Le Burkina entre révolution et démocratie, 1983-1993

Ouvrage collectif sous la direction de René Otayek, Filiga Michel Sawadogo et Jean Pierre Guingané

1996, 390 pages, ISBN 2-86537-702-4

Edition Karthala  22-24 boulevard Arago 75013 Paris

tel 01 43 31 15 59       fax 01 45 35 27 05 

Présentation (Quatrième de couverture)

De Thomas Sankara à Blaise Compaoré, de la “révolution démocratique populaire” à la Quatrième République en passant par le Front Populaire, le Burkina Faso a été un véritable laboratoire du changement social en Afrique Noire. Ces dernières années. Ce livre , né d’un colloque organisé à Bordeaux par le Centre d’Etude d’Afrique noire de l’Université de Ouagadougou, en propose une lecture, autour d’une vingtaine d’enseignants chercheurs, burkinabé et français, d’horizons disciplinaires divers. Il se veut une contribution à un débat qui, par delà le Burkina, est susceptible d’intéresser l’ensemble des Etats subsahariens, tous ou presque, confrontés au délicat passage de l’autoritarisme à la démocratie.

Dans cette perspective, trois axes de réflexion y sont privilégiés. Le premier tourne autour du thème des identités et représentations : comment se fait l’agencement des particularismes locaux et de la mise en ordre étatique, qu’elles oit d’inspiration révolutionnaire ou énoncée en termes de décentralisation, comme c’est la cas aujourd’hui? Le deuxième privilégie la problématique des dynamiques socio-économiques, éléments structurants de la toile de fond dans laquelle se sont fondus, depuis le 4 août 1983, les considérables changements politiques et institutionnels. Le dernier s’interroge sur la construction d’un nouvel ordre politique ; il restitue les thèmes centraux autour desquels s’est articulé le débat politique depuis le coup d’Etat du 15 octobre 1987 : la rupture avec le legs autoritaire de la révolution sankariste, la restauration du pluralisme et la consolidation de l’Etat de droit.

Chacun des contributions ici publiées apporte un éclairage particulier aux questions posées. On n’y trouvera peut-être pas des réponses définitives mais une réflexion féconde, servie par un retour constant au “terrain”, et formulées en filigrane, deux interrogations de fond : la modernisation peut-elle se concevoir sans un Etat fort? La démocratie est-elle un luxe pour les pays pauvres? Ce sont là les termes d’un débat dont la recherche africaniste ne saurait faire l’économie.

 


 

Les Coordinateurs

 

 René Otayek est un chercheur du CEAN (Centre d’Etude D’Afrique Noire de Bordeaux), rattaché au CNRS (Centre National de la Recherche scientifique). Le Burkina Faso est un des sujets de prédilection. Il a en effet publié de nombreux articles sur ce pays et notamment sur la Révolution et la période qui s’ensuivit. C’est un des meilleurs spécialistes de cette période.
Jean Pierre Guingané est enseignant et homme de théâtre. Il a notamment collaboré avec Sankara pendant la Révolution, sans pour autant se réclamer révolutionnaire.
Filiga Michel Sawadogo est juriste et enseignant à l’université de Ouagadougou.
Les autres auteurs sont des chercheurs français ou burkinabé.
 

 

 


Table des matières

 

Présentation

 

Les contributeurs

 

Introduction Du Burkina du changement social et de la démocratie René Otayek, Filiga Michel Sawadogo et Jean Pierre Guingané

 

 Première partie : Identités et Représentations

 1 Ethnisme et régionalisme dans l’ancien Liptako : un effet de la sécheresse ou de la révolution? par Anne Marie Piller Schwarz

 2 “Voter, ça veut dire quoi?” Sur les élections législatives du 24 mai 1992, par René Otayek

 3. Araignée-sida et politique de santé en pays lobi burkinabé par Michèle Cros

 4. Les politiques culturelles. Un esquisse de bilan (1960-1993) par Jean Pierre Guingané

 5. La lutte dans l’occupation et le contrôle des espaces réservés aux cultes à Ouagadougou, par Assimi Kouanda

 6. Les relations de parenté à plaisanterie : élément des mécanismes de régulation sociale et principe de résolution des conflits sociaux au Burkina Faso, par Amadé Badini

 

Deuxième partie : dynamiques socio-économiques

 7. 1983-1993 : Dix ans de politique agricole, par Bernard Tallet

 8. Migrants internationaux et de retour au Burkina Faso, acteurs et témoins d’une circulation  migratoire  par Reynald Blion

 9. L’évolution du pouvoir local villageois sous l’impact de la révolution sankariste dans les sociétés acéphales de l’Ouest : continuité et changement. par Alfred Schwarz

 10. Pratiques politiques foncières en milieu rural par Armelle Faure

 11. Les ONG favorisent-elles le développement agricole par Alain Piveteau

 12. Filières commerçantes et évolutions politiques : chassés croisés à Ouahigouya par Moussa Ouedraogo

 13. Mouvement associatif et transformation du champ politique par Mahamadou Diawara

 14. De la défense révolutionnaire à la gestion urbaine : “le cercle des CR disparus” (Ouagadougou : 1983-1991) par Sylvie Jaglin

 

 

Troisième partie : Identités et Représentations

 15. Blaise Compaoré ou l’architecte d’un nouvel ordre politique  par Augustin Loada

 16. Gauche marxiste et pouvoir militaire de 1983 à 1991, par Hamidou Diallo

 17. L’élaboration de la Constitution de la Quatrième République par Filiga Michel Sawadogo

 18. Syndicalisme et pouvoir politique. De la répression à la renaissance par Kourita Sandwidi

 

 


Nos commentaires

Si l’on excepte les numéros 20 de décembre 1985 et 33 de mars 1989 de la revue Politique Africaine du CEAN, c’est le premier ouvrage collectif qui traite de la Révolution, il traite aussi de la Rectification. Collectif, il rassemble des contributions de chercheurs de disciplines différentes mais aussi originaires tout autant de la France que du Burkina Faso. Le résultat n’en est que plus riche.

 Plusieurs contributions nourries d’enquêtes de terrain, permettent de pénétrer plus profondément  à l’intérieur du pays et d’approcher les réalités éminemment complexes et diversifiées des représentations sociales et de sa richesse culturelle, des migrations et de la mixité ethnique ce qui en fait bien plus qu’un ouvrage de politique classique. Tous n’abordent pas de front les questions politiques mais permettent cependant de comprendre les perceptions que les populations si diverses peuvent avoir de cette Révolution venue de la capitale  mais aussi de l’intrusion du monde moderne dans les campagnes pour l’essentiel importé d’occident.

Michèle Cros par exemple relève l’homonymie entre araignée et sida dans la langue lobi et suggère que l’on l’utilise cette particularité locale pour y adapter la prévention « La littérature orale participe à la lutte aux côté de cette politique de santé qui gagnerait à ne plus l’ignorer. Car si l’homonymie lobi contribue directement à la stigmatisation du malade, le caractère sournois et malin de l’araignée lui étant de facto facilement attribué, elle pourrait aussi laisser présager les victoires du mal ».

   Amadé Badini analyse en détail la parenté à plaisanterie comme système de régulation sociale qui «…se présente aux yeux des usagers comme la volonté de d’une transformation positive d’une situation de tension initiale », s’inquiète que les relations qu’elles régulent « perdent de leur force sociale »  au profit de leur « caractère superficiel d’amusement » alors qu’elles pourraient retrouver leur rôle initiale.

  Raynald Brion vient rappeler l’importance du phénomène migratoire, « réponses à l’incertitude » notamment avec la Côte d’Ivoire.
 
 Alain Piveteau, se penche sur l’analyse la place des ONGs argumentant à partir d’enquêtes de terrain pour conclure sur le constat pessimiste : “Tout semble-t-il participe du maintien de l’aide”
  Une thèse traverse le livre, celle des résistances sociales, durant la Révolution, particulièrement dans les campagnes, mais qui serait une pratique constante de préservation des identités sociales et des pouvoirs locaux.

Dès l’introduction René Otayek précise que la « révolution achoppera sur la capacité de ruse de la chefferie …  Déployant des stratégies sans cesse réinventées de détournement, de subversion, voir d’investissements des structures révolutionnaires par les biais de ses cohortes de dépendants ».

A propos des effets de la révolution dans le monde rural, Bernard Tallet affirme que « … Sur le plan économique, les effets positifs (de la révolution) n’ont pas eu lieu. Rien de concret n’est venu encourager les  populations dans les efforts qui leur étaient demandés pour changer les pratiques et sauvegarder le potentiel productif du pays » ce qui nous apparaît une affirmation pour le moins péremptoire.

  Anne Marie Pillet Schwarz et Armelle Faure se consacrent aussi au monde rural mais appuient leurs travaux, contrairement à Bernard Tallet sur une véritable  proximité avec le terrain résultant ‘e travaux d’enquêtes. La première décrit cette résistance dans la région de Dori comme « des dynamiques ethniques apparemment passives, parce que vindicatives, mais en réalité très actives, parce que déterminées par la volonté de ne pas se laisser déstructurer » et affirme l’échec comme la deuxième de la révolution agraire et foncière promue en 1984, ce que confirme aussi Armelle Faure.
 

 Plusieurs contributions s’étendent ainsi sur les résistances à la révolution se nourrissant d’une véritable improvisation des CDR en zone rurale. Si par ailleurs on souligne que la chefferie était à l’origine de cette opposition informelle, on regrettera le peu d’analyse de classe sur les intérêts de cette chefferie pas toujours en phase avec ceux des autres paysans n’appartenant pas à la chefferie, sur lesquels ils exercent leur pouvoir. Car si comme le disent plusieurs auteurs, la paysannerie ne peut être considérée comme une entité uniforme, ce n’est pas uniquement du fait de la grande diversité ethnique ou des spécialisations agricoles mais aussi du fait d’intérêts divergents dans les campagnes.

 Les effets positifs de la révolution se sont pourtant aussi fait sentir en zone rurale. Il en est ainsi de l’immense mobilisation pour la construction de petits barrages, de la prise de conscience écologique pourtant vitale pour l’avenir, grâce au mot d’ordre des « trois luttes » qui semble malheureusement se perdre aujourd’hui. Car à la campagne aussi, si les paysans retiennent les contraintes de cette période quelque difficile et particulièrement mouvementée, ils se rappellent aussi que le pays s’était mis au travail pour lui-même et son peuple et nombreux sont ceux qui gardent une profonde admiration du président Sankara.
 

 Kourita Sandwidi, après avoir rappelé l’histoire du syndicalisme, qui a toujours été très actif, bien organisé, politisé dans ce pays mis à cause de ça divisé, s’attache à l’étude de la résistance syndicale sous le CNR.

  Une analyse circonstanciée des CDR, s’appuyant sur  enquêtes de terrain (Alfred Schwarz) et  une analyse approfondie des travaux précédents ou des textes officiels (Sylvy Jaglin) constituent un des apports majeurs intéressants du livre. Le premier décrypte la composition des CDR dans les sociétés sans pouvoir centralisé de l’Ouest pour montrer combien il a été pratiquement impossible d’exclure les représentants de la chefferie locale. La deuxième, à partir de l’étude des CDR de Ouagadougou, qu’elle n’omet pas de resituer dans une dynamique de combat politique, montre qu’à la première vague de responsables des CDR  choisis dans les improvisations du début de la Révolution, dont certains ont privilégié les taches politico-militaires, a succédé une seconde vague constituée de responsables « plus technocratiques » qui se lancent dans la gestion délocalisée, la réorganisation de l’espace urbain et l’animation socio-économique. N’y avait-il pas là une tentative de la refondation de la notion de démocratie locale dont on aurait aimé une analyse plus approfondie dans un ouvrage traitant de la démocratie.
 

 Jean Pierre Augustin, prenant exemple sur la ville de Saponé, resitue la période révolutionnaire dans le long processus d’émergence du pouvoir local et reconnaît que la période révolutionnaire n’a pas eu que des effets négatifs en créant les conditions de la rupture. « Les CDR en s’imposant légalement face à la chefferie traditionnelle, aux syndicats, aux tenants des partis et des Eglises, ont fait l’expérience certes limitée d’un nouvelle gestion locale ».

  A propos de la politique culturelle sous la Révolution, Jean Pierre Guingané s’en tient prudemment  à de longues citations du Discours d’Orientation Politique, la description des structures de l’Etat et l’inventaire de quelques évènements marquants soulignant au passage que « la période révolutionnaire a fait de la culture un moyen d’agitation populaire » tout en reconnaissant qu’«on a vu des troupes sortir des casernes, des quartiers des villes des villages, de partout où la révolution avait réussi à instaurer une structure de base. »
Hamidou Diallo détaille l’évolution du paysage politique de l’extrême gauche voltaïque puis burkinabé mais on regrettera que l’essentiel de ses sources proviennent de Ludo Martens, qui a bénéficié du soutien du Front Populaire pour son ouvrage dont la thèse consistait à montrer que le 15 octobre donnait le signal d’un approfondissement de la Révolution.
 
 Nombre d’articles s’efforcent de couvrir la période 1983 -1993, ce qui permet de s’inscrire dans le mouvement historique mais laisse quelques frustrations quant l’analyse de la réalité de la période révolutionnaire. Quelques uns que nous n’avons pas cités ici se concentrent sur l’après 15 octobre. On ne peut cependant s’empêcher de sentir une certaine prudence des auteurs burkinabé travaillant à l’université de Ouagadougou.
 
 Il n’en est pas de même de René Otayek qui souligne, à partir de l’étude des législatives, les liens entre élections et course à la prédation. Il commence par resituer les élections dans un contexte culturel et politique (importation occidentale) en rappelant  que « le mot « voter » n’a pas d’équivalent dans les trois principales langues nationales » tout en s’insurgeant en fin de chapitre contre « le préjugé ethnocentrique sur l’incapacité des Africains à inventer la modernité ». Non sans auparavant avoir relevé les « manipulations imputées au pouvoir » il analyse ainsi la stratégie du pouvoir : « Le pouvoir et la richesse étant symboliquement et matériellement associés, les étaler avec ostentation participe d’une stratégie plus ou moins confusément pensé  s’assignant un double objectif : impressionner l’électeur et dévaloriser l’adversaire le tout dans le but d’apparaitre comme la meilleure protection possible… donc de capter le maximum de suffrages».

 Augustin Loada développe des thèses assez proches tant et si bien qu’on peut se demander si le titre de son article n’est pas tout simplement ironique. Aussi écrit-il dès 1994 à propos de l’éternel jeu de pouvoir qui consiste à intégrer régulièrement des partis d’opposition dans la majorité: « Cette quête obsessionnelle de la stabilité politique risque d’anémier la vie politique et de fausser le jeu démocratique ». Les présidentielles de 2005 et les municipales de 2006 élections ne viennent-elles pas confirmer la pertinence de cette analyse. Et plus loin il ajoute : « La déliquescence morale du Burkina Faso qui s’enorgueillit d’être la Patrie des hommes intègres illustre l’inanité du discours logorrhéique de l’élite dirigeante sur l’Etat de droit. Non seulement elle obère le Trésor Public, mais elle ruine également la politique de modernisation de l’administration dont on nous rabat les oreilles depuis 1991 ».. SIC!


Quelque soit les opinions que l’on peut avoir à priori sur la révolution, un tel ouvrage rassemblant pour la plupart des burkinabé ou des spécialistes du Burkina constitue un excellent apport si l’on veut approfondir la question. Quant la rectification, il contient certes des contributions prudentes et consensuelles, mais  il livre aussi  déjà des articles très critiques alors que la nature du régime n’a cessé depuis d’être dénoncée, derrière les apparences d’un Etat de Droit.
Avec les numéros 20 et 33 de la revue Politique Africaine consacrés au Burkina, publiés respectivement en 85 et en 89, cet ouvrage par son caractère collectif, a le double mérite d’améliorer en profondeur notre connaissance sur ce pays, de nous livrer de nombreux éléments d’analyse à même de se forger son opinion. Parmi les nouveaux ouvrages parus sur la Révolution, parfois écrit rapidement, souvent partisans, mais le plus souvent écrits par un seul, il constitue un apport original par sa diversité d’opinion, et sa richesse et sa proximité avec la réalité du terrain.

BJ

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

Saisissez votre commentaire svp!
SVP saisissez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.