révolution, j’étais avec mes parents hors du Burkina. Mon père était affecté à Bruxelles où il occupait le poste de Chancelier. Le 04 août 83, lorsque la révolution a commencé, j’étais en classe de 3ème et au regard de tout ce qui se passait et se disait, c’était un sentiment de terreur. Parce que la ‘révolution’ en question ressemblait beaucoup plus à des règlements de compte, il s’agissait pour moi d’une lutte de classes. On voyait des jeunes qui venaient de rentrer des études et qui voulaient la place des autres qui avaient 15 ans, 20 ans d’expériences et de fonctions, donc une stabilité socio-économique que ce soit au niveau de l’armée ou au niveau de la fonction publique.

En plus de l’ancienneté et tout ce qu’on pouvait avoir comme sentiment de peur, “l’exécution des 7” n’a pas été de nature à rassurer. Donc, à côté des discours socialisants et des mots d’ordre enthousiasmants il y avait une violence savamment orchestrée.

Malgré tout mon père, en dépit des possibilités qu’il avait de rester en Bruxelles, a décidé de rentrer au pays. Pour ma part, j’ai préféré rester en exil notamment au Cameroun pour finir mes études. En 1987, je suis revenu au pays parce que mon père était souffrant et je me suis inscrit au Lycée Technique pour mon Bac, et le 15 octobre, pendant qu’on révisait au lycée, des crépitements d’armes nous ont fait fuir, mes copains et moi, le lycée vers 16 heures.

La nuit, lorsque la nouvelle de la fin de la révolution est tombée, c’était la joie, je me rappelle encore les manifestations des populations pour fêter la Libération.

Toutefois, l’issue sanglante de cette situation reste déplorable, et aujourd’hui on n’est certainement pas dans la situation de 83-87 où on brimait et où on savait qui le faisait. Aujourd’hui on tue mais on ne sait pas qui le fait ; il faut donc une plus grande responsabilité politique des populations pour parer aux dérives ».

 Asfrid Gafar Sangaré, Etudiant : Jusqu’à présent, quand je discute avec certains, je m’étonne qu’il y ait des gens qui trouvent des points positifs à la période de cauchemar qu’ont constitué les 4 années de révolution. Le coup d’Etat de 1987, il fallait que ça arrive. Et si Blaise Compaoré ne l’avait pas fait, d’autres l’auraient fait à sa place. Cela a été une erreur dans l’évolution de notre nation. Quand quelques militaires marxisants soutenus par des étudiants illuminés se prennent à vouloir transposer le totalitarisme qui avait cours dans les pays de l’Est sur un peuple paisible comme le Burkina, cela ne pouvait conduire qu’à la catastrophe. Thomas Sankara et ses inconditionnels ont perpétré un coup d’Etat qu’ils ont pompeusement baptisé révolution, ont commis un péché originel grave, car durant 4 ans, ils se sont bercés de l’illusion que le peuple burkinabé marchait avec eux alors que celui-ci ne faisait qu’endurer courageusement les pires horreurs et l’amateurisme politique qui les caractérisaient. C’est avec eux que les assassinats politiques ont commencé dans ce pays, que des pères et des mères de familles respectables ont été humiliés, que les investisseurs ont déserté le pays, que les relations bilatérales et multilatérales ont été réduites à leur plus simple expression. Le 15 Octobre, il était donc vraiment temps que la comédie prenne fin car les choses avaient atteint leurs limites. Comme toutes les révolutions d’ailleurs, celle-ci avait fini de dévorer ses propres enfants. C’est pourquoi on peut ne pas aimer Blaise Compaoré mais lui être reconnaissant d’une chose : il est celui qui a permis le retour à la démocratie. Il me semble que pour cela il a droit à une certaine reconnaissance ».

 El Hadj Amadou Dabo, vice Président de l’UNDD : « Je suis content qu’on me pose cette question car je vais donner une opinion qui, je crois, est largement partagée dans le pays même si malheureusement elle ne s’exprime pas souvent.

D’abord, je veux dire que le 04 août 1983, qui a mis fin au CSP du Commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, n’a jamais été une révolution populaire ; ça a été un putsch comme tous les autres. Il ne faut pas qu’on essaie de faire croire que c’est tout le peuple mécontent, les paysans, les ouvriers, les fonctionnaires, les intellectuels, qui en avaient marre et qui se sont révoltés pour dire que maintenant, ils veulent la révolution. Non, c’est pas comme ça car avant le 04 août, un homme, le Commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, avait pris l’engagement d’en finir définitivement avec les coups d’Etat et de rendre le pouvoir aux civils. Comme le peuple attendait cela, des officiers militaires et des intellectuels organisés dans des mouvements clandestins ont contrecarré le mouvement pour faire un coup d’Etat et proclamer leur révolution. Sinon personne ne rêvait avant que le pays puisse se réveiller un matin avec ça ! Pour moi, on peut même dire que ça a été une trahison de l’attente du peuple.

Quand c’est arrivé, il y a peut-être eu de bonnes intentions, de bonnes choses mais franchement, dans la pratique, c’était surtout de la vengeance, de la violence, de l’improvisation, de la course au pouvoir et à l’enrichissement. C’était bien de parler des trois luttes, de demander comme les Cubains l’ont demandé avant eux de produire ce que nous consommons et de consommer ce que nous produisons mais on oublie que cela n’a pas commencé avec la révolution. Avant, on plantait des arbres, on luttait contre les pratiques rétrogrades, on nommait des femmes au gouvernement, on se battait pour asseoir le développement sur l’agriculture, on portait le Dan Fani…sans la violence. On oublie que sous la révolution, on disait aussi qu’on prenait de l’argent à tous ceux qui en avaient un peu pour le donner aux pauvres alors que c’était souvent pour du n’importe quoi ; jusqu’aujourd’hui, on ne peut pas justifier certaines coupures sur les salaires et l’argent des loyers qu’on a bloqué. Je ne parle pas de tous les frais qu’on prenait à l’occasion des TPR, etc. Avec le temps, les choses étaient bloquées dans le pays au plan politique d’abord, parce qu’on voulait imposer la révolution à un peuple qui a toujours été habitué à la liberté et à la démocratie et ensuite, parce que les révolutionnaires se sont divisés à mort ; au plan social, on a attaqué pêle-mêle les familles, les commerçants, les chefs, les religieux. Nous avons même pu noter, en ce qui concerne les droits humains, que dans les locaux de la DST, qui était une structure révolutionnaire dirigée par un révolutionnaire bien connu (Mr Sigué Vincent), des citoyens et des citoyennes honorables étaient déshabillés et logés ensemble dans les mêmes geôles. On a instauré la délation et on a tout bloqué. Au plan économique, le pays était isolé. Or comme nous sommes un pays enclavé, cela a freiné les affaires.

Quand nous avons vu les tracts qui ont commencé à circuler, on a compris que les choses étaient vraiment gâtées au sein même des révolutionnaires. Pour tous ceux qui avaient souffert des dégagements, des assassinats, des confiscations de leurs biens, des emprisonnements, des viols de leurs femmes et enfants, de l’exil, le temps du changement était venu. Donc, quand il y a eu le 15 Octobre, la majorité des Burkinabé a applaudi au changement. Si le peuple n’est pas sorti brusquement dans la rue pour chanter et danser, c’est seulement par respect pour les morts.

Mais quelques jours après le 15, et à l’occasion des fêtes musulmanes, chrétiennes comme de fin d’année, on n’avait jamais vu autant, depuis 4 ans, les Burkinabé fraterniser. Ils recommençaient à se rendre visite, ils chantaient, ils dansaient. Ils revivaient. Je n’oublierai jamais ces moments : c’était la libération.

Ca c’est ma vérité. Bien vrai : il y avait en fin 1987 ceux qui étaient mécontents du putsch, qui voulaient toujours continuer avec Sankara et ceux qui étaient d’accord avec Blaise Compaoré pour le changement mais pour moi, ils étaient tous minoritaires à côté de la majorité silencieuse qui voulait en finir avec la révolution et revenir à l’ordre démocratique sans passer par le sang. Il y a beaucoup à dire mais je voudrais pour le moment vous féliciter de votre initiative qui nous permet de rafraîchir notre mémoire historique. Je souhaite que vous alliez plus loin pour qu’on puisse avoir un vrai débat national sur l’histoire de notre pays. On dit aujourd’hui beaucoup de choses qui sont fausses, qui font vraiment mal, qui trompent les jeunes, on oublie de dire des choses qui sont vraies. Pour nous africains, soucieux des ancêtres, ce n’est pas bon. Ce n’est pas digne ».

La suite, la semaine prochaine, en espérant que d’autres volontaires accepteront de témoigner !

Propos recueillis par Lamine Koné, Thierry Nabyouré, Swonty Koné, Issouf Sidibé

Source : www.sanfinna.com

 

1 COMMENTAIRE

  1. Le 15 OCTOBRE 1987 : Réactions croisées avant pendant et après (1ere partie avant le 15 octobre)
    Les interviews ont-ils été réalisées dans l’ordre dans lequel leur publication a été faite? J’en doute. Connaissant San Finna, le journal de Hermann Yameogo du MDP-ADF-ADF/RDA-UNDD, et connaissant le fils de Maurice pour son aversion contre la révolution, pas seulement la RDP, l’ordre de présentation des témoignages n’est pas gratuit. Il s’est arrangé pour faire parler les partisans de la RDP et de Sankara avant. Pour terminer par ceux des contre révolutionnaires militants. Comme dans un film à plusieurs épisodes, c’est le dernier qu’on retient.C’est clair, San Finna a voulu par là faire passer un message. De Norbert Tiendrebeogo et Amadou Dabo, on voit l’abime qu’il y a entre les appréciations. Mais quoi de plus normal pour des réactionnaires de trouver de l’arbitraire, de la dictature dans la révolution. Le DOP l’a dit, la révolution sera pour la bourgeoisie et ses alliés la chose la plus autoritaire qui soit.

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