A trente-deux ans, le capitaine Blaise Compaoré, commandant de la garnison de Pô (le Centre national d’entrainement-commando – C.N.E.C.- l’élite de l’armée voltaïque), est aujourd’hui la pièce maitresse du puzzle voltaïque. Cet ami d’enfance et d’armes de Thomas Sankara était l’une des cibles principales du coup de « Cube Maggi ». Thomas Sankara et Jean-Baptiste Lingani, eux, avaient été arrêtés pendant qu’Henri Zongo était encerclé au camp Guillaume-Ouédraogo par les blindés de l’un des exécutants du putsch du 17 mal, le capitaine Jean-Claude Kamboulé. Blaise Compaoré, lui, a échappé au coup de filet. La chance a voulu qu’il soit absent de son domicile au moment de la rafle. Mais, il aurait pu tomber dans les mailles du filet sans l’audace de son chauffeur et aide de camp, Amidou Maiga, qui, arrêté, a réussi à forcer le portail du camp Guillaume et prendre à bord de sa voiture le capitaine Compaoré, qui venait d’arriver chez lui en provenance de Bobo-Dioulasso. Revenu à P8, Il a repris son commandement et, depuis lors, tient tête aux putschistes de Ouaga et organise la résistance contre la confiscation des acquis du 7 novembre 1982. et ses commandos de Pô auxquels Sankara, doivent aujourd’hui d’être encore en vie – sont l’élément déterminant dans la engagée par la gauche voltaïque pour ramener « Cube Maggi » et ses amis à la raison. Sa volonté d’éviter à*9/ tout prix de plonger le pays dans la guerre civile ne cède en rien à celle de barrer la route aux fossoyeurs du C.S.P.

Nous l’avons rencontré à Po, au milieu de ses hommes et de ses amis. En exclusivité pour « Afrique-Asie », voici ce qu’il pense de la situation actuelle en Haute-Volta.

Une interview recueillie par Mohamed Maïga et Michel Ilboudo


 

Vous voici donc devenu un rebelle ?

B.C.-Vous vous trompez complètement. Je suis toujours un officier de l’armée voltaïque. Ma solde continue de m’être régulièrement versée et je n’ai reçu aucune notification du la Défense nationale me relevant de mon

  • On vous présente pourtant à l’étranger comme un soldat perdu.

B.C- Cela fait partie de la campagne de propagande orchestrée par les ennemis du peuple voltaïque pour discréditer l’ensemble des officiers qui ont refusé et qui refusent toujours de cautionner le coup d’Etat du 17 Mai. Mes camarades et moi avons pris une attitude politique responsable face à ma tentative de récupération du mouvement du 7 Novembre par le colonel Somé Yorian et sa bande. Le pays ne peut être gouverné par une succession injustifiée de coup d’État.

  • Les ponts sont-ils définitivement coupés avec le nouveau pouvoir ?

B.C. Bien sûr que non. Je reçois chaque jour des émissaires au chef de l’État avec qui j’entretiens d’ailleurs une correspondance régulière. Quelques ‘uns des officiers qui ont été  entrainés dans cette action insensée du 17 mai m’ont également fait parvenir des lettres fort courtoises pour me proposer issue pacifique à la Jean-Claude Kambouélé. Le chef de l’État a été entrainé malgré lui j’en suis de plus en plus convaincu dans un véritable traquenard par Somé Yorian. Il s’est imprudemment mis dans l’illégalité en avalisant l’arrestation et la destitution du Premier ministre Thomas Sankara, sans l’avis préalable du Conseil de salut du Peuple.

  • Ce n’est pourtant pas la première fois qu’un chef d’État renvoie son Premier ministre

B.C. Non. Les 121 membres de l’assemblée générale du C.S.P. ont été librement et démocratiquement désignés par leurs camarades. Les membres du secrétariat permanent et de la commission de contrôle ont été librement élus par l’assemblée. C’est cette même assemblée qui a désigné le président de la république. Le Secrétaire général du C.S.P. et le premier ministre. Les programmes d’orientation politiques et d’action gouvernementale ont été adoptés après plusieurs séances de discussions et de longs débats contradictoires. En attendant la mise en place de la constitution, c’est l’ensemble des textes qui organisent le pouvoir et le fonctionnement du C.S.P. qui constitue la loi fondamentale de la Haute-Volta. Le régime issu du mouvement du 7 novembre n’est pas la dictature d’un seul homme à qui il peut prendre fantaisie de renvoyer un membre du conseil selon son bon plaisir. L’article 30 des statuts du C.S.P. stipule pourtant que « l’exclusion d’un membre du conseil ou de l’une de ses instances est du ressort du conseil. Elle est prononcée après audition du membre incriminé. » Nous n’avons pas pris le pouvoir pour instaurer l’anarchie et faire de la Haute -Volta une jungle. C’est pourquoi nous ne pouvons cautionner de telles pratiques. Nous ne demandons rien d’autres que l’application du règlement.

  . Le chef de L’État a-t-il donné une suite à vos exigences ?

B.C. En partie seulement. Il a notamment accepté toutes les conditions préalables que nous avons posées avant d’engager tout dialogue avec lui. A savoir la libération immédiate de tous les civils, hommes politiques et syndicalistes arrêtés après le 17 mai pour avoir exprimé leur opposition au coup d’État. Le pouvoir a également annulé tous les mandats d’arrêt lancés contre les militants progressistes. Nous avons obtenu la libération inconditionnelle du secrétaire général du C.S.P., le commandant Jean-Baptiste Lingani, et celle du Premier ministre Sankara (1). Nous avons également obtenu la convocation de l’assemblée générale du C.S.P.

  • Le président a pourtant déclaré que c’est votre groupe, au secrétariat permanent du C.S.P., qui l’avait longtemps empêché de convoquer cette assemblée générale.

B.C- Je suis navré d’avoir à démentir les propos du chef de l’État, mais je préfère croire que c’est le colonel Somé Yorian qui lui a soufflé cette déclaration inexacte. L’assemblée ordinaire du C.S.P. avait été convoquée pour la fin du mois de mai. C’est parce que Somé Yorian et ses amis redoutaient cette assemblée, où prévaut le courant progressiste auquel nous appartenons qu’ils ont pris les devants et perpétré quelques jours plus tôt leur coup d’Etat. Pourquoi aurions-voulu empêcher la convocation d’une telle assemblée ? C’est absurde.

  • Comment s’est déroulée cette assemblée que le président a finalement convoquée le 23 mai ?

B.C.- Je n’ai pu personnellement y prendre part car le colonel Somé Yorian s’est opposé jusqu’à la dernière minute à la participation du capitaine Sankara et surtout à celle du secrétaire général, le commandant Lingani.

  • Vos amis y ont pourtant participé…

Oui. Sur les 121 membres de notre assemblée, 111 y ont pris part. Parmi eux, le capitaine Henri Zongo et le lieutenant Hien Kilimité, qui en a assuré le secrétariat. Les procès-verbaux m’ont été communiqués. Je peux donc vous révéler que contrairement  aux mensonges propagés par la presse étrangère hostile à notre mouvement,  l’assemblée n’a jamais avalisé le coup d’État et l’éviction du Premier ministre. Les choses se sont même très mal passées pour Somé Yorian et ses amis.

  • Il y a pourtant eu une motion de soutien au président.

B.C. – Oui. Cette motion a obtenu 60 voix, 50 abstentions et une voix contre. Je dois vous dire que cette motion vague dans sa formulation, a été votée pour décrisper l’atmosphère et empêcher le blocage de l’assemblée dès son ouverture, après que le président eut à deux reprises menacé de démissionner.

Je vous signale également que le chef de l’État n’a d’ailleurs finalement accepté de retirer sa démission et de demeurer à son poste qu’à la suite de l’intervention pressante de la France, Gaston Boyer. Ce dernier en personne s’est précipité au camp Guillaume où il a profité d’une interruption de séance pour adjurer le président de demeurer à son poste.

  • Y a-t-il eu d’autres motions ?

B.C.  Oui il y’ en a eu plusieurs autres. Je voudrais vous signaler trois d’entre elles, sur lesquelles l’envoyé spécial de A.F.P. et la correspondante de Radio-France internationale, qui étaient les seuls journalistes étrangers présents à Ouaga, ont fait silence, comme du reste sur toutes les autres motions qui ont été rejetées par la majorité. Il y a eu, notamment, cette motion inspirée par Somé Yorian sur la doctrine du C.S.P. Cette proposition, simpliste, voulait amener l’assemblée à se prononcer « entre le communisme et le capitalisme » (sic). L’assemblée, à l’unanimité, y a substitué une nouvelle motion réaffirmant la fidélité du C.S.P. à son programme originel et à sa ligne politique progressiste.

  • Et sur la suppression du poste de Premier ministre ?

B.C.  C’est le rejet de cette proposition, qui n’a obtenu que 35 voix en sa faveur, qui a conduit Somé Yorian a décider de l’ajournement sine die des travaux de l’assemblée et finalement de la suppression du C.S.P. Plusieurs autres motions présentées par le président ont été toutes rejetées par abstention. Ce qui a conduit à la situation du blocage.

  • En prononçant la dissolution du C.S.P., le président n’a-t-il pas crée une nouvelle situation politique ?

B.C. L’échec de Somé Yorian dans sa vaine tentative de corrompre et d’intimider les membres de l’assemblée générale du C.S.P. est une grande victoire pour le mouvement démocratique voltaïque et pour tout notre peuple. Le président n’est pas au-dessus de la loi. Il n’a donc pas le droit de dissoudre le C.S.P. L’article 35, chapitre V. des statuts est clair : « La dissolution des instances du Conseil ne peut être prononcé par le Conseil de salut du Peuple. »

  • Vous avez pourtant vous-même accédé au pouvoir par un coup D’État.

B.C.  Je parlerai plutôt d’un soulèvement de la composante armée du mouvement démocratique voltaïque. Bien sûr, on peut appeler cela un coup d’État et nous n’avons jamais prétendu le contraire. Mais Somé Yorian et ses amis auraient dû avoir le courage de dire au pays et à notre peuple qu’ils avaient mis fin au régime du 7 novembre. Alors pourquoi ces mensonges ? ces explications confuses ? Pourquoi avoir tenté de présenter ce putsch comme « une opération de recentrage du C.S.P. ? » C’est parce que le mouvement du 7 novembre n’était pas un vulgaire coup d’État corporatiste et qu’il incarne les justes aspirations de notre peuple à son progrès et à son épanouissement qu’ils ont voulu tenter de doubler leur putsch d’un hold-up idéologique. Nous, la majorité du C.S.P., incarnons la légitimité.

Notre prise de pouvoir est un point de départ pour l’édification d’une Haute-Volta libre, prospère et démocratique.

  • Le chef de L’État a pourtant promis de proposer dans un délai de six mois une constitution et d’organiser les élections démocratiques.

B.C.—Nous n’avons pas pris le pouvoir le 7 novembre pour installer un petit dictateur à la tête de la Haute-Volta, ne serait-ce que pour une durée de six mois. Un contrat moral lie l’armée à notre peuple vis-à-vis duquel nous nous sommes engagés à réinstaurer la vie constitutionnelle normale, qui n’existe plus dans ce pays depuis l’éviction de Maurice Yaméogo en 1966. Depuis cette date, et jusqu’à l’avènement du C.S.P., la Haute-Volta a vécu sous deux régimes militaires néo-coloniaux successifs.

Même si, par moments, on a fait appel à quelques personnalités civiles. Comment peut-on prétendre, sans ménager transition et sans prendre la peine d’organiser une véritable consultation de notre peuple, vouloir lui imposer une constitution rédigée à la hâte par quelque conseiller technique expatrié. Pourquoi cette précipitation ? Pourquoi cette confusion ? Le C.S.P. a établi un calendrier précis. Il faut le respecter. Nous ne pouvons cautionner une mascarade électorale qui ne vise que l’instauration d’une dictature en Haute-Volta.

  • Le président a pourtant donné sa parole d’officier qu’il ne se présenterait lui-même en aucun cas aux élections.

B.C.- Il sait pertinemment que, même s’il le désirait, Somé Yorian ne lui en donnerait pas l’occasion. Mais il ne sera jamais dit. dans l’histoire de la Haute-Volta, que ce sont des officiers progressistes qui ont installé un Bokassa à la tête de l’État.

  • Le président Jean-Baptiste Ouédraogo a pourtant invoqué l’échec du C.S.P. pour justifier ces nouvelles décisions.

B.C. – Il serait plus exact de parler de l’échec de l’aile néo-coloniale de l’armée, représentée par Somé Yorian et ses amis. C’est parce que ces messieurs ont été incapables de faire admettre démocratiquement leurs idées au sein du C.S.P. qu’ils ont perpétré le coup d’État. Si échec il y a, c’est bien l’échec de ceux qui pensaient se servir du C.S.P. pour cautionner la pérennité des intérêts étrangers à notre peuple. Notre pays est fatigué par vingt-trois ans d’immobilisme, de « stabilisme » et de régression économique et sociale. »

  • Le chef de l’État a déclaré que, dorénavant, l’armée voltaïque ne ferait plus de politique.

B.C. – Première conclusion logique : il aurait dû démissionner immédiatement de la magistrature suprême. Somé Yorian, qui lui souffle toutes ces déclarations intempestives, semble décidément avoir quelques difficultés à saisir que le monde a changé et que nous ne plus à l’époque coloniale, où l’adage selon lequel ” soldat-fait-pas- politique » tenait lieu de formation politique inculquée par les colons aux sous-officiers de l’armée coloniale. C’est même une ineptie que de vouloir nier le rôle fondamental que joue l’institution militaire dans l’existence et la pérennité de l’État. Dans nos jeunes sociétés, l’institution militaire joue un rôle bien plus important encore que dans les sociétés industrialisées. Souvent décisif. Malheureusement, dans la plupart des cas pour défendre des intérêts étrangers et sauvegarder l’ordre établi, même s’il est en opposition avec les intérêts réels du peuple. Nous estimons, en Haute-Volta, « qu’un soldat sans formation politique est un criminel en puissance ». Je re- prends là un slogan de « l’Armée du peuple ». Le journal du C.S.P. C’est en éduquant politiquement le soldat et en l’aidant à acquérir une conscience politique solide qu’il sera à même d’identifier et de défendre efficacement les véritables intérêts de son peuple. Sinon, qu’est-il d’autre qu’un vulgaire mercenaire au service des possédants ?

  • On vous accuse, ainsi que vos amis, l’avoir voulu faire dévier le C.S.P. de sa ligne politique et de ses objectifs initiaux. On reproche à Sankara d’avoir voulu aller « trop vite et trop loin »

B.C. — Je peux même ajouter qu’on lui reproche surtout son discours anti-impérialiste. Ce ne sont là que de mauvais procès d’intention. Du discours d’orientation du C.S.P. prononcé par le chef de l’État le 10 décembre 1982, il ressort clairement que l’analyse de la situation économique et sociale de la Haute-Volta faite et acceptée par l’assemblée générale du C.S.P. aboutit à la conclusion que notre non-développement et problèmes proviennent essentiellement de la nature foncièrement néo-coloniale de notre société. Donc, pour changer cet état de choses, le Premier ministre et surtout le président se devaient d’avoir une pratique politique et un discours anti-néocolonialistes.

  • Le président a également insisté sur la nécessite d’une réconciliation nationale en Haute-Volta.

B.C. Il ne faut pas confondre réconciliation nationale avec faiblesse et lâcheté. La réconciliation nationale ne veut pas dire l’impunité accordée aux deniers de l’État et des biens du peuple. Surtout lorsqu’ils n’ont pas restitué à la communauté ce qu’ils lui ont indûment subtilisé. Une des causes de la perpétuation du sous-développement de notre continent est l’immoralité de sa vie politique. Comment voulez-vous donc faire avancer le pays et empêcher un notable ou un ministre de voler la communauté ou de se laisser corrompre s’il sait qu’au bout de quelques mois, il se retrouvera bien un putschiste pour l’amnistier et le laisser jouir en toute impunité des fruits de ses rapines.

  • Vous contestez donc la libération des dignitaires des précédents régimes ?

B.C. – Pour moi ce n’est pas une réconciliation, mais une simple et basse manœuvre politique qui ne tient nullement compte des intérêts réels de notre peuple. Cette mesure démagogique suppose l’impunité totale accordée aux pilleurs des biens du peuple.

  • On vous soupçonne d’être manipulés par les marxistes de la Lipad, du P.C.R.V. et du P.A.I.

B.C. – On affirme même que sommes des communistes ! La vérité est que, par notre volonté d’amener la Haute-Volta à sa véritable émancipation et notre détermination d’établir la justice sociale dans ce pays, nous dérangeons beaucoup de monde et certains intérêts.

  • Et si l’on vous demandait de vous situer politiquement ?

B.C.- Je me méfie des clichés et des formules qui ne veulent rien dire. Mais un de vos confrères a présenté notre groupe comme un groupe d’officiers nationalistes et progressistes. J’accepte cette définition. Nous croyons profondément qu’il n’existe aucune fatalité qui condamne notre pays à sa situation de misère actuelle. La Haute-Volta n’a pas la vocation de demeurer un pays éternellement assisté et un réservoir de main-d’œuvre destiné à l’exportation. Notre programme politique est connu. C’est celui du C.S.P. Alors pourquoi vouloir à tout prix nous coller une étiquette idéologique ?

  • Vous n’avez pas clairement répondu à notre question.

B.C. Dans l’état de développement actuel de notre pays, nous n’avons pas à vouloir imiter à tout prix ce qui se fait ailleurs et entretenir des discussions oiseuses autour du débat idéologique entre le capitalisme et le communisme.

Les problèmes immédiats de notre peuple, c’est d’abord et avant tout la satisfaction de ses besoins fondamentaux : se nourrir et s’habiller décemment, avoir un toit, pouvoir se soigner et donner une éducation convenable à ses enfants. Ces problèmes doivent être résolus par des actes concrets.

Ce n’est pas une question de choix idéologique. En six mois de gouvernement, nous avons posé des actes concrets qui vont à la rencontre des besoins de notre peuple ; cela suffit pour nous. Que certains démagogues veuillent à tout prix nous coller des étiquettes idéologiques, ce n’est pas notre problème.

  • Certains accusent le gouvernement du C.S.P. de menacer les intérêts de la France.

B.C. – Ce n’est pas sérieux. Comment donc voulez-vous croire que la Haute-Volta puisse sérieusement inquiéter un pays qui occupe une position dominante dans toute notre région, et qui, de surcroît, aussi bien sur le plan culturel qu’économique, a plus que de l’influence ? Cette vieille rengaine, entonnée par quelques politiciens véreux minorité nostalgique et néo-colonialiste, est un épouvantail ridicule. Mais c’est brandi par quelques requins du négoce, qui écument notre continent depuis des décennies. Certes, nous ne nions pas que nos intérêts peuvent diverger quelquefois avec ceux de la France ou plutôt avec les intérêts particuliers de quelques comptoirs néo-coloniaux. Nous sommes réalistes et nous savons ce que nous faisons. Nous comprenons parfaitement la préoccupation du gouvernement socialiste Français de défendre les intérêts politiques de la France et les intérêts économiques de ses ressortissants.

Mais il est pour nous difficile de croire que les socialistes puissent aller jusqu’à défendre la perpétuation de certaines pratiques douteuses, le recours systématique à une politique de puissance pour obtenir des marchés d’État, la surfacturation, les rentes de situation injustifiées, les contrats léonins et, pourquoi pas, la maîtrise politique de nos affaires. Malheureusement, en France, certains préfèrent encore le valet à l’ami sûr.

  • Votre grande amitié avec le colonel Kadhafi inquiète Reagan, mais surtout certains de vos voisins.

B.C. — Nous ne nous sommes jamais inquiétés des relations que certains de nos voisins entretiennent avec certains régimes et certains pays qui peuvent également nous effrayer. Ceux qui commercent avec l’Afrique du sud et Israël, ceux qui maintiennent après vingt-trois ans d’indépendance des troupes et des bases militaires étrangères sur le sol africain parce qu’ils ont peur de leur propre armée et parce qu’ils redoutent la juste colère de leur peuple, ceux qui truffent les services de sécurité de leurs pays de mercenaires étrangers, ceux qui alimentent leurs comptes en Suisse en volant l’argent du peuple, ceux qui cautionnent par leur silence les massacres de nos frères en Afrique australe et au Sahara occidental, ceux qui estiment qu’il est plus important de faire du tourisme que de participer avec toute l’Afrique, au sauvetage de O.U.A., tous ceux-là et leurs « conseillers techniques » devraient avoir la décence de s’abstenir de nous donner des leçons de moralité et des règles de bonne conduite en matière diplomatique.

  • Pensez-vous que l’affrontement soit inévitable avec le président Ouédraogo ?

B.C. — Cela ne dépend pas de nous. Nous ne faisons que protester contre le droit de la force. C’est Somé Yorian et ses amis qui tentent d’imposer leurs idées par les armes après avoir été mis en minorité au sein du C.S.P. Pour le moment, ils ne nous ont laissé que les armes pour défendre nos propres idées. Mais nous ne prendrons jamais l’initiative de tirer les premiers sur un soldat

  • L’éventualité d’une intervention des pays voisins avec l’aide de la France et même du Maroc est de plus en plus évoquée dans certains milieux.Ne craignez-vous pas de voir votre pays devenir un champ d’affrontement des forces étrangères ?

B.C. — Ce n’est plus une éventualité, car un premier contingent de mercenaires se trouve déjà, semble-t-il, à Ouaga. C’est ainsi que l’on met le doigt dans l’engrenage. Demain, d’autres contingents viendront car nous auront anéanti le premier groupe. C’est le président et Somé Yorian qui devront alors assumer devant notre peuple et devant l’Afrique cette terrible responsabilité. Nous renouvelons notre mise en garde contre ceux qui voudraient intervenir dans cette crise qui est une affaire interne voltaïque. La Haute-Volta n’est ni le Zaïre, ni le Gabon, ni le Centrafrique. Pô ne sera jamais un nouveau Kolwezi. Nous sommes des soldats et nous saurons nous battre. Le peuple voltaïque est un peuple adulte, mobilisé qui ne se couchera plus.

  • N’avez-vous pas peur d’être écrasé par une puissance de feu supérieure et sous le poids du nombre ?

B.C. – Ce n’est ni la quantité d’armes, ni les effectifs d’une armée qui font la qualité d’un combattant. Certes nos moyens d’autodéfense sont modestes mais nous évoluons au sein de notre peuple et celui-ci soutient notre action.

Je vous cite de mémoire, une phrase du général Giap qui devrait faire réfléchir ceux qui veulent violer la Haute-Volta : l’Histoire a prouvé à maintes reprises que « la volonté des peuples est supérieure à la technologie des maitres ».

Nous espérons toutefois que nos amis socialistes français ne se laisseront pas entraîner dans une sale aventure pour plaire à quelques vieux autocrates qui ont perdu le sens de l’Histoire. Comme chef militaire, je suis obligé d’envisager cette horrible hypothèse et de prendre toutes les dispositions en conséquence. Mais comme responsable politique, je me refuse absolument à envisager une telle éventualité, venant de la France socialiste.

  • Pourquoi, selon vous, le pouvoir vous a-t-il été si rapidement contesté ?

B.C. – En six mois, nous avons consacré beaucoup d’énergie à convaincre démocratiquement certains de nos camarades, qui avaient quelque peine à saisir la portée réelle et l’enjeu de la mutation imprimée à notre pays depuis le 7 novembre. Sur ce point un grand travail a été accompli, comme le prouve le triomphe de la ligne progressiste au sein du C.S.P. Mais notre grande erreur a été de ne pas avoir rapidement organisé l’immense soutien populaire dont bénéficie le C.S.P. Car finalement, c’est peuple voltaïque qu’incombent la défense et la sauvegarde de ses véritables intérêts. C’est à lui que revient le dernier mot !

Propos recueillis par Mohamed Maïga et Michel Ilboudo

Source : Afrique Asie N°300 du 18 juillet 1983.

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