Nous continuons la publication des articles de Mohamed Maïga, qui signe ici d’un pseudonyme, Koffi Mamane. Journaliste d’Afrique Asie, proche de Thomas Sankara il a publié de nombreux articles de décembre 1982 à décembre 1983, la période de préparation de la Révolution et les premiers mois de la Présidence de Thomas Sankara. Dans cet article, il commence à raconter le conflit entre les militaires proches de Thomas Sankara et de Blaise Compaoré, et ceux qui ont soutenu le putsch du 17 mai, qui a écarté Sankara du poste de premier ministre.  Pour situer ces évènements dans l’histoire de la Haute Volta qui deviendra le Burkina, vous pouvez consulter la chronologie à https://www.thomassankara.net/chronologie/. Cet article a été retranscrit par Bruno Jaffré, membre de l’équipe du site. Vous trouverez l’ensemble des articles de Mohamed Maïga à https://www.thomassankara.net/?s=Mohamed+Ma%C3%AFga

La rédaction du site


Le pouvoir piégé

Les auteurs du putsch du 17 mai semblent avoir joué avec le feu; ils pourraient bien s’y brûler.

Six semaines après le coup de force dirigé contre la gauche civile et militaire, le nouveau pouvoir voltaïque est comme pris dans sa propre trappe : la « normalisation » s’avère des plus difficiles, sinon impossible. La garnison de Pô, commandée par le capitaine Blaise Compaoré, demeure maîtresse du eu politique voltaïque alors que d’autres bases militaires de l’intérieur manifestent ouvertement leur désapprobation quant a la manière dont le chef d’Etat, le médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, a couvert le putsch du 17 mai. Des sources sérieuses font état de possibles contacts entre Pô et ces bases hostiles à Ouagadougou pour faire clairement comprendre aux dirigeants de la capitale qu’ils sont non seulement isolés, mais qu’ils ne détiennent pas toutes les cartes d’un jeu redoutable.

On comprendra dans ces conditions qu’une psychose de l’encerclement et de l’isolement ait saisi les hommes forts de Quaga. La preuve en a été donnée le 13 mai. Ce jour-la, l’adjoint du capitaine Compaoré, qui s’était rendu dans la capitale pour prendre part à une réunion des officiers voltaïques, était mis aux arrêts. Alerte à Pô où des camions furent mis en mouvement. Ouaga aussi sonnait l’alerte, annonçant une attaque de Pô. Peur panique, alors que, par sympathie pour Pô, les soldats de la capitale refusaient de prendre les armes. Les colonels? Introuvables. Les clairons ont sonné jusqu’au matin quand on s’est rendu compte qu’il n’y avait aucune attaque de Pô. Et les Ouagalais d’y aller de leurs quolibets.

D’autre part, fruit de leur isolement, on prête même aux dirigeants l’intention de faire appel, «  au cas où », à l’intervention de troupes étrangères. L’appui de ceux qui estiment cette thèse plausible : les rumeurs sérieuses selon lesquelles, au lendemain même du putsch du 17 mai, le ministre des Affaires étrangères, Michel Kafando, qui se trouvait à Paris, aurait tenté de persuader ses interlocuteurs français de signer des accords militaires n’excluant pas une « intervention en cas d’agression extérieure contre la Haute-Volta ». L’expérience a prouvé que ce genre d’agression facile à fabriquer de toutes pièces.

Mais dans des milieux proches de l’Élysée, on dément formellement d’autres rumeurs persistantes qui font état de la présence, dans deux hôtels de d’une centaine de commandos français venus d’une part comme force d’appui psychologique, d’autre part comme stratèges en vue de dissuader les éléments de Pô ». Cela donne une idée de l’atmosphère qui règne à Ouaga et c’est dire que depuis le coup d’Etat du colonel Somé Yorian, les risques de confrontation violente s’accumulaient au sein des différentes composantes de l’armée nationale alors que la marge de manœuvre du pouvoir ne de se rétrécir. Ainsi Blaise a-t-il dicté une à une ses premières conditions.

D’abord, le départ de «  Cube Maggi » (Somé Yorian) de la tête de major général des armées. Il est maintenant secrétaire général du ministère de la Défense-Comité de défense. Il n’en reste pas moins encore l’homme fort du régime : en outre, un de ses fidèles occupe, par intérim, le poste qu’a quitté « Cube Maggi ».

Ensuite, le retour à Ouaga, puis la complète libération de Thomas Sankara et de Boukari J.-B. Lingani, tous deux affectés, depuis le 17 juin, au camp militaire Guillaume Ouedraogo, le plus important de la capitale. Enfin, l’engagement pris par les autorités de Ouaga qu’il n’y aura pas d’intervention de troupes étrangères dans les affaires voltaïques. En contrepartie, les uns et les autres optaient pour la décrispation de la situation militaire pour calmer les civils, de plus en plus gagnés par la peur, en particulier dans la capitale. Cette décrispation a été notamment obtenue lors de la réunion, le 16 juin, de tous les officiers voltaïques. C’était, pour le capitaine Compaoré, la première occasion de se rendre à Ouagadougou depuis le coup de ” Cube Maggi”. Le soir même, il regagnait Pô après avoir accepté que chaque unité militaire se replie sur sa base. Il est toutefois à craindre qu’il ne s’agisse la, de la part du pouvoir, d’une manœuvre pour gagner du temps. Car il sait qu’une action des hommes de Pô leur assurait la prise du pouvoir.

Manœuvre, parce que, à terme, la cohabitation s’annoncera impossible entre les officiers du 7 novembre 1982 et la vieille garde militaire. Que ferait le pouvoir actuel s’il arrivait à avoir les reins solides »? Exclure les jeunes capitaines des rangs de l’armée? C’est une hypothèse répandue dans certains cercles de la capitale. Alors, accalmie piège? Peut-être. Signe particulier de la faiblesse du régime et du fort mécontentement dans l’armée : vers le 15 juin, des paras-commandos chargés de la sécurité du chef de l’État et le chauffeur de celui-ci se sont enfuis pour rejoindre les hommes de Pô. Il a fallu, en toute hâte, revoir la sécurité du président. Plus important : des civils, jeunes et vieux, se rendent en masse à Pô témoigner leur appui à la garnison locale et au capitaine Compaoré, l’homme clef de l’incertaine situation actuelle. Ces civils se disent prêts à grossir les rangs de la garnison si nécessaire. Près de deux mois après le putsch de la droite, il est maintenant évident que les colonels et leurs hommes de main, mauvais apprentis sorciers, ont joué avec le feu, faisant de la Haute-Volta une poudrière qui pourrait bien leur brûler les mains

Koffi Mamane

Source :  Afrique Asie N°299 du 4 juillet 1983.

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