Par Rémi Campana
Pour commencer, cette série d’articles, ma première interview a été consacrée à une jeune femme à l’apparence délicate. Danseuse et chorégraphe, Awa Nikiéma est née au pays des hommes intègres, mais a grandi dans un pays voisin, le Ghana. Rencontre avec une artiste née au lendemain de l’assassinat du président Thomas Sankara.
Bonjour Rémi. Quand vous avez pris contact avec moi via Facebook, pour être honnête je fus très surprise, surtout que ma vie a commencé avec la mort de Thomas Sankara. Le 15 Octobre 1987, jour de son assassinat, mon beau-père amenait ma mère à la maternité Yennenga. Ce soir-là, celui-ci m’a expliqué qu’il était difficile de passer les barrages. Le couvre-feu était de rigueur. Combien de fois, il a dû lever les mains en l’air, ou se coucher par terre, pour réussir à m’amener jusqu’à mon futur lieu de naissance. Il a bien réussi, après plusieurs jours du grossesse difficile, le 26 ou 16 octobre 1987, je suis née. Quelques temps après, par peur de ce qui se tramait, ma famille a fui le nouveau régime militaire et dictatorial du Burkina-Faso pour les chaleurs plus clémentes d’un pays voisin, le Ghana. Nous avions déjà de la famille dans ce pays. Résultat, j’ai dû revenir dans mon pays de naissance pour ma scolarisation plus précisément à l’école primaire Tang-zugu. Il a fallu me rajeunir, à l’état civil, de trois ans. Ma date de naissance est officiellement devenue le 1er Janvier 1990. Grâce à notre ancien président (ou à l’actuel), j’ai récupéré trois ans de jeunesse (rire)…
Pour être plus sérieuse et ne pas se limiter à cette anecdote, Thomas Sankara est un modèle pour beaucoup de Burkinabè. Il voulait promouvoir une forme de patriotisme ouvert sur l’autre. Je ne sais pas si cela est du courage ou de la folie voire un peu des deux. Il aurait dû mener une politique plus lente, plus douce, moins agressive. Se doutait-il que sa jeuneuse et sa fougue seraient de courte durée ? Cela nous donne la force de croire en son idéal. Le jour où notre régime actuel tombera, il faut supputer que son idéologie renaîtra et trouvera ces assisses pas seulement au Burkina Faso, mais dans la majorité des pays d’Afrique. Car, beaucoup de mes sœurs et de mes frères ont des œillères. Ils jettent la pierre sur les occidentaux et ils oublient que les pires parasites qui nous présurent sont nos gouvernants. C’est à nous de nous prendre par la main et de vouloir changer les choses en posant les assises d’un vrai régime démocratique. Un régime qui servira la majorité du peuple et non une élite égoïste qui ne pense qu’à elle, et qui refuse de remettre en question ses acquis.
Pour revenir à ma modeste personne, bien que très ancrée dans les traditions de mon pays, je ne corresponds pas à l’image de la femme burkinabè classique. Ma famille et mes amis m’appellent « la Française » ou « la petite négresse blanche ». Bien que musulmane, le modèle d’émancipation de Thomas Sankara est toujours en moi. Je trouve dommage et préjudiciable que des choses simples voire comiques, d’un point de vue occidental, comme la fête du 8-Mars, dit « La Journée de la femme » ait disparu du moins dans sa forme originelle. Pour Thomas Sankara, le concept était de prendre en compte ce que ses sœurs vivaient au quotidien. C’est pourquoi cette fête avait une autre approche sociétale. Nos hommes devaient aller au marché et faire la cuisine pour leurs épouses. Celles-ci avaient le droit d’exister et de s’amuser. Pouvez-vous imaginer le bouleversement dans des mentalités figées depuis des siècles. Je pense qu’il avait le désir de nous faire rentrer dans le monde moderne. Peut-être trop vite. Malgré tout, c’est une preuve de courage rarement produite en Afrique. Chez vous, les femmes sont émancipées, mais chez nous, elles doivent être soumises à leurs époux, se taire et leur faire des enfants tout en s’occupant de la maison. Voilà où se limite leur univers. Imaginez la révolution que cela a produite dans une société patriarcale. Malheur est de constater qu’avec sa mort, une chose simple comme celle-ci fut entérinée, et avec quelque part, la complicité de mes sœurs qui, par un manque d’éducation, n’ont pas compris le potentiel qu’un homme comme Thomas Sankara leur aurait forcement donner pour l’avenir de leurs filles.
Pour les arts, Thomas Sankara menait une politique d’encouragement. Il était l’initiateur d’un groupe comme « Les petits chanteurs aux poings levés » qui ont formé de grandes stars d’aujourd’hui. De plus, il a fait prendre conscience à beaucoup d’artistes la valeur de leurs paroles ou de leurs œuvres, pour dénoncer les fléaux de notre société moderne, comme l’excision (Thomas Sankara l’avait interdite, mais elle est revenue en force depuis). Idem pour la corruption, ou l’impérialisme que paradoxalement vous subissez à votre tour de façon brutale, à travers un système capitaliste inhumain imposé par le système américo-anglo-saxon. C’est peut-être pour cela que le langage universaliste de Thomas Sankara a autant d’échos aujourd’hui dans les pays occidentaux, comme le Danemark ou la France. Cela me réjouit. De plus, je dois reconnaître que j’ai une certaine fierté pour ça. Qu’un pays de rien du tout comme le mien, sur un plan international et géographique, sort à nouveau de l’ombre, grâce à la lumière d’un leader noir, qui fut prophétique à son époque et mal compris. Ce qui prouve que nos différences de couleur ne sont rien face à la philosophie universaliste de l’être humain. Espérons que les générations futures seront plus humaines que les nôtres, et surtout moins idiotes.
Pour finir, j’ai essayé dans le passé de réaliser quelques performances autour de la personne de Thomas Sankara. La première fut une performance avec d’autres danseurs devant la gare de Bobo Dioulasso la deuxième ville du pays, il y a déjà plus d’une année de ça, pour ce spectacle gratuit nous avions repris des musiques ethniques de notre pays, ou nous avions joué devant des gens le titre fut “Thomas Sankara la sauvegarde de notre mémoire africaine“, le titre original était en langue usuelle “le dioula”, pour vous les occidentaux je le traduis, et je pense ma traduction assez juste ainsi. Je pense que les gens ont apprécier, bien qu’ils n’ont pas compris le messages que nous voulions faire passer.
Avec d’autres chorégraphes de Côte d’Ivoire et du Burkina nous avions pensé
faire un grand spectacle sur Thomas Sankara, qui mélange danse et théâtre avec une mise en musique de ces discours. Malheureusement la personne qui devait financer le projet au dernier moment s’est retirée du projet, je pense qu’il a subit des pressions politique. Présentement pour 2017, vu que mon pays est dans une période de changement, j’ai l’espoir pour les 30 ans de sa mort de créer un spectacle sur sa personne. Avec d’autres artistes, nous ambitionnons de l’enfanter sur notre terre du Burkina, et pourquoi pas de le faire tourner dans le reste du monde, si des sponsors sont intéresser via votre site qu’ils fassent un signe, l’espoir fait vivre et Thomas Sankara incarne cet espoir.
Propos recueillis Par Rémi Campana le 08/09/2014 à l’hôtel indépendance Azalai de Ouagadougou