Nous vous livrions ci-dessous, une interview d’Arba Diallo à l’occasion des élections présidentielles de 2010. Il revient sur son itinéraire, les rapports du PAI avec Thomas Sankara, la régime de Blaise Compaoré.

A propos de la campagne électorale on trouvera aussi :
– L’article Présidentielles 2010 : Le site thomassankara.net s’invite dans la campagne électorale où nous expliquons notre démarche à l’adresse http://thomassankara.net/?p=1007
– Le programme du candidat Hama Arba Diallo à l’adresse http://thomassankara.net/?p=1005
– Le programme du candidat Bénéwendé Sankara à l’adresse http://thomassankara.net/?p=1006
– Une interview exclusive de Bénéwendé Sankara http://thomassankara.net/?p=1010


Question : Pouvez nous raconter votre itinéraire jusqu’à l’ONU et quelles sont les conditions qui ont permis votre carrière? Quelle éducation avez-vous reçu de vos parents?

Arba Diallo : J’ai d’abord été fonctionnaire dans mon pays, après mes études en relations internationales. Puis j’ai occupé quelques postes diplomatiques à l’étranger. A partir de 1980 j’ai été nommé par le PNUD responsable de son agence d’exécution de projets d’appui au CILSS pour la lutte de cette organisation contre les effets de la sécheresse dans les pays africains. En 1983, avec l’avènement de la révolution, je suis rentré dans mon pays où j’ai été nommé Ministre des relations extérieures et de la coopération, poste que j’ai occupé pendant une année. J’ai ensuite été nommé conseiller diplomatique du Président Thomas Sankara. Après l’assassinat de ce dernier le 15 octobre 1987, je suis resté au même poste pendant environ une année encore puis j’ai été nommé Ambassadeur du Burkina Faso à Pékin, d’où j’ai été rappelé en octobre 1989. En 1990, j’ai pris ma retraite anticipée de la fonction publique burkinabé et j’ai postulé pour un poste vacant du PNUD au Niger à Niamey, d’abord, puis à New York.

De mes parents, j’ai reçu une éducation rigoureuse, d’autant plus justifiée que notre famille était nombreuse. En outre mon père était quelqu’un de sévère, un homme de principes qui voulait que ses enfants les comprennent et les respectent aussi.

2. D’où vous vient votre conscience politique qui vous a fait intégrer le PAI alors dans la clandestinité?

Vous savez, j’ai vécu directement l’époque coloniale avec ses injustices, ses brimades et j’ai partagé les aspirations de mon peuple à la liberté et à la justice. Mon père était lui-même engagé dans la lutte pour l’égalité sous la colonisation et pour l’indépendance de notre pays. Lorsque le pays a été déclaré indépendant en 1960, j’étais encore aux études mais j’ai pris très tôt conscience du caractère incomplet et insuffisant de cette indépendance, du pacte qui semblait continuer de lier nos dirigeants avec la France et de la nécessité pour les cadres du pays de s’impliquer dans la lutte pour changer cette situation. Il paraissait évident à cette époque que les révolutionnaires marxistes étaient les plus conséquents dans leur analyse de la situation de nos pays néocoloniaux et dans les solutions préconisées pour une indépendance véritable de nos jeunes États. D’où mon adhésion au PAI lorsque j’ai été sollicité par des membres de ce parti.

3. Vous rappelez-vous de votre première rencontre avec Sankara?

Les responsables du PAI avaient des liens directs avec lui comme avec Blaise Compaoré dont il était inséparable. Ils nous en rendaient régulièrement compte. Je crois que ma première rencontre avec lui a eu lieu en Février 1983 lorsqu’il a été nommé Premier Ministre sous le régime du CSP. Je travaillais déjà à cette époque pour les Nations Unies, mais j’étais basé à Ouagadougou, tout en ayant l’opportunité de voyager beaucoup. Je l’ai rencontré sur l’instruction des responsables du PAI pour discuter de la possibilité d’ouvrir nos relations diplomatiques et d’entretenir de nouveaux rapports avec des pays progressistes d’Afrique et d’Amérique latine notamment.

4. Avez-vous rejoint le pays en 82, pendant le CSP ou bien après le 4 aout 1983?

En 1982 je travaillais au Burkina, mais pour une agence des Nations Unies. La même année, j’ai été affecté à New York, à un poste plus élevé de cette agence. Un à deux mois environ avant le 4 août 1983, j’étais à Ouagadougou, en congé. J’ai ensuite rejoint mon poste à New-York. Quelques jours après le 4 août 1983, on m’a demandé de revenir d’urgence à Ouagadougou, ce que j’ai fait. Mais quand je suis arrivé à Abidjan, les frontières aériennes du Burkina étaient encore fermées. J’ai donc du attendre à Abidjan et ne suis arrivé à Ouagadougou que vers le 13 août 1983, je crois. J’ai alors été nommé Ministre des relations extérieures du régime du CNR.

5. Quelques souvenirs de réunions internationales en compagnie de Sankara?

J’ai bien sûr de nombreux souvenirs de ce type de réunions internationales. Par exemple à la première rencontre France-Afrique d’octobre 1983 en France. Notamment aussi lors de sa première participation à la session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies à New-York, et lors de sa première visite à Cuba dans la foulée de cette participation. Ou lors de ses visites au leader Kadhafi, etc. Le Président Sankara savait toujours très bien ce qu’il attendait de ces réunions ou rencontres. Il était très direct avec ses interlocuteurs. Sa vivacité d’esprit était remarquable comme son sens de l’humour et de la répartie. C’était souvent étonnant. Il avait beaucoup de charisme, savait capter l’attention de son interlocuteur et se faire des amis parmi ses collègues, même ceux dont on pouvait penser à priori qu’ils étaient très éloignés de ses positions. Ces derniers ne lui refusaient pratiquement rien.

6. Vous avez senti venir les problèmes avec Sankara et certains de ses amis à partir de quand?

Malgré son charisme et son ascendant sur la plupart de ses collaborateurs, le Président Sankara semblait aussi soumis à des pressions multiples de son entourage. Comme vous savez, il y’avait parmi ceux qui soutenaient la révolution des composantes politiques civiles, des composantes militaires avec différentes sensibilités et des forces qui se prétendaient indépendantes et proposaient aussi leurs services dans la révolution. Il y avait aussi toutes ces forces sociales qui étaient réservées vis-à-vis de la révolution et guettaient le moindre faux-pas pour l’exploiter.

Mes responsabilités dans le gouvernement me tenaient souvent éloigné de Ouagadougou, mais j’étais mis au courant de la situation dès que je mettais pied dans le pays. Donc j’étais informé à quelques jours près des difficultés qui surgissaient entre Sankara et certains de ses amis, surtout quand cela concernait le PAI. Avec ce dernier parti, il me semble que les problèmes ont commencé à surgir dès novembre 1983 et se sont confirmés à partir de février-mars 1984.

De gauche à droite, Arba Diallo, Thomas Sankara, Philippe Ouedraogo
De gauche à droite, Arba Diallo, Thomas Sankara, Philippe Ouedraogo

7. Quelle est votre analyse de la rupture en 1984? Le PAI en partage-t-il quelque responsabilité?

La rupture qui s’est réalisée en mai 1984 et a été officialisée en août 1984 est due à mon avis au fait que les relations privilégiées avaient lieu entre le PAI et le Président Sankara, mais pas entre le PAI et le groupe des militaires appuyant la révolution. Ce groupe dont la composition évoluait constamment, et les représentants du PAI ne se rencontraient que lors des réunions trop souvent improvisées du CNR, qui devaient servir à régler les problèmes qui surgissaient. Le groupe des militaires voulait, je crois, affirmer son hégémonie sur le régime et faisait pression pour faire prévaloir coûte que coûte leurs points de vue. Le PAI, fort de son expérience politique, de son côté, ne voulait pas avaliser n’importe quoi. Entre les deux, je crois que la position du Président Sankara était assez inconfortable. Et il ne pouvait que constater les situations de désaccord qui s’exprimaient. D’après ce que j’en ai appris, dans ces cas-là, il préférait souvent se ranger sur la position de ses frères d’armes.
Le PAI était l’un des deux partis civils alliés à cette époque au CNR. L’autre parti avait choisi d’être complaisant et complice en toute chose avec le groupe des militaires du CNR. Ce n’était pas le cas du PAI, qui estimait que sa responsabilité dans le succès de la révolution lui donnait l’obligation d’être plus critique dans la marche des choses. C’est peut-être là la responsabilité qu’il a dans la rupture de 1984.

8. Que vous est-il arrivé en 1984? Avez-vous été arrêté?

Après l’éviction du gouvernement 1984 des ministres PAI dont j’étais, j’ai été semble-t-il accusé de tenir des propos critiques vis-à-vis du CNR. D’autres camarades étaient accusés de la même chose. Et une nuit, les militaires sont venus m’arrêter. J’ai été conduit d’abord à la Direction nationale de la Police où je suis resté quelques jours dans une pièce du 2ème étage avant d’être descendu dans une des cellules du sous-sol. Certains autres camarades du PAI, anciens ministres du CNR comme moi, mais aussi d’autres qui n’avaient pas été ministres ont aussi connu le même sort. Bien entendu, personne ne nous disait rien sur les raisons officielles de nos arrestations. Tant que nous étions dans les locaux de la Police, nos familles étaient autorisées à nous amener à manger. Mais après quelques jours à la police, on m’a nuitamment conduit dans une cellule d’un camp militaire où je suis resté plusieurs mois. Dans ce camp, je ne savais pas qui était là avec moi, j’étais toujours enfermé à double tour, il n’y avait pratiquement pas de lumière dans la cellule. Après plusieurs mois de cette captivité, on est venu un beau jour m’en extraire une nuit, et on m’a ramené à la maison, sans explications.

9. Vous avez rejoint Sankara comme conseiller à la présidence? Comment ça s’est passé?

Quelques semaines après ma libération, j’ai été nommé conseiller à la Présidence et je me suis présenté pour y prendre mon poste. J’étais surtout en rapport avec le Directeur du département des relations extérieures de la Présidence. Néanmoins Sankara m’a reçu le jour même ou le lendemain de mon arrivée dans ses bureaux, pour me préciser les responsabilités qui étaient désormais les miennes. Aucun d’entre nous n’a évoqué ce qui s’est passé auparavant.

10. Quel était alors votre mission?

J’étais appelé à traiter les dossiers qui m’étaient affectés, à participer à certaines rencontres, ou à me rendre dans mon ancien ministère pour y rechercher des informations pour les besoins de mon travail.

11. Vous avez quelques souvenirs à nous raconter?

Dans mon rôle de conseiller à la Présidence, je me suis retrouvé avec des gens que je connaissais déjà et d’autres que je ne connaissais pas auparavant. Mais il n’y a rien de spécial à raconter : chacun faisait son boulot de son côté, rendait compte au Directeur de son département, et si le Président le souhaitait, il vous appelait pour discuter votre papier.

12. Qu’avez-vous ressenti lorsqu’il a été assassiné?

J’étais de ceux qui travaillaient au bureau cet après-midi là, consacré normalement à la séance du sport de masse. J’étais donc au bureau lorsque les coups de feu ont retenti vers 16h au Conseil de l’Entente tout proche. Nous étions un peu intrigués, sans plus. Mais peu de après, un militaire chargé de la sécurité à la Présidence est venu nous inviter à rentrer chez nous, sans autre explication. Ce que chacun s’est empressé de faire.

Dans la soirée, vers 18h, j’ai entendu le premier communiqué annonçant la naissance du Front populaire, puis le second qui confirmait que le Président en était le capitaine Blaise Compaoré. C’est seulement le lendemain matin que j’ai appris la mort du Président Sankara. Évidemment cela m’a touché, car il avait été un temps proche du PAI. Avec la prise du pouvoir, il s’était éloigné de ce parti et avait été jusqu’à laisser les médias d’État et les structures du CNR vilipender ce parti à toutes les occasions. Il s’était révélé néanmoins comme un patriote, comme quelqu’un qui voulait vraiment travailler pour changer la situation du pays et celle des plus pauvres. C’était aussi un homme d’une grande intelligence.

La dernière année, il semblait d’ailleurs vouloir revenir sur un certain nombre de méthodes de travail qui l’avaient isolé de beaucoup et avaient écarté de la révolution divers acteurs. Mais il était maintenant mort, dans des conditions tragiques et brutales, sans que l’on sache véritablement pourquoi, dans un affrontement entre militaires, sans que les civils aient pu quoi que ce soit sur les problèmes qui ont conduit à son assassinat en plein jour.

13. Vos critiques par rapport à Sankara et à la révolution sont moins dures aujourd’hui que dans la période qui a suivi le 15 octobre?

C’est humainement et politiquement normal. Humainement parce qu’il n’est plus et que le recul nous fait aussi mieux voir ce qu’il était vraiment. Le recul permet de mieux apprécier l’importance relative de que nous lui reprochions dans sa conduite des affaires. Nous avons mieux compris qu’il était sous l’influence d’hommes qui étaient loin de partager son idéal et le nôtre pour l’avenir du pays. Tous ces gens ont d’ailleurs presque tous retourné sans scrupules leur veste après sa disparition.

Politiquement parce que ses qualités de patriote, d’homme d’État intègre et opposé à la corruption, d’homme politique dévoué à son pays et préoccupé par la situation des masses sont indéniables. En outre nous pouvons aujourd’hui, comparer l’homme politique et l’homme d’État qu’il a été avec ceux qui ont pris sa succession. Un autre élément important est qu’aujourd’hui les sankaristes qui se réclament de lui et de sa politique sont nos alliés dans l’opposition au régime de Blaise Compaoré qui passe son temps à ruser avec le peuple.

14. On accuse parfois le PAI d’avoir accompagné Blaise Compaoré après l’assassinat de Thomas Sankara.

Le PAI a connu Blaise Compaoré à peu près en même temps que Sankara qui le lui a présenté,, à la fin des années 70. Le PAI a travaillé avec les deux hommes avant et pendant la période du CNR. Durant cette période, le PAI n’a jamais eu d’accrochage avec Blaise Compaoré.

Blaise Compaoré a pris le pouvoir après l’assassinat de Sankara le 15 octobre 1987. Il a contacté le PAI quelques jours après sa prise de pouvoir pour expliquer ses divergences avec Sankara et le fait que lui aussi était menacé d’élimination. C’est en 1988 que le PAI a été approché par des émissaires à lui qui l’invitaient à rejoindre le Front Populaire. Le PAI a estimé qu’il ne pouvait le faire avant d’avoir des explications sur les raisons du dénouement sanglant du 15 octobre 1987 et tant que le régime serait dominé par les militaires.

C’est après le retour à un Etat de droit en 1991, et face à la constitution d’un bloc de droite condamnant globalement la révolution que le PAI a infléchi sa position, et accepté en avril 1991, une alliance avec l’ODP/MT, le parti créé par Blaise Compaoré. Cette alliance a à peu près fonctionné, entre mi-1991 et fin 1993. Dans le cadre, le PAI a accepté de rentrer dans le gouvernement de transition de juillet 1991 à juin 1992. En février 1993, le PAI a accepté de se charger du poste de Président du Conseil économique et social. Cependant, à partir d’octobre 1994, cette alliance n’avait plus de réelle signification, l’ODP/MT n’y étant manifestement plus intéressé et le PAI constatant qu’il ne pouvait apporter aucune inflexion à la politique du régime. C’est donc normalement que la séparation est intervenue en 1996 et le PAI depuis s’est positionné dans l’opposition.

C’est l’exacte réalité des rapports entre le PAI et le régime de Blaise Compaoré.

15. Votre parti a participé à la rédaction de la constitution de 1991. Vous étiez contre la convocation d’une conférence nationale?

C’était en 1990 et non en 1991. Lorsque la Commission constitutionnelle a été mise en place en Avril 1990, personne ne parlait encore de conférence nationale. La commission a donc élaboré un projet de constitution et les représentants du PAI y ont joué un rôle actif afin que cette constitution soit le plus démocratique. Le projet de constitution réglait aussi les problèmes de la période transitoire. Toutes les forces politiques et sociales qui avaient pris part à la commission se félicitaient du résultat auquel on était parvenu.

Mais voilà qu’après le référendum constitutionnel qui adoptait la constitution en juin 1991 et pour lequel tous les partis politiques avaient appelé à voter « Oui », certains partis se sont mis à exiger que l’on mette de côté la constitution fraichement adoptée et que l’on tienne une conférence nationale. C’était se renier. Le PAI a préféré rester logique dans son soutien à la Constitution et dans l’acceptation de ses dispositions transitoires. Nous continuons à croire que c’était logique.

Comme vous savez, en 1998, le pouvoir s’est appuyé sur l’un des responsables du PAI pour tenter de changer la position du PAI dans l’opposition et à défaut pour casser ce parti. Cette manœuvre a placé depuis 2000 le PAI dans une situation de non légalité qu’il conteste depuis cette date devant la justice qui lui donne raison, mais le pouvoir refuse d’en tenir compte.

16. Comment caractérisez-vous le pouvoir et le régime actuel?

Le régime actuel a progressivement évolué jusqu’à être aujourd’hui le pouvoir d’un seul homme, s’appuyant sur une administration entièrement à son service, sur des hommes qui lui sont entièrement soumis, et gouvernant avec essentiellement avec les hommes et les femmes de son clan familial. Les élections qui se sont déroulées depuis 1991 ont montré que le régime et ses hommes ne reculaient devant aucune fraude ou manipulation pour les gagner. Leur préoccupation semble essentiellement être de garder le pouvoir le plus longtemps possible, et tous les moyens pour cela leur paraissent bons. Le peuple et ses préoccupations quotidiennes sont oubliés dans une telle vision. Son interventionnisme au sein des partis d’opposition, en recourant à la corruption notamment est une de ses méthodes, et le PAI en est affecté comme expliqué plus haut, depuis 2000. Pour toutes ces raisons, et malgré sa situation actuelle de non légalité, le PAI reste un parti actif de l’opposition.

Le 31 mai 2014, lors d'un meeting de l'opposition, Arba Diallo attribue un carton rouge à Blaise Compaoré (photo Burkina24.com)
Le 31 mai 2014, lors d’un meeting de l’opposition, Arba Diallo attribue un carton rouge à Blaise Compaoré (photo Burkina24.com)

17. Que pensez-vous des activités de médiateurs de Blaise Compaoré?

La plupart des chefs d’État de la sous-région sont dans des difficultés telles dans leur pays qu’il est l’un des rares à être disponible pour de telles médiations. Il a pu connaître dans le passé, sous le CNR notamment de nombreux hommes politiques de pays voisins qui se considèrent comme redevables au Burkina, et cela lui est profitable. C’est pourquoi, grâce à la bonne volonté des protagonistes, il peut atteindre certains succès apparents. On peut toutefois remarquer que ses médiations ménagent toujours les dirigeants qui sont au pouvoir.

18. Certains demandent une amnistie pour Blaise Compaoré pour qu’il accepte de laisser le pouvoir. Qu’en dites-vous? Pensez-vous qu’il devra être jugé?

Pourquoi pas, si cela peut débloquer la situation politique au Burkina ? S’il bénéficie d’une amnistie, on ne peut en même temps le juger. Mais la question est aussi de savoir si cette transaction politique s’appliquerait ou non à ses hommes de main.

19. Pensez-vous qu’il devrait être jugé devant des juridictions internationales aux côté de Charles Taylor pour son engagement à ses côtés?

Il faudrait d’abord que l’on ait la preuve ou des soupçons suffisamment étayés sur ses complicités avec Charles Taylor dans les crimes qu’on reproche à ce dernier.

20. A l’ONU vous avez occupé quel poste?

J’ai plutôt travaillé dans des agences qui s’occupaient d’environnement. Mon dernier poste avec rang de Secrétaire général adjoint était celui de Secrétaire exécutif de la Convention de lutte contre la désertification dans le monde.

21. Quel bilan en tirez-vous, personnel mais aussi comme bilan critique de l’ONU?

Au niveau de responsabilités qui ont été les miennes dans les dernières années dans cette organisation, je tire plusieurs leçons. D’abord, il faut être capable de convaincre les puissances qui ont le moyen de fournir des contributions, qu’elles doivent les apporter, et dans les délais souhaitables. Ce n’est pas évident. Il faut aussi être capable d’aider les pays bénéficiaires des programmes à se doter de politiques et de structures appropriées pour les mettre en œuvre . Et ce n’est pas toujours évident.

22. Avez-vous suivi l’affaire Sankara à l’ONU, qu’en dites-vous?

Non, car c’était assez loin de mes domaines de compétences.

23. Pensez-vous qu’il devrait y avoir un procès sur l’assassinat de Sankara et de ses compagnons?

Bien sûr. Il faut en effet que l’on sache la vérité sur ce qui s’est passé. Mais cela parait aujourd’hui difficile de croire que c’est pour bientôt.

24. Le monde a été redistribué depuis la révolution. Il n’y a plus de bloc de l’est mais on assiste à la naissance d’un bloc révolutionnaire en Amérique Latine? Quelle réflexion vous en tirez, vous qui avez longtemps été acteur de la diplomatie internationale?

Je ne crois pas qu’on puisse parler d’un bloc révolutionnaire en Amérique latine. Il s’agit plutôt d’un ensemble de pays progressistes dont la cohésion n’est pas encore très affirmée, et qui restent pour certains sous la surveillance étroite des États-Unis qui tentent de les déstabiliser en utilisant des forces sociales internes. Cet ensemble pourrait décider de se donner pour rôle d’agir ensemble afin obtenir plus d’autonomie pour le sous-continent latino-américain.

25. Quel bilan tirez-vous de votre activité de maire à Dori?

Le travail de maire d’une telle commune est difficile. Il y a les hommes et les clans politiques qui font tout pour vous renverser et à défaut pour vous empêcher de travailler. Il y a les mauvaises habitudes d’indifférence d’une bonne partie de la population qui ne se sent pas concernée par vos efforts. Il y a les habitudes d’impunité d’un certain nombre de personnalités qui agissent comme si elles ne relevaient ni de la commune ni de la loi. Il y a les ingérences de l’autorité gouvernementale qui appuie vos adversaires politiques dans leurs manœuvres déstabilisatrices en oubliant que c’est pour la collectivité et non pour votre parti que vous travaillez. Il y a aussi la faiblesse des ressources internes et le corset étroit des règles de gestion que l’État central impose aux communes. Mais Dieu merci, on arrive à force de persévérance à avancer, à faire des réalisations, et les mentalités changent peu à peu parce que les populations voient la différence.

26. Le mot révolution ne figure pas dans votre programme? Pensez-vous qu’on peut changer le Burkina sans une révolution? Votre programme résulte-t-il d’un bilan critique de la révolution?

D’abord n’oubliez pas que je suis le candidat d’une coalition de huit partis dont vous vous doutez bien qu’ils ne sont pas tous révolutionnaires. Il faut dire aussi que c’est dans le cadre de la constitution actuelle que je me présente. Dès lors il est normal que la révolution ne figure pas dans le programme que je propose.

27. De quoi faut-il s’inspirer de ce qui s’est passé pendant la révolution? Quelles erreurs ne faut-il pas reproduire?

La révolution de 1983-87 a montré que si l’on a la volonté de changer les choses, et de s’appuyer pour cela sur une équipe de gens convaincus et déterminés, on peut aboutir. Il faut s’en inspirer. La révolution a commis l’erreur de vouloir parfois faire le bonheur des hommes sans leur consentement, même si dans le même temps elle a brandi le slogan « Pas un pas sans le peuple ». Il faut prendre le temps de convaincre et d’obtenir l’adhésion du plus grand nombre : ce n’est jamais du temps perdu. Beaucoup de gens sont des patriotes et veulent apporter leur contribution à la construction du pays. Il convient de ne pas les laisser pour compte, mais plutôt d’obtenir qu’ils participent, évoluent et avancent avec vous. Le Président a été tué par des gens qui étaient en principe proches de lui, parce que les contradictions entre eux sont devenues subjectivement importantes : l’unité dans son camp est toujours fondamentale.

28. Beaucoup de ce qui a été obtenu pendant la révolution a pu se faire surtout grâce à la mobilisation et la conscientisation de la population. Or votre programme apparaît comme un train de promesses comme tout programme classique même si ça et là apparaît la nécessité de la mobilisation de la population.

Relisez l’introduction et la conclusion, de même que les propositions des différents axes de mon programme. Vous verrez qu’il est constamment rappelé qu’il faut organiser, concerter, convaincre les acteurs du développement. La participation est une obligation transversale de tout le programme.

29. Votre programme est bien détaillé et contient de nombreuses statistiques. Mais il parait extrêmement ambitieux et on se demande en le lisant comment le financer.

L’État est perçu dans le programme comme un acteur majeur, mais pas exclusif, des transformations à opérer. L’axe relatif au budget de l’État souligne que ses ressources seront élargies notamment par une nouvelle fiscalité et une assiette élargie, par un meilleur recouvrement car beaucoup d’imposables échappent à la fiscalité, par une réduction des dépenses de l’État qui ne participent pas véritablement au développement économique et social. Ces mesures vont permettre, toutes choses égales par ailleurs de disposer d’une capacité supplémentaire d’investissements pour la réalisation du programme, équivalente à près de 30% du montant du budget.

En outre comme vous le lisez, il sera fait appel à la coopération régionale pour divers projets économiques, de formation et de recherche. Et bien sûr, en la traitant de manière plus critique qu’actuellement, à l’aide internationale. Enfin la politique de croissance que traduit le programme va générer des ressources nouvelles et chaque fois que cela sera possible, la participation des bénéficiaires directs des programmes sera sollicitée.

30. Vous pensez possible de gagner les élections et que Blaise Compaoré accepte le résultat des urnes?

Pour dire vrai, il n’a jamais accepté le résultat des urnes. Son parti majoritaire et l’administration à son service ont toujours eu recours à la fraude. Mais si vous voulez dire que Blaise Compaoré peut recourir à un coup d’État pour se maintenir, il faut bien reconnaître que ce ne sera pas son premier.

31. Un dernier mot?

Merci pour vos questions. J’ai tâché de vous répondre le plus sincèrement, malgré leur diversité. J’espère que cela intéressera ceux qui, avec vous et avec moi aussi, demandent justice pour Thomas Sankara.

Propos recueillis par courrier électronique pour le site thomassankara.net

A propos de la campagne électorale on trouvera aussi :
– L’article Présidentielles 2010 : Le site thomassankara.net s’invite dans la campagne électorale où nous expliquons notre démarche à l’adresse http://thomassankara.net/?p=1007
– Le programme du candidat Hama Arba Diallo à l’adresse http://thomassankara.net/?p=1005
– Le programme du candidat Bénéwendé Sankara à l’adresse http://thomassankara.net/?p=1006
Une interview exclusive de Bénéwendé Sankara http://thomassankara.net/?p=1010

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