Le film des évènements du 4 août 1983, d’après le médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo

 

Cet article a été publié le 6 aout 2007 dans le journal Bendré. Nous l’avons extrait de l’adresse http://www.journalbendre.net/spip.php?article1824. Ce témoignage est extrait du livre collectif “Burkina Faso cent ans d’histoire, 1895-1995” publié en deux volumes chez Karthala en 2003, livre collectif sous la direction de Yénouyaba-Georges Madiéga et Oumarou Nao. 

 

Voici, pour mémoire, le film des évènements tels que je les ai vécus. Je me garderai d’évoquer ce qui s’est passé loin de moi et hors de mon contrôle direct et de mon jugement. Ce jeudi matin, 4 août, contrairement à mes habitudes et compte tenu de la gravité de la situation, je me suis retiré dans mes bureaux laissant le soin au ministre de l’Intérieur de présider le traditionnel Conseil des ministres que j’avais introduit. Mais ma séance ordinaire de travail avec le colonel Tamini n’aura pas lieu. Il me fera dire qu’il était malade.

A 13H, inquiet des graves informations parvenues de la gendarmerie, je me rends chez le colonel Tamini visiblement nerveux mais ne se portant pas plus mal que moi ce jour-là. Ses réponses évasives à mes questions précises, le peu de cas qu’il faisait des informations de la gendarmerie qu’il détenait d’ailleurs, son insistance pour servir d’intermédiaire en vue de négociations urgentes à engager avec le capitaine Sankara avant la fin de la journée et certaines incohérences de ses propos m’ont laissé perplexe. Nous nous donnons rendez-vous à 18H.

A 17 H, le colonel Tamini, rétabli, vient m’informer du souhait pressant de Thomas de me rencontrer dans les locaux de l’état-major pour discuter de la situation. J’accepte le principe de la rencontre mais décide qu’elle se déroulera à ma résidence. Rendez-vous fut pris pour 19 H avec l’espoir de décrisper la situation.

La rencontre a lieu, comme prévu, à ma résidence vers 19 H. Etaient présents :  le colonel, Tamini, le capitaine Sankara, le capitaine Henri Zongo, deux officiers encore en service et moi-même.

Prenant le premier la parole, le colonel Tamini nous invite, Thomas et moi, à trouver une solution politique à la situation de confusion que vivait le pays. Thomas me reprochera ma participation passive à son arrestation et à sa déportation avant de se mettre à la disposition du groupe pour explorer avec moi les voies et moyens susceptibles de ménager une issue pacifique au conflit dans l’intérêt du pays. Henri me reprochera une imaginaire alliance avec une ethnie minoritaire pour réprimer une ethnie majoritaire avant d’estimer insuffisantes les concessions que je leur ai faites en tant que militaires humiliés. Les deux autres officiers ne prendront pas part aux échanges estimant que la situation a été créée par un conflit interne au Conseil de salut auquel ils étaient étrangers.

Je prends le dernier la parole :

– Pour dénoncer toute dimension ou toute interprétation tribale du conflit et stigmatiser l’utilisation ou l’exploitation qu’on serait tenté d’en faire ;

– Pour renouveler mon engagement au dialogue dut-il coûter mon fauteuil et réaffirmer ma disponibilité à toute résolution pacifique du conflit ;

– Pour lancer un appel au patriotisme de tous afin de ramener le conflit dans ses dimensions strictement nationales ;

– Enfin, pour regretter les débordements et agissements qui ont pu porter atteinte à la dignité, à l’honneur ou à l’intégrité physique ou morale des protagonistes du conflit.

Je terminerai en invitant les uns et les autres à unir leurs forces pour construire plutôt que de s’acharner à détruire. En guise de compromis, et surtout pour donner la preuve que je ne m’accrochais pas au pouvoir, je proposerai de me démettre de mes fonctions afin de faciliter la constitution d’un gouvernement de transition qui ferait l’unanimité.

A la satisfaction de tous, Thomas accepta de discuter de ma décision avec Blaise qui, dit-il, demeure le maillon incontournable de la situation. Pour ce faire, Thomas avait besoin de 5 ou 6 H. Une ultime rencontre fut, alors, décidée pour minuit ou 1H du matin. C’est sur cette base que nous nous sommes séparés. Le colonel Tamini, le dernier à me quitter, me posera la question de savoir si j’avais encore confiance en mon armée. Je lui répondrai que la confiance que j’avais en cette armée était comparable à la confiance que je plaçais en lui-même. Il était environ 20H30. Une demi heure plus tard, vers 21 H, éclataient les premiers coups de feu. Ma garde personnelle subira les foudres des hommes de Sigué. En effet, c’est autour de ma résidence qu’il y aura le plus des morts. Submergée, elle finira par se rendre et c’est un Sigué tout fier qui viendra m’arrêter. Le capitaine Blaise Compaoré se présentera, vers 22 H, et nous échangeons quelques mots. Puis viendra Thomas vers 23 H. Manifestement, il avait des choses à nous dire ! En substance, Thomas me fera comprendre :

– Que le contentieux existant entre lui et moi est et demeure politique ;

– Qu’il a, enfin, proclamé la Révolution ;

– Qu’il garantissait ma sécurité ainsi que celle de ma famille ;

 Et qu’il était prêt à organiser mon évacuation et celle de ma famille afin de nous soustraire de la vindicte populaire.

Tout en le remerciant de ses bonnes dispositions et en l’encourageant pour son option, je déclinerai son offre d’exil estimant n’avoir rien commis de répréhensible le justifiant. Je lui demanderai de garantir effectivement la sécurité de ma famille nullement impliquée dans nos querelles politiques. Sur ce, nous nous quitterons non sans nous souhaiter, mutuellement, bonne chance !

Vers 2 H du matin, Sigué reviendra pour, cette fois, me transférer au palais de la présidence où je passerai le reste de la nuit. Le matin, vers 7 H30, Thomas viendra me voir pour la dernière fois. Il me fera l’économie de ce qui s’est passé dans la nuit et promettra de me rendre la liberté dès que les conditions le lui permettront. A 11 H, je serai transféré au palais du Conseil de l’entente. A 18 H, Je serai embarqué pour Pô que nous atteindrons à 20 H 30.

 

Conclusion

Telle est ma contribution à la compréhension des évènements qui ont bouleversé la Haute-Volta du 7 novembre 1983. D’autres témoignages viendront, sûrement, la compléter ou l’enrichir, je le souhaite, pour l’histoire non pour la polémique politicienne. J’ai survolé certains aspects de ces évènements par manque de temps. J’ai volontairement occulté certains faits et certains détails pour des raisons évidentes de réserve. C’est cela, aussi, l’Histoire. Je vous remercie !

 

1 COMMENTAIRE

  1. Le film des évènements du 4 août 1983, d’après le médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo
    Selon certaines sources, le 4 août 1983, des éléments de Pô, sur ordre de leur chef, auraient reçu mission de liquider le président Jean Baptiste Ouedraogo et bien d’autres dignitaires des pouvoirs réactionnaires qui se sont succédé à la tête de notre pays. Car selon leur compréhension du déclenchement de la révolution, “il faut que le sang coule”. Informé, Thomas Sankara se serais employé à déjouer ce coup qui aurait eu pour effet de ternir l’image de la révolution naissante. Ce fut donc la course contre la montre entre les éléments assassins et les autres pour arriver les premiers au domicile du président JBO. C’est là qu’effectivement, Sigué et ses éléments seraient arrivés les premiers et auraient sécurisé les alentours du domicile du président JBO après avoir neutralisé sa garde. Thomas Sankara lui même s’y serais présenté aurait assuré personnellement le transfert de JBO au palais de Koulouba. C’est couché sur la banquette arrière du véhicule, sur instruction de Thomas Sankara, que JBO aurait été évacué de ses lieux.
    Le témoignage de JBO vient néanmoins, à mon sens, confirmer un fait. Thomas Sankara n’était forcément favorable à une action militaire qui ferait des pertes en vie humaines. La violence pour la violence non! Si on pouvait sans violence militaire transférer le pouvoir? La RDP aurait put être déclenchée à partir de la démission de JBO qui aurait été suivie d’une descente des populations dans les rues pour porter Sankara au pouvoir. Peut-être là, nos amis partisans de la RNDP, n’auraient eu l’occasion de parler de coup d’Etat. Peut-être que ce scénario aurait permis également de redistribuer les cartes; les dossards, les numéros n’auraient pas été les mêmes que ceux que nous avons connu. Qui sait?!

LAISSER UN COMMENTAIRE

Saisissez votre commentaire svp!
SVP saisissez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.