L’article ci-dessous a été publié dans e numéro 517 de l’Indépendant (voir http://www.independant.bf/) du 5 au 12 août 2003 à l’occasion du 20 ème anniversaire de la Révolution.
AOÛT 1983 – AOÛT 2003 . Que reste-t-il de la RDP (République Démocratique et populaire)?
Question à plusieurs entrées et sorties, c’est-à-dire qu’elle peut faire l’objet de nombreuses réponses. Aussi, convient-il par exemple, de la préciser de la manière suivante: "Vingt ans après, le début de la Révolution démocratique et populaire, quel (s) souvenir (s) les Burkinabè en gardent-ils sur les plans politique, idéologique, social, moral et sur le plan de la justice notamment ? "Tenter de proposer un bilan de la Révolution d’Août 1983 est un sujet qui divise les citoyens de ce pays et ceux d’ailleurs.
Selon qu’on a vécu de près ou de loin ces quatre années de remise en cause de l’ordre ancien ; selon qu’on a été victime de mesures, dégagements ou de suspensions ; selon qu’on a comparu devant un Tribunal Populaire de la Révolution (TPR) ; ou encore selon qu’on a été un fervent et "un militant convaincu" de la RDP, les réponses, les appréciations divergent. Il n’y a pas l’unanimité dans les appréciations du régime du Conseil national de la Révolution (CNR) dirigé par le Capitaine Thomas Sankara jusqu’au jeudi 15 Octobre 1987.
Il n’y a pas d’unanimité dans les appréciations du régime du Front populaire, sous le direction du Capitaine Blaise Compaoré qui a remplacé le CNR, d’Octobre 1987 à l’adoption de la Constitution du 2 Juin 1991, consacrant le retour du Burkina à une vie constitutionnelle normale. Il n’en aura pas non plus pour le régime de la IV è République, avec toujours Blaise Compaoré à sa tête. A chacun son soleil qui se lève, qui brille au zénith avant d’entamer sa descente crépusculaire. Ne dit-on dans nos campagnes que chacun a son "roi" ? "La morale agonise aujourd’hui au Burkina" avait lancé, le Président de l’Assemblée des députés du peuple (ADP), Arsène Bognessan Yé, outré par ce qu’il voyait et ce qu’il savait de la société burkinabè, une société dont le jeu favori était devenu la corruption, les détournements des deniers publics ; les passe-droits, l’injustice sous ses formes les plus dures. Mal lui en prit de poser ce diagnostic, tout docteur qu’il est. Mais ce constat sans complaisance, cette célèbre phrase sera répétée par plusieurs générations d’hommes de ce pays.
Que reste-t-il de la RDP, seize ans après sa brutale fin, ou vingt ans après son triomphe radieux ?
Certes, il reste Blaise Compaoré, l’unique survivant des quatre chefs historiques de la Révolution, mais sans la Révolution. Sur le plan politique, il y a eu d’abord le changement de nom du pays : la Haute-Volta est devenue le Burkina Faso, c’est-à-dire la Patrie des hommes intègres. Le sont-ils encore aujourd’hui ? Le drapeau a été changé et le Dytanié a remplacé la " Fière Volta". Bien que le port du faso dan fani ne soit plus une obligation protocolaire, de nombreux Burkinabè sont persuadés qu’ils ne " sont pas nus" quand ils s’habillent avec les cotonnades tissées chez nous. Le régime du CNR, ou si l’on veut la RDP, était parvenu à forger une personnalité : la personnalité burkinabè, faite de modestie, d’humilité, de droiture, d’intégrité, mais aussi de compétence. Cette personnalité était respectée de l’extérieur, comme à l’intérieur. On était fier d’être Burkinabè. De nombreux citoyens de ce pays ont pu le constater au cours de leurs missions à l’extérieur du pays. Il faut se promener dans Ouagadougou et dans d’autres villes du Burkina, pour voir que certaines rues, routes et établissements publics portent des noms tels Avenue Kwamé N’Krumah, Rue de la Palestine, lycées Marien N’Gouabi et Samora Machel. Et tout cela est loin d’être exhaustif. Il a été souvent question de construire un mausolée à la mémoire du Président Sankara.
Sur le plan idéologique, des proches collaborateurs du Président du CNR, Thomas Sankara, et des admirateurs ont décidé de faire revivre son idéal politique et idéologique. C’est ainsi qu’on assiste à la création de plusieurs partis d’obédience sankariste qui gagneraient à fédérer leurs forces pour acquérir une envergure nationale, voire internationale. Bien que les partis sankaristes aient pu envoyer des représentants à l’Assemblée Nationale du Burkina, on se demande vraiment qui incarne aujourd’hui l’idéal de Thomas Sankara, tant les dissensions internes dans ces partis sont nombreuses. Parfois pour des peccadilles ! Il est plus qu’impérieux que les Sankaristes, toutes tendances confondues, fassent l’effort de surmonter ce qui les oppose pour créer un parti sankariste unifié et fort.
Une parcelle de terrain loti pour chaque ménage
C’est incontestablement sur le plan social que l’œuvre du Conseil national de la Révolution est visible. Le Président du CNR ne disait-il pas que " Tout ce qui peut être conçu par l’esprit de l’homme est réalisable par l’homme" ? Sous son impulsion, un programme de lotissements à grande échelle a été entrepris dans la capitale, et dans d’autres centres urbains du pays. La philosophie qui sous-tendait ce programme était : "offrir une parcelle lotie à chaque ménage pour qu’il se construise une maison d’habitation". Aujourd’hui, cette idée est ignominieusement pervertie : les parcelles offrent l’occasion de s’enrichir vite et bien. Les détournements de parcelles, les trafics sur les parcelles, avant et après chaque nouveau lotissement ne se comptent plus. Il convient de citer ou de rappeler que le déguerpissement des anciens occupants du quartier Bilbambili, le relogement de plusieurs d’entre eux dans un nouveau quartier viabilisé appelé Cité de Sig-noghin, et la construction de la Cité AN III, et bien d’autres cités tant dans la capitale, à Bobo-Dioulasso et ailleurs sont à verser dans la recherche de solutions aux préoccupations des masses burkinabè.
La vulgarisation de la construction par la terre stabilisée date de cette époque ; ou en tout cas, la méthode a été plus employée à cette période plus qu’à aucune autre. Le déguerpissement des commerçants du Marché central de Ouagadougou à partir du 3 octobre 1985, et le lancement des travaux pour sa reconstruction sont d’autres défis relevés par le CNR. Ceci n’a pas été une chose facile. Il a fallu conjuguer diplomatie et menaces pour vaincre la résistance des commerçants et des milieux traditionnels, d’habitude hostiles à toutes les innovations qui les déposséderaient de leurs anciens privilèges. Et le grand marché de la capitale en était un. Plusieurs régimes, notamment celui de la III ème République, avaient échoué dans leurs tentatives de faire bouger les commerçants de Rod-Wooko. Par clientélisme ! Le même clientélisme a été à l’origine de l’incendie qui a ravagé une partie de ce marché le 27 mai 2003.
Thomas Sankara a posé la première pierre pour la construction de Rod-Wooko, mais il ne l’inaugurera pas en janvier 1988. Dans la même foulée volontariste, la Bataille du rail sera décidée, comme pour confirmer cette phrase de M. Mamadou Sanfo, alors ministre du Plan et de la Coopération, prononcée quelques années plus tôt à la Conférence des Nations unies sur les pays les moins avancés à Paris : "Avec ou sans vous, la Haute-Volta construira son chemin de fer jusqu’à Tambao". C’était en novembre 1981 devant les représentants de bailleurs de fonds occidentaux. La Révolution d’Août était-elle en passe de vaincre la fatalité : " On ne peut…" ?
La pédagogie de TPR
Les Tribunaux populaires de la Révolution (TPR) furent la grande invention de la RDP. Ils avaient pour finalité de faire rendre gorge les "bourgeois compradors" et toutes les sangsues du Peuple. Tout y passa, du pilleur du trésor public à l’indélicat percepteur qui a soutiré quelques billets de banque de son coffre pour honorer une ordonnance médicale d’un membre de sa famille. Si l’on peut dire que les TPR avaient avant tout un caractère pédagogique, il est indéniable que l’arbitraire a souvent pris le pas sur cette considération. Les suspensions, les dégagements et les TPR ont renvoyé bien de bonzes des anciens régimes à la lampe tempête et à l’eau du robinet, voire du puits. En fait, c’est aujourd’hui qu’il faut au Burkina Faso des TPR. Mais à quoi et à qui seront-ils utiles, puisque tout le monde est muni de passe-droits ?
Sur le plan de l’art et de la culture, on peut voir l’empreinte de la RDP à chaque coin de rue de nos cités. En face du lycée Marien N’Gouabi se dresse le monument du Discours d’Orientation politique du 2 octobre 1983 ; devant le Conseil burkinabè des chargeurs, se tient fièrement la statue symbolisant la Bataille du rail, au Zaka et en face de l’Onatel, on voit d’autres réalisations traduisant des idéaux des révolutionnaires du 4 Août 1983 comme la famille, le respect dû aux personnes du troisième âge etc. Intellectuellement, le citoyen était appelé à "Libérer son génie créateur". La Semaine Nationale de la Culture (SNC), l’Institut des Peuples Noirs (IPN), le Salon International de l’Artisanat de Ouagadougou (SIAO) dont la première édition a eu lieu à la Maison du Peuple sont des actes qui attestent, si besoin en est encore de la hauteur de vue qu’ont eue le CNR et son président de la Culture, considérée comme un puissant levier dans le processus d’émancipation des Peuples burkinabè et africain.
Tout n’a pas été parfait sous la RDP
Mais, c’est une contre vérité historique de dire que tout a été parfait sous le RDP. Il serait intellectuellement malhonnête de soutenir que tout fut juste et correct sous la RDP. Le CNR a dérapé sur de nombreux points, comme sous tous les régimes d’exception. Ses Comités de défense de la Révolution ont fait parfois plus de mal que de bien. La RDP est comptable de la vie de plusieurs citoyens qui ont été tués, sans avoir bénéficié de la moindre assistance judiciaire. La forêt de poings qui se levaient spontanément a projeté son ombre pale sur plusieurs de ces actes. Il y avait beaucoup de révolutionnaires au Burkina Faso ; mais ils étaient très peu, les révolutionnaires convaincus. Des erreurs, de graves erreurs portant atteintes aux droits de la personne humaine, telle la suppression du droit de grève, ont été commises de façon flagrante et sur une grande échelle, aliénant de larges pans de la société quant aux objectifs poursuivis par la Révolution. D’autres actes posés par des pseudo révolutionnaires ont carrément dénaturé et vidé le processus en cours de tout son contenu. Au nombre de ces actes, il faut citer la quasi chasse faite à une catégorie d’intellectuels, sous de fausses et calomnieuses accusations qui ont conduit à leur dégagement de la Fonction publique ou à leur suspension.
A cause des dégagements et des suspensions, de multiples foyers ont été disloqués à jamais, des pères de famille sont morts ou se sont simplement suicidés pour échapper au déshonneur, chose qu’on achète aujourd’hui pour une poignée d’arachides à Sankariaré. Des hommes ont été gratuitement et bestialement méchants avec leurs semblables, parce qu’à un moment de leur vie, ils se sont trouvés du bon côté de la Révolution. Des caporaux donnaient des ordres aux sergents et des plantons faisaient trembler des ingénieurs et des professeurs qui ont refusé l’alignement mécanique. De nombreux intellectuels ont été contraints à l’exil, sans savoir le crime qu’ils ont commis. Ceux qui conduisaient la Révolution étaient loin de s’apercevoir de ces agissements qui ont dégoûté le Peuple de la Révolution. Par exemple, les diatribes contre la chefferie traditionnelle ont eu pour effet de braquer cette catégorie de citoyens contre le régime, et contre ceux qui l’incarnaient. Les actes de surenchère rivalisaient avec les comportements antirévolutionnaires, si bien que dès le début de l’année 1987, le Président du CNR se sentait de plus en plus seul.
Talato Sîîd Saya