Boubacar Boris Diop est devenu depuis cet article d’octobre 1988, un des écrivains les plus en vue du continent africain, tout en étant resté toujours très engagé notamment contre la Françafrique. Ci-joint un article hommage à Thomas Sankara qui nous est parvenu tout récemment et que nous publions avec plaisir, publié dans l’hebdomadaire Sud Hebdo au Sénégal le 13 octobre 1988..

La rédaction du site thomassankara.net


 

Sankara l’Immortel

Par Boubacar Boris Diop

Le jeudi noir de Ouaga est de ces évènements historiques dont on ne sait trop s’il vaut mieux les oublier ou s’il faut sans relâche en prolonger le bruit et la fureur. Ce vent de folie meurtrière n’a pas seulement donné un coup d’arrêt à une expérience politique originale et prometteuse, elle a surtout couvert les Africains de honte: « C’est terrible » aurait simplement murmuré François Mitterrand en apprenant la nouvelle. Pour qui sait ce que parler veut dire, ces mots concernent moins la disparition physique de Sankara que la survivance des mœurs politiques barbares, expéditives et effectivement terribles C’est pour quoi, malgré la tentation de continuer à souffrir en silence de cette humiliation, on a aussi envie de crier très fort: « Plus jamais ça ! ».

Et puisqu’il importe que jamais la mémoire ne meure, retournons le couteau dans la plaie il y a exactement un an, Thomas Sankara : convoqué d’extrême urgence à une réunion par ses adversaires est accueilli par des rafales de mitraillettes et hâtivement enterré avec une douzaine de ses collaborateurs à Dagnoen. On dira après coup « c’était un autocrate ». Drôle d’autocrate qui se laisse priver de sa sacro-sainte séance de jogging On dira aussi voulait nous faire la peau, c’était lui ou nous Drôle d’assassin projetant de trucider les copains sans se sentir le moins du monde trouble.

Personne ne dira que Sankara fut un maître à penser. Il sut être à la fois plus et moins que cela non pas un faiseur de système ou un politicien retors mais un jeune homme à la recherche de la vérité avec pour seul viatique sa foi et son enthousiasme. On a beau jeu de s’étendre aujourd’hui avec une complaisance malsaine sur son volontarisme et ses naïvetés, quitte à passer sous silence ses indéniables succès. Les cyniques quant à eux tentent encore de faire accroire avec un ricanement satisfait que la rectification d’octobre, bien que douloureuse et risquée, fut somme toute une opération assez rentable puis qu’après les hurlements d’indignation chacun est retourné sagement à ses affaires. Oui, si on veut, tout est rentré dans l’ordre : le Burkina normalisé a redécouvert les vertus de l’anonymat et essaie de se faire oublier dans la cohorte peu glorieuse des nations résignées à la pauvreté et escomptant de leur manque d’ambition et d’imagination, quelque certificat de bonne conduite. Mais qui a jamais prétendu que la mort du chef d’un des États les plus pauvres de la planète empêcherait la terre de tourner ? Il reste que Sankara ne fut pas un chef d’État comme les autres, impertinent, démystificateur et assumant sans complexe ses folies de jeunesse, il dérangeait. Voici une confidence poignante d’un intellectuel Burkinabé: « Malgré ses erreurs, Sankara fut une chance pour le Burkina. Mais lui-même ne s’en rendait pas compte et il n’est pas sûr non plus que notre pays en avait clairement conscience » Et d’ajouter avec tristesse « “maintenant c’est trop tard… ». Autant dire qu’un an après sa mort celui qui fut de son vivant, presque malgré lui, un “simple” leader charismatique est en train de devenir bien malgré ses anciens compagnons d’espérance, un véritable mythe.

Boubacar Boris Diop

Source : Sud Hebdo (Sénégal) du 13 octobre 1988

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