On l’appelait Askia Vincent Sigué, l’ ex-ange gardien de Thomas Sankara

Selon les historiens de la révolution burkinabè, l’élément déclencheur des événements du 15 octobre 1987 ont un seul nom : Askia Vincent Sigué. L’homme à qui devait revenir la sécurité personnelle du Président Thomas Sankara. Ceci, au terme d’une réorganisation devenue nécessaire à la suite de divergences profondes intervenues dans la conduite du magistère politique de l’époque. Mais qui était cet homme que l’on disait tant redouté ? "Le mercenaire Vincent Sigué." Telle est la  terminologie utilisée dans le discours officiel après le 15 octobre 1987, pour désigner celui qui, jusqu’au bout, aura fait figure d’ange gardien pour le compte de son "idole".

A en croire certaines sources, il s’en serait voulu de n’avoir pas été présent ce jour-là. Si tel avait été le cas, aurait-il pu, à lui tout seul, changer quelque chose dans le cours des événements?

Une chose est certaine, l’homme faisait peur. Il inspirait surtout la crainte à ceux-là qui s’inquiétaient de sa trop grande proximité avec Thomas Sankara, le président du Faso. Sans doute était-ce à cause justement, de ce qu’ils préparaient depuis longtemps, et dont la présence de ce "chien de garde", extrêmement méfiant et suffisamment dissuasif, gênait constamment la mise en oeuvre. Pas un pas  sans son maître. Ainsi était-il de celui-là que nous désignerons tout le long de ce dossier, par les initiales de "AVS".

De fait, le jeune homme que le Premier ministre d’alors Thomas Sankara accepte enfin de recevoir en cette année 1983, a un curriculum vitae bien rempli et une réputation toute faite : Solide gaillard au corps balafré par les nombreuses bagarres de rues collectionnées ça et là, il affectionne la compagnie des armes à feu, et n’hésite pas à jouer sur les effets d’intimidation : grenades par-ci, pistolets par-là, couteau de l’autre… En un mot, la mise en scène est impeccable. Surtout pour un soldat qui, disait-on, affectionnait aller au combat.

De toutes les manières, il était bien disposé à faire le pied de grue, et à attendre son heure. Quitte à entrer dans de plein pied dans son sacerdoce, avant d’en avoir été investi. Sur-le-champ, le capitaine Premier ministre se prend d’admiration pour son interlocuteur, et décide de l’inclure intuitu personae dans l’équipe de sa sécurité rapprochée. Cette dernière, c’est une évidence jusque-là, est encore trop dépendante des para commandos de Pô, lesquels sont placés sous l’autorité directe d’un autre capitaine : Blaise Compaoré.

Pour "AVS", commence alors une nouvelle vie. Après ses démêlés avec la justice hexagonale, il a l’occasion, chez lui au Burkina Faso, de défendre la cause de Thomas Sankara, et de garantir la réputation qui est la sienne : celle d’un baroudeur physiquement et mentalement apte. Sans coup férir, la jeune recrue multiplie les effets visuels. Au point de s’entourer constamment de mystères. Son nouveau statut lui sera bénéfique à la suite d’interpellation dont il sera l’objet de la part de la police française, alors qu’il est de passage aux pieds de la Tour Eiffel.

Interpellé, il est aussitôt relâché. "Immunité diplomatique" oblige ! Pour l’homme à la barbichette, la consécration est totale, car il a la confiance de son patron, et ne se prive pas d’en profiter comme il  se doit. Par contre, sa compagnie n’enthousiasme guère dans certains cercles, où l’on voit d’un mauvais oeil, l’irruption sur la scène, d’un homme considéré à tort ou à raison comme un "intrus" et un "voyou". Pour ces derniers, l’objectif est donc clair : limiter au maximum son influence et sa progression dans l’organigramme politico-sécuritaire, à défaut de ne pouvoir la réduire complètement. Face à la volonté manifeste de l’écarter, "AVS" trouve un soutien de poids en la personne du président himself, et de quelques proches, résolus et déterminés à ne pas lâcher le morceau. Sans doute, ces derniers ont-ils compris que dans ces attitudes de mauvais garçon ouvertement revendiquées par Sigué, il y avait de la sincérité, et un vrai attachement…

La pomme de discorde La "Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale", en abrégé, (FIMATS ). Voilà la pomme de discorde entre les anciens compagnons de la révolution du 4 août 1983. Il s’agissait selon toute vraisemblance, d’une unité spéciale, qui devait relever de la tutelle du ministère de l’Intérieur. Ou plus exactement, du ministère de l’Administration territoriale, dirigé à l’époque par Ernest Nongma Ouédraogo, aujourd’hui opposant farouche au régime de Ouagadougou. Dans ses attributions, la Fimats devrait assurer la police de la révolution, en mettant un point d’honneur à lui garantir une marche aussi radieuse que possible. Elle avait également inscrit sur sa feuille de route, la responsabilité de la sécurité des hautes personnalités de l’Etat : un vaste programme en perspective!

Initialement, cette force devait compter quelques centaines de soldats soigneusement triés sur le volet, et équipés en conséquence. Bien que l’effectivité de cette force tarda à se dessiner sur le papier, en raison de difficultés évidentes, ses contours physiques avaient déjà pris forme, dans le Burkina profond. Comme on le voit donc, le Président était bien décidé à passer outre les réticences émises, pour mieux asseoir son projet. Et de toutes les manières, sauf à avoir un agenda caché, la nouvelle "Fimats" n’avait pas à susciter tant de polémiques. En fait, l’enjeu est tout autre : la mise sur pied de cette véritable armée dans l’armée constituerait un solide bouclier pour le président, qui se verrait ainsi débarrasser d’une contradiction : celle qui consistait à remettre les clés de sa propre sécurité entre les mains de "camarades" qui prenaient de jour en jour, des airs de potentiels rivaux.

En cette année 1987 en effet, les contradictions internes se font jour à l’intérieur du Conseil national de la révolution (CNR). Celles-ci sont étalées sur la place publique, avec des jets de tracts, particulièrement féroces. En peu de temps l’atmosphère politique est polluée, tandis que les positions se crispent. Plusieurs leaders de la révolution, et non des moindres alimentent le foyer, en divulguant des informations officiellement tenues secrètes. Ce qui en rajoute à la nervosité déjà palpable, à travers les rumeurs savamment distillées pour les besoins de l’intox. Naturellement, tout ceci fait désordre, surtout qu’à la contestation, se mêlent désormais de graves problèmes de discipline.

Cahin-caha, le navire révolutionnaire prend l’eau de toutes parts. L’on susurre même que le Président serait en danger. Contre qui? Violente question à laquelle le concerné refuse de répondre. Se contentant de colmater les brèches. Alors que dans le camp d’en face, le scénario est déjà au point, et n’attend plus que le feu vert de son géniteur pour être mis en route.

L’idée de cette Fimats est soufflée au président par ses proches. Ces derniers sont convaincus qu’il faut donner des signaux forts au niveau de la direction. De guerre lasse, Thomas Sankara finit par s’y résoudre. C’est à croire que lui-même avait senti le vent souffler.

"AVS" lui n’en demandait pas tant. Mais qu’allait-il apprendre au juste aux soldats d’une armée nationale, lui dont on dit qu’il n’avait jamais été enrôlé? Bien malin qui saurait y répondre…Dans la soirée du 15 octobre, après la tuerie du conseil de l’Entente, la chasse aux sorcières est lancée. Elle a pour but de dénicher et de "neutraliser" les collaborateurs du capitaine Sankara.

Dans ce contexte, Askia Vincent Sigué est une cible privilégiée. Activement recherché par des gens, qui à l’évidence, n’ont pas l’intention de l’arrêter, encore moins de discuter avec lui, il est dénoncé puis froidement abattu alors qu’il tentait de gagner le Ghana voisin.

H. L.

Source : Libérateur N°39 du 5 au 19 septembre 2007

 

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