Par Damien Glez
Depuis l’assassinat, lundi matin, du président bissau-guinéen Joao Bernardo Vieira, des souvenirs refluent dans l’esprit des Burkinabè. C’est à la faveur du meurtre du président Thomas Sankara, en 1987, que l’actuel numéro un du Burkina Faso arrive au pouvoir. Le petit pays enclavé n’a pas le monopole de cette brutale technique d’alternance. Ni même l’Afrique de l’Ouest. En quarante ans, trente chefs d’Etat ou de gouvernement ont été tués sur le continent. Il est vrai que l’ancienne Haute Volta est coutumière des coups d’Etat, mais le dernier -le dernier?- fut le plus sanglant.
Si l’on n’y respecte pas le protocole, on ne s’embarrasse pas non plus de hiérarchie militaire : le “père de la nation”, le civil Maurice Yaméogo, est dirigé vers la sortie, en 1966, par le militaire Sangoulé Lamizana. En 1980, le général Lamizana est renversé par le… colonel Saye Zerbo, lui même démis, en 1982, par le… commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, lui-même renversé, l’année suivante, par le… capitaine Sankara. C’est précisément le 4 août 1983 que Thomas Sankara déclenche, en Haute-Volta, une révolution marxiste tropicalisée. Il est épaulé par le capitaine Henri Zongo, le commandant Boukary Lingani et, surtout, le capitaine Blaise Compaoré. L’ancienne colonie française est rapidement rebaptisée Burkina Faso, ce qui signifie «pays des hommes intègres» dans une combinaison linguistique mooré/dioula. Le flamboyant Sankara et le taciturne Compaoré finiront par jouer la partition de Danton et Robespierre. Le jeudi 15 octobre 1987, le camarade Sankara, président du CNR – le Conseil national de la révolution – tombe sous les balles d’un commando. Son certificat de décès indique une «mort naturelle» et son corps est enseveli en catimini.
Le nouveau président Compaoré, précédemment ministre d’Etat chargé de la Justice, promulgue la «rectification» et regrette publiquement «qu’à un moment de sa vie, un ami ait pensé à nous liquider». En off, les tenants de la Rectification invoquent une «légitime défense». Sankara aurait eu le projet de tuer Compaoré le même soir. Il en irait des révolutionnaires comme du paludisme : il vaut mieux prévenir que guérir… Aucun sergent ni aucun caporal n’aura, depuis, continué à saper la pyramide de la hiérarchie militaire. Le pouvoir de Compaoré semble verrouillé. Il a anesthésié le paysage politique burkinabè en spéculant sur un manque de culture démocratique populaire, sur des budgets de campagne incommensurables, sur l’allégeance des réseaux de chefs traditionnels, sur la coopération des opérateurs économiques friands de retours d’ascenseur, sur la bienveillance des chancelleries et même sur l’asservissement consenti de soi-disant opposants.
Si l’ombre de Thomas Sankara plane encore, c’est sous la forme d’une icône romantique à dimension continentale, dans les lyrics du rappeur sénégalais Awadi ou du reggaeman ivoirien Alpha Blondy. A Ouaga, le visage de Thom’ Sank’ s’affiche sur les autocollants ou les posters, aux côtés de l’idéogramme Ernesto Guevara. Si l’on pratiquait, au Burkina, des sondages d’opinion plus qu’embryonnaires, nul doute que, vingt-deux ans après la mort de Sankara, 90% de la population se déclarerait sankariste. Le charismatique ancien président est toujours dépeint comme un symbole de probité et de souffle idéologique.
Pourtant, le sankarisme qui comptait quatre candidats à la présidentielle de 2005 n’a pas réuni 10% des suffrages. Dans les “chaumières”, on a encore le béguin pour les slogans à la phraséologie toute révolutionnaire : «réduisons le train de vie des dirigeants africains», «consommons local», «condamnons les corrompus», «ce qui sort de l’imagination de l’homme est réalisable par l’homme».
Mais les quatre années d’Etat d’exception «sankariste» ont aussi été celles d’un vague relent autoritariste, d’un soupçon de populisme, d’une pincée de militarisme parfois mercenaire; Et de résolutions plus facile à cautionner intellectuellement qu’à appliquer à soi-même : «opération ville blanche» dans une contrée balayée par un harmattan chargé de poussière rougeâtre, exclusivité à la cotonnade traditionnelle «Faso Dan Fani», suspension -pour un an- des loyers, etc. Les héritiers idéologiques de feu Sankara attendront encore l’onction électorale, le temps de réécrire quelque peu leur pensée parfois naïve à force d’être volontariste. Quant aux héritiers par le sang -la veuve et les deux fils se sont exilés à Montpellier-, ils attendront encore plus longtemps un dénouement judiciaire. Le Comité des droits de l’Homme de l’ONU donnait raison à la famille Sankara contre l’Etat burkinabè, le 5 avril 2006, dans ce qu’il nommait un « déni de justice », suite à l’infructueuse démarche judiciaire initiée contre X au Burkina en 1997. Mais les Nations Unies ont d’autres chats à fouetter. Blaise Compaoré ne leur semble plus menaçant…
Damien Glez
05 Mars 2009
Source : http://www.mediapart.fr/