Les événements du 15 Octobre 1987 : Les journalistes au service du Front populaire
Sidwaya a été créé dans l’euphorie révolutionnaire en 1984 pour "mobiliser et conscientiser le peuple". Il est venu renforcer un autre titre Carrefour Africain qui paraissait déjà depuis la fin des années 1950. Le seul canard privé de l’époque était L’Observateur. Il a été incendié en juin 1984 par des excités dont certains ont été après des acteurs de l’avènement de la "Rectification". A l’avènement du Front Populaire, des journalistes se sont illustrés dans la propagande. Avec leurs plumes, ils ont aidé à asseoir un pouvoir qui avait les mains sales.
Parmi ceux qui se sont illustrés dans ce travail, il y en avait qui venaient des écoles de journalisme, mais qui étaient militants d’organisations de gauche compte tenu du contexte de l’époque. Il fallait être "techniquement compétent et politiquement conscient" selon la formule de la Fédération des étudiants de l’Afrique noire en France (FEANF). Ces derniers vont accompagner leurs organisations qui étaient partie prenante dans le putsch d’octobre 87.
La deuxième catégorie de journalistes a été ceux recrutés par le Secrétariat général national des CDR, qu’on appelait en son temps les journalistes révolutionnaires. Certains de ces hommes de médias étaient aussi enrôlés dans les groupuscules de gauche qui ont pris une part active à l’avènement du Front populaire. Issaka Lingani, un des leurs, dans Carrefour Africain n° 1010 du 30 octobre 1987 titrait son article : "Pour un poste, le "lion" s’embourbe". Dans son attaque, il s’en prenait (déjà) à la presse internationale en des termes peu amènes : "La presse internationale a largement commenté ce qu’elle a appelé tantôt "la rébellion du lion" tantôt "la dissidence" tantôt "l’opposition solide au mouvement du 15 octobre". Elle a ouvert la "Une" de ses journaux écrits ou parlés sur la question. Recherche de sensation oblige, elle a souvent déformé les faits et dramatisé la situation."
Pour l’actuel directeur de publication de L’Opinion, journaliste acquis au processus de "Rectification", Boukary Kaboré dit le lion était atteint de démence : "Ce n’est pas un coup de tête, bien qu’il ne soit pas totalement en possession de ses sens. Sankara avait compris l’homme. Vantard platement ambitieux, se prenant pour Zorro, l’homme était facilement corruptible parce que tous les moyens étaient bons pourvu que gloire et honneur des mânes du ciel descendent sur lui".
A l’occasion d’une cérémonie de présentation de lettres de créances des ambassadeurs qui s’est déroulée dans le Houet et qui a connu la présence effective du président du Front populaire, Blaise Compaoré, Joseph Kahoun, alors rédacteur à Carrefour Africain, revenant sur l’événement dans le n° 1015 du 4 décembre 1987, cite Blaise Compaoré et s’épanche sur un commentaire : "Nous n’avons pas de leçon à donner, mais une expérience à partager, comme nous cherchons du reste à partager aussi l’expérience des autres peuples." Par ces mots, soutient Kahoun, "le président du Front populaire ne faisait que traduire en des termes on ne peut plus courtois, mais reflétant avec une profondeur insondable les sentiments réels de notre peuple qui aspire à une coopération sincère et juste avec les autres peuples. Il est désormais loin le temps des injures vulgaires, des slogans sans signification profonde, du verbiage insensé dont nous avions l’habitude même à des occasions solennelles croyant à tort sans doute que plus on insulte, plus on s’affirme. Or c’était confondre naïvement la grandeur à la boursouflure."
Michel Ouédraogo, l’actuel Délégué général du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), quant à lui, décriait ce qu’il a appelé les "élans messianiques" du CNR dans le spécial 15 Octobre 1988 à travers ces propos. "En effet, le peuple était déçu d’une révolution qui n’était plus une. Tous les espoirs placés en la révolution s’en allaient en fumée. Les erreurs de direction associées aux prestidigitations politiques et élans messianiques ont fini par isoler des responsables politiques qui se sont mus en dictateurs amateurs. Or en politique, l’amateurisme et les actions spontanées sont à bannir".
Issaka Lingani dans le même journal, le 15 janvier 1988 n°1021, sur la crise qui aurait occasionné le drame du 15 Octobre, écrivait "Dès le 5 août 1983, il a été (Blaise) lui et ses camarades attaqués, il n’a pas répondu. Ils l’ont été aussi à des multiples fois par des complots, des attentats et des dénigrements. Des simples agents de la Présidence du Faso ont adressé des lettres au ministre d’Etat qui était le camarade Blaise Compaoré pour lui donner des ordres. Les plus récents complots sont ceux du 8 et 15 octobre. Le dernier par son caractère monstrueux a contraint à l’action. C’est pourquoi, a dit le camarade président : "nous avons choisi le camp du peuple. Pour la disparition d’un homme. Nous avons choisi de défendre l’interdiction de l’assassinat de tout un peuple."
Ces journalistes n’ont pas été les seuls à défendre le Front populaire au moment où il balbutiait. Au lendemain du 15 Octobre, Issaka Luc Kourouma se faisait le lecteur des communiqués injurieux à l’endroit de Sankara qui viendraient des permanences CDR alors que lesdits communiqués étaient rédigés sur place à la radio. Gabriel Tamini s’est illustré dans les invectives. On dit qu’il a pris une part active dans les événements du 15 Octobre. Par contre, lui-même explique dans une interview à Sidwaya qu’il a été surpris par les événements.
Activiste dans une organisation de gauche, ses bêtes noires étaient les militants de l’Union de lutte communiste reconstruite (ULCR) de Valère Somé. Patrice Diéssongo a aussi joué un rôle dans la propagande du Front populaire.
Tous ont voué Sankara aux gémonies pour sa "dérive droitière". 21 ans après, si le coup s’était produit aujourd’hui, ils auraient été bien embêtés. Le crime qu’ils reprochaient à Sankara est devenu aujourd’hui "le bon sens". Avec le recul, Sankara peut se réjouir d’avoir été plus visionnaire que les perspicaces journalistes de l’époque. C’est ça aussi l’histoire : "les paroles s’envolent. Les écrits restent".
Merneptah Noufou Zougmoré
Source : L’Evènement du N°150 du 25 octobre 2008 (voir à http://www.evenement-bf.net/pages/dossier_1_150.htm )