L’actualité de Thomas Sankara

Cet article est extrait du n° 743 l’hebodomadaire nigérien Le Republicain daté du jeudi 19 octobre 2006 

A l’heure où au Niger comme ailleurs en Afrique continue de se poser avec acuité le problème de la gestion de la chose publique, il y a lieu de faire un retour sur l’histoire africaine pour constater que ce continent meurtri a connu quand même quelques rares dirigeants qui faisaient  sa fierté et qu’il n’ y a pas lieu de verser dans l’afropessimisme. Au premier rang de ceux-ci figure Thomas Sankara qui fut assassiné par ses compagnons d’arme. Ce 15 octobre beaucoup de Burkinabé iront comme à l’accoutumée se recueillir sur tombe. Des multiples associations sankaristes, actives ou coquilles vides, vont également marquer ce 19ème anniversaire à travers le monde rendant ainsi à ce dirigeant éminent et à ses actions toute la place qu’ils méritent non seulement dans notre histoire mais aussi dans notre présent.

Certes, Thomas Sankara n’est pas un saint et point n’est besoin de l’idéaliser. Peu de dirigeants dans le monde, au cours d’une vie brève, ont pu marquer leur temps. Il fut un militaire d’une grande valeur. Les armées africaines ont produit une bonne partie du leadership africain mais peu de dirigeants militaires peuvent l’égaler. Certains se sont  enracinés au pouvoir et se sont maintenus en entraînant leurs frères d’armes dans la corruption et l’embourgeoisement dégoûtant tandis que leurs peuples sont dans la misère. Lui, il ne s’était pas enrichi. Il est parti en laissant le souvenir que la corruption ne l’atteignait pas. Il était resté intègre et soucieux du devenir de son peuple.

Le changement du nom de son pays en pays des hommes intègres résume son programme et sa volonté manifeste de servir son peuple plutôt que de faire sa promotion personnelle. Son maigre salaire était connu de tous mais surtout vivait dans l’austérité pendant que d’autres dirigeants africains sont dans l’opulence. Le train de vie de l’Etat était réduit au strict minimum. Ses grandes actions sont connues : grande reforme agraire de redistribution des terres au paysans, grandes mesures de libération de la femme comme l’interdiction de l’excision, la réglementation de la polygamie, la participation à la vie politique, aides au logement consistant à faire baisser les loyers, à faire des grandes construction de logement pour tous, construction considérable d’écoles et d’hôpitaux, la campagne intensive de reboisement où des millions d’arbres ont pu être planté, etc.. Il avait fait comprendre aux africains qu’ils peuvent avoir des dirigeants propres prêts à se sacrifier pour leurs peuples, à gouverner pour le peuple et non des hommes qui aspirent au pouvoir pour le pouvoir, animés par les appétits de honneurs ou d’argent qu’ils amassent et placent dans les banques étrangères.

             Il a donné l’espoir à la grande masse des africains dirigée par des dirigeants peu soucieux de leur sort. Dans ses avancées sur l’esprit de liberté, de démocratie, de dignité, de compter sur ses propres forces, du rapport exploiteur et exploités, Sankara fut un précurseur et ses propos sous forme de mise en garde contre la domination des pays en voie de développement par les puissances de toutes sortes prennent place dans l’actuel.  Certes, il y a eu certainement des excès dans la gestion de Sankara mais sa sincérité et sa détermination à aller de l’avant l’emporte. D’ailleurs, il reconnaissait volontiers lui-même ses fautes en disant par exemple que la révolution commettait peut être mille erreurs mais avec deux ou trois petites victoires contrairement aux anciens systèmes qui ont prévalu dans son pays. Nos dirigeants d’aujourd’hui, infatués, peuvent-ils dire cela ? Certainement pas. Ce sont des gens qui se croient indispensables à leurs peuples. Certains sont plutôt enclins à ériger la fraude électorale comme un principe de renouvellement de mandat tandis que d’autres falsifient même les constitutions pour se maintenir éternellement au pouvoir ou préparent leurs enfants pour les succéder. Sankara, s’est sacrifié pour son peuple et pour l’Afrique toute entière. Alors qu’il se savait menacé, il a laissé faire pour s’expliquer avec son « plus que frère » Compaoré « au ciel ». Dans une Afrique où les hommes se battent pour le pouvoir en enjambant des cadavres, cette attitude héroïque est à méditer par tous si nous voulons vraiment faire sortir nos peuples de l’infrahumanité et des multiples problèmes qui l’assaillent.

             Aujourd’hui, il y a lieu de s’inspirer de cet homme et de se servir comme modèle. Les valeurs d’intégrité, de sacrifice, de volontarisme, s’adressent à tous les africains pas seulement aux dirigeants politiques. Nous avons donc besoin des Sankara partout. Dans les partis politiques comme dans les sociétés civiles si nous voulons vraiment aller de l’avant. En acceptant l’idée que parvenir au pouvoir ou accéder à des postes de responsabilités dans nos administrations civiles et militaires est synonyme de servir le peuple. Il n’y a pas lieu de penser qu’à sa petite famille en amassant des biens publics. Tant que la gestion du pouvoir ne passera pas aux mains des hommes comme lui,  hautement conscients de la situation de leurs peuples, armés des principes démocratiques et révolutionnaires, les africains ne pourront pas s’en sortir .

 D’abord les principes démocratiques parce que nous avons besoin de sortir de manières artisanales qu’on a connu dans le passé à savoir les guerres civiles, les coups de force comme mode d’alternance. L’Afrique a perdu beaucoup de ses fils dans les guerres civiles à causes des hommes qui veulent accéder au pouvoir ou se maintenir coûte que coûte. Depuis la chute du mur de Berlin, la démocratie est devenue une exigence fondamentale pour les peuples du tiers monde et de  l’ex-bloc soviétique qui étaient jusque là gouvernés par des dictatures. Malheureusement dans beaucoup de pays, cette démocratie est dévoyée par des dinosaures qui sont la depuis des décennies mais également par les nouvelles classes politiques qui l’ont transformé en une simple procédure. Les pays africains où les élections se passent normalement se comptent au bout des doigts. Encore faut-il respecter la séparation des pouvoirs. Seule la mise en place d’un système démocratique reposant sur la transparence dans la gestion de la chose publique, une presse libre, une justice indépendante, une société civile dynamique et un parlement actif capable d’exercer sa véritable vocation de contrepoids et de contrôle de l’exécutif peut nous garantir d’éviter la répétition des erreurs du passé.

 Enfin les principes révolutionnaires parce qu’il ne suffit pas d’être élu pour être bon dirigeant. On aime Sankara pourtant il est arrivé au pouvoir par les armes. C’est bien d’être élu mais gouverner autrement c’est encore mieux. C’est à dire a la manière de sankara. En étant proche du peuple, en donnant l’exemple. Malheureusement, on assiste aujourd’hui en Afrique d’une part à la perte par les dirigeants politiques de la maîtrise du développement économique de leurs pays et d’autre part à l’émergence de bourgeoisies nationales. En fin de compte, le pouvoir politique n’obéit plus aux intérêts de la nation. Délaissant les objectifs économiques bénéfiques à l’ensemble des citoyens, ils se contentent seulement de définir un nouveau code fiscal ou de trouver d’autres expédients leur permettant de trouver les grands moyens financiers qui devront faire tourner la lourde machine administrative et restent attentifs à «l’aide » extérieure. Mais cette aide, trop souvent mal utilisée, ne fait que nous enfoncer dans le cercle vicieux de l’endettement et nos pays se portent moins bien qu’à la vieille des indépendances nominales.

Sankara n’est pas mort. Il nous interpelle depuis sa tombe. Toutes les tares qu’il a dénoncées sont encore vivaces et certaines se sont même accentuées. Son message reste d’actualité et doit être entendu par tous les africains qui n’ont pas renoncé à leur mission de bâtir leur continent. Ne nous laissons pas obnubilés par nos multiples problèmes au point d’oublier ce grand homme qui justement se battait pour la dignité des peuples d’Afrique et de leur épanouissement. Soyons tous des Sankara !

 

                                                                                  Elhadji Kollo Saloum

Source: Republicain-Niger

1 COMMENTAIRE

  1. > L’actualité de Thomas Sankara
    que dieu vous benisse pour avoir mentionner avec tant d objectivites et de verites celui qui fut qui est et qui restera le digne fils d afrique. quoiqu on disent quoiqu on fassent cela fut encore une preuve que l afrique est et restera le berceau de l humanite, donneur d exemple par essence et par excellence. Allah( God, Dieu )n abandonnera jamais l afrique et les africains ca prendra ce que ca prendra comme temps, nous emergerons et l humanite s equilibrera…

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