Il y a 19 ans disparaissait Thomas Sankara : Tous les hommes épris de paix et de justice s’en souviennent

Abdulaye Barry

Cet article est extrait du blog du journal malien "Le Public" à l’adresse http://public.afrikblog.com/

C’est l’histoire d’un garçon né le 21 décembre 1949 à Yako ( Haute-Volta) qui a grandi au gré des affections de son père ( infirmier dans l’armée française) et s’est frotté un jour aux réalités de la  colonisation:  A dix ans il rêve de la bicyclette du  fils du directeur français de l’école de Gaoua où il était élève. Il finit par la subtiliser pour faire le tour de la ville. Par cet acte banal son père ira en prison.

 

C’est l’histoire d’un brillant et éloquent  élève officier (Académie militaire d’Antsirabe, France puis Maroc) assoiffé de connaissance, d’histoire ayant bu tous les classiques marxiste-léninistes. 

C’est l’histoire, à grands traits, d’un  Président révolutionnaire qui a fait son apparition, au grand jour,  le 4 août 1983 sur la scène politique en Haute- Volta en compagnie de ses trois complices, eux aussi officiers: Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo. Cette histoire est l’histoire d’un homme à qui l’Histoire a donné raison: feu le capitaine Thomas Sankara ancien Président du Burkina Faso (1983-1987).  Dans ce dossier que nous lui consacrons, à l’occasion du dix-neuvième anniversaire de son assassinat, nous avons voulu certes parler de l’homme, de son héritage mais aussi et surtout rendre hommage à celui qui a incarné l’espoir désespéré de la jeunesse africaine, des masses laborieuses en somme.

Au Burkina Faso, le 15 octobre 1987 le capitaine Thomas Sankara est assassiné sur ordre de son intime ami pour ne pas dire son alter ego, Blaise Compaoré.  Comme une traînée de poudre la triste nouvelle a un retentissement international créant  l’effroi et l’émoi chez des millions d’hommes et de femmes qui venaient de perdre l’être  le plus aimé.  Au Burkina de Dori à Niangologo en passant par Ouagadougou et  Bobo Dioulasso, de Ouahigouya à Fada N’Gourma via Kaya et Tenkodogo, les larmes sont torrentielles. En Afrique de Tripoli à Johannesburg, de Banjul à Asmara, la colère et l’indignation se lisaient sur presque tous les visages.

En quête d’une nouvelle virginité, le nouveau régime appelle aussitôt la population endeuillée à défiler dans la rue pour lui apporter son soutien. C’est le contraire qui se produit. Par milliers elles  partent plutôt se recueillir sur la tombe du martyr, du héros national. Qui sont les véritables instigateurs de cet assassinat lâche et crapuleux ?

A en croire Bernard Doza c’est en décembre 1986 que l’ordre a été donné de “faire partir’’ Thom Sank qui opposait l’arrogance à la main tendue. Le Président français François Mitterrand et le plus fidèle serviteur de  la France, le Président Houphouët Boigny sont derrière le coup.

Ce dernier qui a reçu Blaise Compaoré à plusieurs reprises courant 1986 a débloqué une somme vertigineuse (5 milliards CFA) pour ‘’ développer une guerre des tracts tous azimuts dénonçant la déviation militaro fasciste de Sankara. La division est donc née entre les 4 chefs de la Révolution burkinabè. “ Croyant à une réelle contestation du peuple Sankara annonce le 4 août 1987 une pause dans la poursuite de la révolution. Mieux il se propose  à une retraite anticipée du pouvoir tout en restant Président du Faso. Il projette de se retirer des locaux de la Présidence pour se consacrer aux “problèmes organisationnels’’ et aux “actions de mobilisation des masses’’ laissant Blaise Compaoré s’occuper directement de l’exécutif. Ce dernier refuse puisqu’il ‘’ne tenait pas à diriger une équipe dont les trois quarts auraient été choisis par Sankara pour leur fidélité à sa personnalité”.

Les jours de Sankara sont comptés mais il semble faire confiance à son ami. “Je ne pense pas confie-t-il à un de ses proches que Blaise veuille attenter à ma vie. Le seul danger, c’est que lui-même se refuse à agir, l’impérialisme lui offrira le  pouvoir sur un plateau d’argent, en organisant l’assassinat… Même s’il parvenait à m’assassiner ce n’est pas grave! Le fond du problème, c’est qu’ils veulent bouffer, et je les en empêche! Mais je mourrai tranquille, car plus jamais après ce que nous avons réussi à inscrire dans la conscience de nos compatriotes, on ne pourra diriger notre peuple comme jadis…”

Toujours selon Bernard Doza, des mains ont entre temps prévenu Sankara que Blaise disposant de beaucoup d’argent recrute des fidèles.

“ Sankara finit par comprendre que sa sécurité ne peut plus dépendre exclusivement des hommes de Blaise. il décide fin septembre 1987 de la mise sur pied d’une force de sécurité rapprochée, la FIMATS, dirigée par son garde du corps Vincent Sigué, le terrible mercenaire craint au Burkina jusqu’au  sein des commandos de Pô.

Et c’est pour empêcher cette force militaire parallèle de se mettre en place que la décision est prise par Compaoré d’arrêter Sankara. Le matin du 15 octobre 1987, une violente dispute éclate entre Blaise, son lieutenant Gilbert Diendéré, et Salif Diallo, devenu par la suite son directeur de cabinet. Diendéré expose à Blaise qu’à 20 heures les nouvelles forces de sécurité de Sankara profiteront de la réunion pour exécuter tous les membres dirigeants du gouvernement, y compris Blaise lui-même. Il l’exhorte de donner l’ordre de contre- attaquer pour devancer l’opération. Face à l’hésitation de Compaoré, Diendéré déclare menaçant : “si avant  20h tu n’as pas donné ton accord, nous allons attaquer…” A 15 Blaise donne son accord…

Gilbert Diendéré dirige lui-même les commandos. L’homme tient à régler personnellement ses comptes avec Sankara. Camouflés à bord d’une voiture bâchée, les commandos arrivent au Conseil de l’Entente où se réunissent Sankara et son fameux cabinet spécial.

Il est environ 16 h 15 lorsque la voiture bâchée s’arrête devant la villa ‘’Haute-Volta” du Conseil. Immédiatement le vacarme des kalachnikovs déchire l’atmosphère. Les sept hommes réunis dans la salle, se couchent au sol. Sankara se relève et ordonne à ses conseillers: “Restez.. c’est moi qu’ils veulent”. Puis il quitte la salle les bras en l’air. A peine est-il sorti qu’il se trouve nez à nez avec Yacinthe Kafando, un membre de la garde personnelle de Blaise Compaoré, qui le descend de deux balles au front. Un autre commando entre dans la salle et pousse au dehors ceux qui refusaient de sortir: “ dehors, dehors”..! Dès leur sortie, ils sont à leur tour abattus…”

 

Un mythe assassiné, un symbole naît

L’histoire de Thomas Sankara est l’histoire d’un homme qui a marqué son époque. Grand homme du Xxe siècle, la pensée de Thom Sank reste toujours d’actualité en ce début du XXIe siècle et restera pour les siècles à venir. Peu d’hommes, auront suscité tant d’espoir chez les gens de ma génération dans une Afrique dont les marchands d’illusions décrivent avec tant de mépris quand ils ne nient pas sa contribution à l’histoire de l’humanité. Sankara ne prenait pas la misère de l’Afrique avec une vision fataliste des choses. Elle est à ses yeux le résultat d’un processus historique qui prend ses sources dans la colonisation et la traite négrière qui ont endommagé notre cher continent.

La plus grande difficulté rencontrée, explique Sankara à un journaliste américain est constituée par l’esprit de néocolonisé qu’il y a dans ce pays. Nous avons été colonisés par un pays, la France qui nous a donné certaines habitudes. Et pour nous, réussir dans la vie, avoir le bonheur, c’est essayer de vivre comme en France, comme le plus riche des français. Si bien que les transformations que nous voulons opérer rencontrent des obstacles, des freins”. Il avait les mots justes pour dénoncer le système qu’il combattait à savoir l’impérialisme, le néo-colonialisme. Thom Sank n’était pas qu’un simple orateur, autant il croyait en son idéal de justice social il était porteur de solutions.

En quatre ans Thomas Sankara qui a su joindre le pragmatisme à l’idéal a mis son peuple débout et lui a redonné sa dignité. Partant il a montré la voie à des millions d’hommes: “l’esclave qui n’assume pas révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort” disait-il.   Dix neuf ans après sa mort son héritage est toujours vivant. Déjà un mythe de son vivant Thomas Sankara est devenu tout un symbole après sa mort le jeudi 15 octobre 1987: Symbole de la résistance des peuples opprimés, de l’anti-impérialisme, de l’espoir d’une révolution, de la dignité, de la non soumission.  Il est chanté par  des dizaines d’artistes, des ouvrages lui sont consacrés, des rues  portent son nom. Des millions d’hommes à travers le monde ont juré de préserver sa parole, de porter le flambeau laissé par le leader charismatique de la Révolution  burkinabé. Répondant à un journaliste en 1985 lui demandant l’image qu’il voudrait bien laisser Sankara lance ceci: “Je souhaite tout simplement que mon action serve à convaincre les plus incrédules qu’il y a une, qu’elle s’appelle le peuple, qu’il faut se battre pour et avec ce peuple. Laisser la conviction aussi, que moyennant un certain nombre de  précautions et une certaine organisation, nous auront droit à la victoire, une victoire certaine et durable. Je souhaite que cette conviction gagne tous les autres pour que ce qui semble être aujourd’hui des sacrifices devienne pour eux demain des actes normaux et simples.

Peut-être, dans notre temps, apparaîtrons-nous  comme des conquérants de l’inutile, mais peut-être aurons-nous ouvert une voie dans laquelle d’autres demain s’engouffreront allègrement, sans même réfléchir, un peu comme  lorsqu’on marche, on met un pied devant l’autre sans jamais se poser de questions, bien que tout obéisse à une série de lois complexes touchant à l’équilibre du corps, à la vitesse, aux rythmes, aux cadences. Et notre consolation sera réelle à mes camarades et moi-même, si nous avons pu être utiles à quelque chose, si nous avons pu être des pionniers”.   

 

Par Abdoulaye Barry

« Le Public » N°26 du Vendredi 13 Octobre 2006

 

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