Par Rémi Campana
Mon périple à recueillir des témoignages, m’amène aujourd’hui aux abords d’une piscine, l’attente semble longue. Avec mes prunelles d’occidental, je suis intrigué par les odeurs sableuses portées au firmament par l’harmattan qui, coup à coup, irrite et sublime mes papilles olfactives. Quant à la chaleur, elle m’accable par son ardeur harassante qui me brûle la peau. Je sue de tout mon corps. Pourtant, ces menus désarrois sont d’ores et déjà oubliés. Je suis captivé par cette lumière étincelante, qui me donne l’impression d’être le visiteur d’une toile oubliée de la création des dieux. Ici, les contrastes sont presque inexistants, les tons d’or harmonisent ou rentrent en opposition avec les pigments d’ocres que saigne l’aridité de cette terre. Ne pouvant oublier mes vilaines manies d’Européen, je m’oublie autour d’un café-expresso. Mon invité se fait désirer, jouant « les Arlésiennes » la ponctualité qui ne semble pas son fort. Après avoir attendu presqu’une heure, le voici arrivé, s’asseyant lourdement, il se présente Gueswendé (traduit littéralement par le regard de Dieu) Aimé Parfait Ilboudo dit « Aimé Césaire ». Ce jeune artiste, à la mine débonnaire, est un excellent sculpteur très présent sur la scène de son pays. Notre entretien pouvait commencer.
Salut, désolé du retard, le regard de quelques jolies demoiselles a ralenti ma motocyclette. Qui je suis ? Voici une bonne question. Je ne le sais pas moi-même. Mais je me décrirais comme un artiste hybride et un libre penseur, plasticien, touche à tout de génie. Attaché aux valeurs ancestrales de l’Afrique que j’aime à réinterpréter de manière contemporaine. J’aime à croire que je véhicule l’art des anciens. Oui, je suis déboussolé par ce monde magique qui s’ouvre à moi plein de croyances que vous occidentaux avez du mal à croire. Mes références, sont-elles légitimes, je n’en sais rien, mais je m’imagine et je m’identifie à elles. J’aime faire sortir de mes tripes des sentiments hétéroclites. Mélangez à cela, l’idée d’un patchwork des cultures pris à droite ou à gauche et les assaisonnés d’africanisme pour leur donner une couleur épicée, propre à ma culture. Vous avez une bonne approche de ma personnalité.
Mon parcours artistique…. pour faire bref, fut assez chaotique. Autodidacte dans mon travail, on peut dire que mon chemin professionnel a commencé à partir de 2007, bien qu’ayant pris quelques cours de dessins et de gravures à l’Institut français et au Goethe Institut (Centre culturel allemand). Je peux dire que je me suis fait tout seul. Fils d’un fonctionnaire de police, j’ai dû faire face à la rigidité grandissante de ma famille et entrer en opposition avec elle. Personne ne m’a soutenu. Dieu merci, j’ai acquis une petite notoriété, qui je l’espère, m’ouvrira un jour les portes de l’Europe.
Maintenant, pour revenir au sujet pour lequel vous m’avez contacté, bien que je sois né le 27 avril 1988, personne de ma génération ne peut oublier Thomas Sankara. Un âge d’or pour nous tous. Thomas Sankara est l’égal pour mon peuple de votre général De Gaulle, un héros national. Paradoxalement, j’ai commencé à parler de Thomas Sankara, bien avant de faire les arts nobles dans un mouvement qui regroupait divers gamins (musiciens) de l’univers du rap. Ce groupe animait dans mon quartier des Sound System où nous nous amusions à faire du free style. Je peux vous en fredonner deux morceaux que j’ai gardés en mémoire sur le capitaine Sankara:
(Ici je retranscris quelques extraits):
VIVA SANKARA !!!
Il était une fois au Burkina ! Un vaillant capitaine qui afficha son combat !
Au pays des hommes intègres, déterminé jusqu’à la mort ! On voulait le voir s’éteindre !
On l’appelait Sankara, capitaine Isidore Thomas Sankara ! (o)
Celui qui nous unit! Mon chapeau, je le tire à mon vaillant capitaine.
Merci d’avoir fait de nous, un peuple intègre, capitaine !(o)
Capitaine, nous, on t’aime ! Loin de vous, on reste fiers !(o)
Capitaine… ! La patrie… !Ou la mort… ? Nous vaincrons… !
AU REVOIR PRESIDENT, AU PLAISIR DE VOUS RENTRER DEDANS !!!
Vous dites que le changement ne se fait pas en un clin d’œil !
Pourtant ça fait 26 ans que mon pays est en deuil.
On récapitule le bilan de votre fauteuil.
Mais on se rend compte toutes ces années que vous vous êtes foutus de nos gueules. (o)
Monsieur le président, vous êtes démis de vos fonctions, le peuple ne veut plus de vous, à la tête de cette nation.
Les poings serrés ! Révolté ! Le moral est fort !
On ménage nos efforts pour vous foutre à la porte !(o)
Au revoir Président, au plaisir de vous rentrer dedans, espèce de con !
Voilà sans la moindre prétention, je ne prétends pas rivaliser avec la voix de tribun de mon cher capitaine Sankara ni même avec la vision universaliste de son message. Sur divers points, je me retrouve en lui, dont le plus important est notre vrai amour de la culture. Feu capitaine voulait mettre au premier plan l’héritage culturel de notre continent. Charismatique, emblématique, humaniste et mystique, il avait une longueur d’avance sur presque tous les dirigeants de son époque .Ce qui fait de lui un héros incompris. Je n’engage que moi dans ce que je vais vous dire, mais je pense qu’il a voulu donner une image christique aux générations futures. Il a choisi par la mort de nous léguer son message universaliste pour que celui-ci survive. C’est une forme de résurrection par le dialogue. Car comme notre Christ à son époque, son message était trop novateur pour être compris. Bien sûr, cela est une interprétation personnelle, mais nous sommes de plus en plus nombreux à croire à cette légende. Mais il me semble voir du scepticisme dans le regard des gens. Je décide donc par prudence à retrouver mon regard d’enfant, à la recherche d’une politique perdue. S’il n’avait pas échoué, je pense que notre pays serait bien différent aujourd’hui.
Pour preuves, regardez ce minuscule pays qui est le Burkina Faso, sur deux ans, Thomas Sankara avait réussi à le rendre en grande partie autosuffisant. Nous arrivions mêmes à exporter notre excédent. Pensez-vous que Blaise Compaoré est capable de réussir ce tour de force, non…. A part son foot, que fait-il pour son pays ? Rien, sauf peut-être jouer au Baby-foot dans le palais présidentiel. Son illustre prédécesseur avait une vision très positive de l’art. Il a créé de grandes fêtes culturelles comme la S.N.C. (Semaine nationale de la culture), le SIAO (Salon international de l’artisanat de Ouagadougou) et le FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou). Ce sont quelques exemples parmi tant d’autre.
Pour finir, je tiens a vous expliquer les deux œuvres picturales que vous avez choisi pour illustré votre article, je vous avoue qu’il n’est pas facile d’expliqué une œuvre pour moi, j’ai fais plusieurs hommages a T. Sankara. Sur le tableau “15 Octobre 1987, la loi du plus fort”, je n’ai pas voulu faire son visage déjà par-ce-que je suis pas un bon peintre figuratif. J’ai donc fais une vison personnelle qui me resemble, une allégorie de son assassin dans des couleurs violentes, ce visage déformée représente son bourreau et l’horreur de son vrai visage, une ame noire, bien sur tout le monde sera de qui je parle, je ne site pas son nom, pour ne pas avoir des problemes, vous aurez compris de qui il s’agit. Bon…, je n’oublie pas, que dans le passer des oeurvres me furent censuré et j’ai évité de justesse la justice. Pour le deuxieme tableau “pleur a thomas”, ici une vision personnelle un christ versu T.S, au milieu une pleureuse, le coeur de mon peuple, voila difficile dans dire plus j’espere que cela vous conviendra?
Pour conclure, aujourd’hui, Sankara a une influence évidente encore et encore, sur mon travail et j’aime lui rendre chaque jours hommage. Comme disait le grand homme « nul ne peut se développer sans sa propre culture ». Donc paraphrasons cette phrase en y rajoutant : « A chacun son bon goût, je vous laisse le vôtre et permettez-moi de garder le mien »
Propos recueillis le 09/09/2014 à « l’hôtel Azalai Indépendance » de Ouagadougou