Hamed NABALMA

Quotidien La Pays, publié le lundi 6 août 2012

Le 4 août 1983, un groupe de militaires s’empare du pouvoir en Haute-Volta et met en place un régime révolutionnaire. Les acteurs clés du nouveau régime sont connus : Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Boukary Lingani et Henri Zongo. Mais après 4 années de pouvoir révolutionnaire, des contradictions au sein de l’organe dirigeant, le Conseil national de la révolution (CNR), le régime du capitaine Thomas Sankara s’écroule le 15 octobre 1987. Ainsi va naître le processus de rectification avec à sa tête Blaise Compaoré. A l’occasion du 29e anniversaire de la révolution d’août 1983, commémoré discrètement samedi dernier, nous avons approché différentes couches sociales du Yatenga, qui donnent leur appréciation de la période révolutionnaire.

Macky Traoré, ancien chef des pionniers du secteur 7 de Ouahigouya, comme s’il était encore nostalgique de la chose, était le 4 août 2012 aux environs de 14 heures, à l’ancienne permanence des CDR de son secteur. Il garde toujours un souvenir vivace de la révolution : « Je revois encore l’image de la révolution comme si c’était hier : les pionniers que nous étions, les CDR, l’armée. Aux côtés des adultes, nous les pionniers, nous apprenions à manipuler les armes. Comme j’étais le chef des pionniers, il m’arrivait de donner des ordres à mes compères qui les respectaient scrupuleusement. Nous avions la fibre patriotique dans le sang et c’est ça qui me plaisait dans la révolution. Même étant tout petits, nous étions éveillés, prêts à défendre la patrie en tout temps. C’est ce que je garde de la révolution. Un autre fait qui m’a le plus marqué, c’est d’avoir serré la main du président de l’époque, Thomas Sankara. Ce fut un moment émouvant. On lisait les discours devant les hautes autorités de l’Etat sans avoir la moindre crainte. C’est dire que l’éducation qu’on recevait en famille et en classe se complétait. On apprenait le jardinage, la maçonnerie, la couture, la menuiserie. » Nostalgique de la révolution, oui. Mais Macky Traoré est-il pour le retour de la révolution au pays des Hommes intègres ? A cette question, notre interlocuteur répond par la négative : « Je suis contre l’instauration d’un régime révolutionnaire au Burkina Faso, qui est incompatible avec la démocratie. En démocratie, la libre expression libère les consciences et permet de construire un monde de liberté et de justice. Or, dans un régime révolutionnaire, toutes les bouches sont cousues parfois de fils rouges. Vous voyez la différence ? Mais ne cherchez pas loin, si la révolution était une bonne chose, le pays le plus puissant au monde et le plus démocratique, les USA, serait révolutionnaire. On n’a pas besoin de révolution pour une nation qui se veut respectueuse comme la nôtre ».

S’il est quelqu’un qui a bien connu la période révolutionnaire au Yatenga, et qui a même occupé des postes en son temps, c’est bien Soumaila Ouédraogo dit Illa. Nous l’avons rencontré le 4 août 2012 à 16h, à l’improviste, dans son quartier général au secteur 7, non loin du palais royal du Yatenga. L’homme à la barbichette fut, tour à tour, au niveau provincial, délégué à la défense et à la sécurité, membre influent du PRP (Pouvoir révolutionnaire provincial) ayant des rapports directs avec le haut-commissaire. Soumaïla Ouédraogo, un CDR qui se rappelle beaucoup de choses de la révolution : « Nous étions au niveau provincial les premiers responsables de la révolution. Très rapidement, nous avons constitué des comités, nous avons formé des équipes pour sauvegarder l’honneur de la révolution. C’est dire que dans les villages, dans les secteurs, dans les chefs-lieux de province, tout était structuré et bien ».

« J’avais sous ma responsabilité 2444 CDR »

« Mon premier poste, c’était celui délégué à la défense, puis à la sécurité. J’avais sous ma responsabilité 2 444 militants éparpillés dans le Yatenga et dont la mission était bien définie : veiller à la sécurité des citoyens. Ce que je garde encore de la révolution, c’est que nous avons eu des privilèges. Je veux dire ici que nous avions le monopole de l’expression libre. Chacun de nous avait une attention particulière sur l’honneur de la patrie. Il faut être droit, ne pas abuser de la population, partager, vivre et vaincre avec la masse. En un mot, c’était une façon pour nous de rompre avec le passé. Mais il fallait être un vrai révolutionnaire pour pouvoir comprendre le bien- fondé de la révolution. Il y avait le comité des femmes, des jeunes, des anciens, des fonctionnaires. A chaque fois qu’il y avait un problème, on se réunissait autour du haut-commissaire pour trouver rapidement la solution ». Quatre ans de vie révolutionnaire, et le 15 octobre 1987, le régime s’effondre. Comment a a-t-il vécu les évènements tragiques du 15 octobre qui ont emporté son idole Thomas Sankara ? « D’emblée, nous avons été franchement écœurés ; parce que nous étions quand même dans une structure organisée. Nous avons été surpris et déçus par la nouvelle donne. Mais par la suite, nous nous sommes rendu compte que le changement qui vient d’être opéré était irrésistible. Puis, les appellations ont changé ; j’ai été nommé responsable à la formation politique et idéologique dans le processus de la rectification. Nous avons ainsi cheminé avec les acteurs du 15 octobre ». Les fameux CDR abusaient-ils de leur pouvoir ? Là-dessus, l’ancien patron des CDR est très catégorique : « Moi, en tant que délégué à la défense, mes éléments me faisaient des comptes rendus réguliers. Pour être franc avec vous, au Yatenga ici, nous avons su maîtriser notre structure qui était vraiment exemplaire. Les cas d’abus se sont produits ailleurs mais pas ici. Chez nous au Yatenga, nous avons privilégié le délégué pour résoudre tout. Les CDR étaient constitués de toutes les composantes de la société. On y trouvait des fonctionnaires des commerçants, des cultivateurs, des artisans. Notre rôle premier était de défendre la révolution, ce qui est contraire à voler, piller ou brutaliser. »

Pour avoir occupé le poste de secrétaire général de l’Union des femmes du Yatenga, Adja Kadiatou Ouédraogo a vécu toutes les péripéties de la période révolutionnaire. Fonctionnaire au ministère de l’Agriculture et aujourd’hui à la retraite, elle nous a reçu à domicile au secteur 1 de Ouahigouya. C’était le 4 août 2012, quelques minutes avant la rupture du jeûne. Dans sa retraite paisible, elle nous relate ses sentiments après la chute du régime de Jean- Baptiste Ouédraogo le 4 août 1983. Mais avant, elle a laissé entendre un long soupir pour ensuite lâcher : « Ce fut un souvenir inoubliable, gravé au fond de moi-même. Dans un premier temps, l’événement nous a plongés dans une surprise générale. Nous n’avions jamais entendu parler de révolution dans notre pays. Ça nous a surpris parce que la majorité du peuple voltaïque à l’époque ne pouvait pas s’imaginer que certains barons du régime n’étaient pas invincible. L’effet de surprise passé, ce fut la liesse. Une joie qui avait sa raison d’être d’autant plus que le pays était au bord du gouffre. Pour ceux qui avaient cette capacité d’analyser les choses, qui voyaient l’avenir du pays, c’était un ouf de soulagement, Sincèrement tous les ingrédients étaient réunis pour la corruption, les abus de tout genre, la bourgeoisie, le régionalisme. Et je peux dire sans risque de me tromper que la révolution est venue révolutionner les choses, faire évoluer la mentalité des Voltaïques et contribuer à la restauration de la bonne gouvernance. Après le 4 août 1983, il y a eu la création des CDR dont je faisais partie en tant que responsable des femmes au Yatenga. Bien avant, sous le CNR, j’étais membre active de la révolution. Je pense que ceux qui parlent mal des CDR sont plus nombreux que ceux qui leur jettent des fleurs. Pourquoi ? Tout début est difficile ; c’est comme un accouchement. C’était une incompréhension entre les CDR et la population. Mais, il faut avoir le courage de dire que certains CDR ont franchi le Rubicon à travers des actes peu recommandables. Ils ont abusé des gens, posé des actes répréhensibles et contourné la vision de leur mission. Ils ont compris autrement la révolution. Mais on peut dire que la révolution comporte plus de bonnes choses que de mauvaises. Prenons par exemple le cas des femmes. Avant la révolution, une femme ne pouvait pas s’asseoir devant les hommes et en plus prendre la parole pour dire ce qu’elle pense. Au sein de mon ministère, j’animais des groupements féminins et masculins. Lors des animations, une femme ne se permettait jamais de donner son opinion. Mais l’arrivée de la révolution a « ouvert la bouche » des femmes à travers l’UFB. Certaines femmes par la suite s’exprimaient même plus que les hommes ». Si la révolution devait renaître de ses cendres, Adja se sentirait-elle mieux ? « Oui, ce serait vraiment une bonne chose. J’ai la nostalgie de la révolution, et ce ne serait pas une mauvaise chose que de la revivre. Malheureusement, avec l’ère démocratique imposée par les Occidentaux, il est difficile de revenir en arrière. Sinon si c’était à refaire, je suis partante pour la révolution. »

Thomas Sankara était un démocrate

De la révolution, le couple Ouédraogo, proche de la famille royale du Yatenga, ne veut pas en entendre parler. Il a été licencié sous la révolution et garde un mauvais souvenir de cette ère. Pour sa part, Mady Ouédraogo, fonctionnaire à la retraite, est fasciné par Thomas Sankara, allant jusqu’à le qualifier de démocrate : « Contrairement à ce que les autres pensent, je crois que la révolution était une bonne chose. Son précurseur était lui-même démocrate. Je m’explique. Quand Thomas Sankara était en déplacement hors du pays, il donnait l’ordre à Boukary Jean-Baptiste Lingani, commandant en chef du haut commandement des forces armées, ministre de la Défense populaire, de présider le Conseil des ministres. Même les régimes dits démocratiques n’accepteront jamais cela. Il faut bien comprendre la révolution ». Militaire à la retraite, A.T pense que le Conseil des ministres de l’époque touchait vraiment les préoccupations des populations : « je me rappelle encore comme si c’était ce matin. Le Conseil des ministres du 23 janvier 1985 était présidé par Boukary Lingani. A ce conseil, Zambendé Théodore Sawadogo avait été nommé directeur de la statistique générale tandis qu’une suspension tombée sur la tête d’un de mes proches, Fatogoma Traoré avait été levée ; on citait en plus, nommément, ceux qui contribuaient à la caisse de solidarité révolutionnaire. Il y en a qui voulaient garder l’anonymat et on respectait leur choix. Mais aujourd’hui, on constate qu’en l’absence du chef de l’Etat, même le Premier ministre ne peut pas présider le Conseil des ministres ». Cet officier de l’armée à la retraite s’en souvient et pense que la période révolutionnaire a fait du militaire un homme ordonné : « A l’époque, nous avons demandé et obtenu la création des conseils révolutionnaires de discipline en lieu et place des anciens conseils d’enquête et de discipline. Cette instance était habilitée à juger tous les militaires en délicatesse. Contrairement aux anciens conseils dont les séances se déroulaient à huis clos, les séances des CDR étaient publiques. Les militaires jugés coupables étaient soit suspendus, soit dégagés ».

Marcelline Sawadogo garde un mauvais souvenir des CDR : « Mon père a eu un contentieux avec un de ses voisins. Les CDR l’ont torturé et l’ont obligé à chanter et faire le tour du marché. Nous avons pleuré. » Un ancien CDR, O.D, témoigne : « Je fus moi-même CDR, mais les CDR étaient mauvais. Un jour, mon propre père n’a pas observé une pause lorsqu’il a vu les CDR. On l’a obligé à finir un gros plat d’igname que nous avions préparé. Le vieux a mangé jusqu’à vouloir s’éclater, on lui a dit de terminer le plat, faute de quoi il allait ramper. Mon visage était pâle jusqu’à ce que l’un d’entre nous me pose la question. J’ai alors avoué que c’était mon père. C’est là qu’ils se sont empressés de lui présenter des excuses et de lui donner en cadeau de l’igname non préparée ».

Hamed NABALMA

Source : Qoridien Le pays du 6 août 2012, lepays.bf

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