Touwendinda Zongo
A la faveur du projet de construction du Mémorial Thomas Sankara, le Comité International pour le Mémorial Thomas Sankara(CIM-TS) a organisé une série de visites sur les lieux de la tragédie du 15 octobre 1987. Le temps a fait son œuvre mais le mythique conseil où le président Thomas Sankara a été assassiné est toujours chargé de mystères.
Situé au nord de la radio nationale du Burkina Faso, précisément au secteur 03 de Ouagadougou dans l’arrondissement N°01, le «Conseil» est un vaste domaine à l’accès très réservé jusqu’aujourd’hui. Les registres qui y trainent pèle mêle indiquent que l’accès aux lieux était conditionné par la maitrise de certains codes, notamment le mot de passe. A l’entrée, des agents de la Brigade Anti criminelle (BAC) de la police nationale veillent à l’identification et à l’orientation des visiteurs. «Foncez tout droit et tournez à gauche » indique l’un d’eux aux visiteurs comme nous, qui y mettons les pieds pour la première fois en ce jour du vendredi 19 mai 2017.
Une épave d’un char militaire est située à la porte. Un arbre, en l’occurrence un nimier géant qui s’est incrusté entre les roues et le pare choc de l’engin situe le visiteur sur le temps de l’immobilisation de celui-ci en ces lieux. Ce char n’est pas le seul engin militaire à y être immobiliser. On peut y dénombrer au moins cinq autres engins de même nature. Certains n’étaient pas loin de découvrir l’autre volet du conseil : le musée à ciel ouvert des engins lourds de l’armée. Le Colonel à la retraite, Bernard Sanou, président du CIM-TS a expliqué que ces engins proviennent de l’armée malienne. Ce serait donc une partie du butin de guerre arraché par les troupes burkinabè lors de la guerre de noël qui a opposé le Burkina Faso à son pays frère et voisin du Mali en 1985. A côté, des manguiers géants et très ombrageux ploient sous le poids de leurs fruits, faute certainement de cueilleurs. Même les oiseaux, d’ordinaire friands de ces genres d’aubaines ne se bousculent pas sur ces arbres fruitiers pour se régaler.
Plus loin, on aperçoit à droite un bâtiment de couleur rouge et blanc. Il est construit avec des briques en latérite et du béton. Quelques lits en fer sont disposés devant ce bâtiment baptisé « Burkina » comme on l’apprendra plus tard.
En effet, chaque pays membre du Conseil de l’entente avait un bâtiment baptisé en son nom. On avait donc des villas « Côte d’Ivoire », «Togo »,« Burkina», « Niger» et « Bénin». Ce bâtiment situé au centre du conseil est visiblement le quartier général des agents
commis à la garde des lieux. C’est ce bâtiment baptisé « Burkina» qui a abrité la rencontre qui avait réuni le président du Faso Thomas Sankara et ses compagnons d’infortune cet après midi du jeudi 15 octobre 1987. Et c’est au bas de cette maison qu’il s’est écroulé sous les balles assassines de ses bourreaux. Cette découverte a aiguisé la curiosité des visiteurs
composés d’architectes, de journalistes et de membres du Comité International pour le
Mémorial Thomas Sankara. Mais la curiosité ne sera pas totalement satisfaite parce que la dite maison est restée close. Selon certaines sources, après les événements du 15 octobre 1987, le bâtiment aurait été occupé par Gilbert Diendéré qui en aurait fait ses bureaux
jusqu’au démantèlement du Régiment de sécurité présidentielle( RSP) en septembre
2015.
Du reste, les clés de l’infrastructure seraient toujours entre les mains d’un militaire proche du Général Diendéré. Comme pour confirmer cette évidence, une carte de visite de Gilbert Dienderé traine dans la cours du conseil et a focalisé l’attention de certains visiteurs.
Bien que celle-ci date de la période où il n’était que colonel de l’armée, elle n’a pas été détériorée malgré son âge et les intempéries. « Cette carte a été imprimée sur du papier
blindé» ironise un visiteur. Ceux ou celles qui détenaient cette carte faisaient partie des privilégiés car elle contient toutes les adresses de l’ex patron du RSP : boite postale,
numéros de téléphone fixe et cellulaire.
François et Diendéré, dans le secret des lieux pendant 27 ans
Mais Diendéré n’était pas le seul à squatter les lieux ou les locaux du Conseil. L’autre homme de main du président Compaoré, son petit frère François y avait aussi installé ses pénates. Précisément à la « villa Togo ». Si nul n’a pu voir le contenu et l’intérieur de ce qui est présenté comme le bureau de Diendéré, celui de François est par contre accessible à souhait. Il est même sens dessus-dessous et il se susurre que le bureau aurait été vandalisé. Par qui et à quel moment? Serait-ce aux lendemains de l’insurrection populaire d’octobre 2014 ou après le coup d’Etat manqué du général Diendéré suivi du démantèlement et de la dissolution du RSP? Le mystère demeure entier.
Une simple observation de l’environnement permet de comprendre que certains documents et certaines archives ont été volontairement détruits. Mais même de ce qu’il en reste, ne laisse pas non plus indifférent. Des piles de journaux de toutes les sensibilités qui datent de la fin des années 90 et du début des années 2000. Cela correspond à la période chaude de l’affaire Norbert Zongo. Ces titres avaient été certainement compulsés et épluchés à l’époque par Francois Compaoré et ses collaborateurs. Mais si des titres s’y trouvent en petite quantité (un ou deux exemplaires par numéro), par contre, le volume des exemplaires de certains journaux ne manque pas d’intriguer. Des lots entiers de titres comme L’Opinion et l’Hebdo aujourd’hui disparus dans les kiosques – sont entreposés dans ce bureau.
On y remarque aussi la présence de lots de T.Shirts confectionnés à l’occasion des campagnes électorales précédentes de même que des posters et les bulletins d’information de la direction nationale de la campagne de l’ex parti au pouvoir le CDP ou de son candidat. Une pile de cartes de visite de François Compaoré traine dans un carton à coté de quelques photos montrant des personnalités s’égayant lors des soirées ou des événements mondains. On retrouve ça et là des documents commandés comme le «Résumé du livre de Claire Chazal sur la vie de Monsieur Edouard Balladur homme politique français » ou des lettres de demande de soutien comme celle de O.J., cet étudiant de son état et fils d’un soldat qui devrait être bien connu du maitre des lieux. L’intéressé qui demandait le soutien et la caution de François Compaoré pour entrer dans les affaires a introduit sa lettre par « je suis le fils du Caporal…». C’est à quelques détails près la réplique des objets retrouvés au domicile de l’ancien leader de Fédération des associations pour la paix avec Blaise Compaoré FEDAP/BC. Le bâtiment a plusieurs pièces, et tout laisse croire que chaque pièce avait été utilisée soit pour ranger des documents ou des gadgets, soit pour des bureaux au point qu’il est difficile de situer avec exactitude l’usage des locaux par le petit frère et conseiller économique de Blaise Compaoré tant le bureau dans sa réalité se confondait à un magasin d’Etat.
La statuette de Blaise Compaoré
Lors de la visite le 19 mai dernier, si les ombres et les traces du Général Diendéré et de François Compaoré planent toujours sur les lieux à travers les archives et les documents qui leurs sont attribués, Blaise Compaoré par contre y est quasiment invisible. Excepté une statuette à son effigie dressée à l’entrée d’une villa, rien ou presque de visible ne semble témoigner d l’influence ou de la présence de l’ancien président emporté par l’insurrection populaire dans ce milieu.
La célèbre prison du conseil toujours débout
Depuis les évènements du 15 Octobre 1987, le Conseil de l’entente qui passait pour être le quartier général du Conseil national de la Révolution est devenu en l’espace d’une soirée, un endroit lugubre. Ce lieu est annexé et indexé pour les différents dossiers de crimes de sang qui continuent de hanter les tiroirs du régime Compaoré. Des vies d’illustres personnages ou d’anonymes y ont été ôtées. Mais le dénominateur commun de tous ces crimes est que leurs circonstances n’ont pas encore été élucidées. Thomas Sankara et ses douze compagnons assassinés en octobre 1987 attendent toujours la justice; l’étudiant en médecine Dabo Boukary y a mystérieusement disparu en mai 1990 et son dossier est toujours pendant en justice. Avant lui, Guillaume Séssouma qui y était entré en septembre 1989 n’y est plus ressorti et n’a plus donné signe de vie. Une partie du conseil est occupée par des tombes dont on ignore jusque-là, l’identité des occupants et les circonstances de leur mort. Dans l’enceinte du Conseil, une petite maisonnette d’à peine deux (2) m2 n’a pas manqué d’intriguer les visiteurs. Ses murs de l’intérieur portent des écritures incrustées et écrites certainement par des âmes en détresse avec des objets de fortune. Ces messages disposés pèle mêle faisaient tous l’apologie de la vertu et proclamaient la foi en Dieu. A défaut d’un guide avisé et averti pour présenter le Conseil avec tous ses mystères, certains visiteurs n’ont pas manqué de conclure -selon leur intuition bien sûr- que la maison faisait office de prison et que les graffitis seraient l’œuvre des prisonniers en détresse qui attendaient leur exécution dans l’antichambre de la mort: le purgatoire.
Historique du Conseil de l’entente
Le conseil a une superficie de 3, 8 ha. Il fut le siège de l’organisation régionale Ouest Africaine éponyme qui regroupait les pays suivants : Le Burkina Faso, le Benin, le Niger, la Côte d’Ivoire et le Togo. En août 1984 ce lieu est devenu le siège du Conseil National de la Révolution (CNR), jusqu’à l’avènement du Front Populaire en octobre 1987. Durant la période du front populaire et du régime de Blaise Compaoré, le Conseil de l’Entente a été le QG du Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP), où certains officiers de l’armée avaient établi leurs bureaux. En 2015, le Conseil de l’Entente a été cédé au Ministère des affaires étrangères qui l’aurait cédé à son tour au Comité international pour le Mémorial Thomas Sankara aux fins de la réalisation du projet, à en croire une source de cette association.
Extrait de la déclaration liminaire de la conférence de presse de lancement du concours architectural
« Le conseil de l’entente reste historiquement le foyer de la révolution burkinabè, son épicentre, un espace où poussaient les espoirs des opprimés. Si ce site a pris une connotation de terreur et semble hanter négativement les esprits, il nous parait important de ne pas céder à cette falsification du rôle important dont il a été investi sous le CNR. L’image de SANKARA permettra de laver toutes les souillures des horreurs qui s’y sont passées. Il ne doit pas rester hanté et craint par les citoyens et mérite de devenir un lieu populaire pour dire que le peuple a triomphé des tortures, des assassinats, des pleurs, des angoisses et lamentations et recouvre son statut d’antan. Les locaux du bureau du capitaine président et ceux de sa dernière réunion et les fameux couloirs du drame étant encore présents, il nous semble incontournable comme site au regard de sa charge et de la nature du projet actuel. Enfin pour paraphraser THOMAS SANKARA lui-même qui disait : « La ou s’abat le désespoir s’élève la victoire des persévérants », nous disons à notre tour que, là où SANKARA a été tué c’est là où il faut le faire renaître, le ressusciter au grand dam de ces bourreaux qui avaient cru l’avoir tué ! »
Touwendinda Zongo
Source: Mutations N°126 du 1er au 14 juin 2017 respectivement à la page N°9 et 10.