Nous vous proposons ci-dessous, une nouvelle interview de Thomas qui avait disparu. Elle provient de la revue Actuel Développement, trimestrielle qui est parue de 1974 à 1986. Cette revue traitait des questions de développement. L’interview est intéressante dans la mesure où elle traite de la coopération avec la France, et de la réforme foncière, dont l’appellation exacte est plutôt “réorganisation agraire et foncière”, comme nous l’avons déjà souligne dans le présent site. Vous trouverez plusieurs documents relatifs à cette réorganisation, le texte intégral, les décrets d’application et des interviews àhttps://www.thomassankara.net/?s=%22r%C3%A9organisation+agraire%22. Ce texte a été retranscrit par Cléophas Zerbo, membre de l’équipe du site.
La rédaction
Actuel Développement : Votre récente réforme foncière stipule que la terre appartient à l’État. Est-ce une étape vers la collectivisation de la production ?
Le Président : Cette réforme obéit à un souci de justice sociale mais aussi à celui d’organiser une exploitation rationnelle de la terre. Les grands chefs féodaux disposaient des gens comme ils le voulaient. La terre était distribuée ou reprise selon leurs caprices. Le producteur en état d’insécurité perpétuelle, ne pouvait pas enrichir les champs qui lui étaient prêtés, canaliser tes eaux, planter les arbres ni même viser une productivité maximale, En décrétant que la terre appartient à État nous pouvons fixer les paysans sur des terres bien définies une façon de les sécuriser, mais aussi de les responsabiliser. Ils sont obligés d’enrichir la terre, de respecter les jachères, d’éviter la dévastation. En outre, la réforme foncière nous permet d’organiser l’occupation des terres en fonction des objectifs de production que nous visons. Selon la nature des terres, nous pouvons imposer les types de culture, définir les surfaces en conséquence, procéder aux aménagements, notamment l’irrigation, et veiller à ce que les paysans aient de quoi entretenir ces irrigations. Même si l’on ne veut pas parler de collectivisation de la production, dans la mesure où l’on se fixe comme objectif l’autosuffisance alimentaire, la lutte contre la déforestation et la désertification, on est obligé de gérer la terre et ne pas la laisser en désordre ni l’abandonner à la spéculation foncière.
-Est-ce que la terre attribuée l’est d’une manière définitive on existe-t-il des conditions liées au rendement ?
Les terres attribuées le sont d’une manière définitive. Mais il existe un cahier des charges auquel doit se sou mettre le bénéficiaire. Ce cahier contient des interdictions telles que les feux de brousse et la coupe anarchique du bois, ainsi qu’on certain nombre d’obligations, notamment semer en lignes droites, construire des structures élémentaires anti-érosives, clôturer les champs par des haies vives (arbres) pour participer à la campagne de reboisement
Le Burkina est un des pays africains qui compte le plus d’ONG. Êtes-vous satisfaits de leur coopération ?
D’une manière globale, nous sommes satisfaits de l’action des ONG dans notre pays. Début 1985, face à la multiplicité des ONG, nous avons été amenés à créer un Bureau de suivi des ONG directement rattaché à la Présidence. Il est chargé de coordonner l’action anarchique des ONG pour l’insérer dans le plan de développement du Burkina et aussi pour les aiguiller sur le secteur économique, qu’elles avaient jusqu’alors négligé. Certains responsables burkinabés ont accusé les ONG d’être des officines de déstabilisation, Ces propos ne visent pas toutes les ONG, mais certaines d’entre elles, parfaitement identifiées. Les mêmes responsables par ailleurs n’ont pas hésité à louer l’efficacité et le contact franc et direct des ONG.
Quel est l’état de votre coopération avec la France ?
La coopération française est présente chez nous. Soit dans le cadre des organismes internationaux comme le Fed (Fonds européen de développement) ou le Cilss (Comité inter-État de lutte contre la sécheresse au Sahel), ou sous forme coopération bilatérale à travers l’assis technique ou le financement des projets d’équipement ou de développement rural. Je peux vous citer en exemple la participation de la France au financement du barrage de la Коmpienga. Ce barrage fournira l’électricité a une grande partie du pays et per mettra l’irrigation de 7 800 ha cultivables. Cela va tout à fait dans le sens les priorités de développement que nous nous sommes fixées. Mais il arrive qu’il y ait entre la France et nous des approches différentes quant aux chois des priorités. C’est notamment le cas du projet de chemin de fer Ouaga Tambao. La France a estime que pour des raisons techniques et de rentabilité à court terme, il valait mieux une route reliant le Sahel à Ouagadougou. Nos critères de choix, eux, tiennent compte de la rentabilité à long terme et de l’impact social d’un tel projet. Il agit avant tout de désenclaver le Sahel, et d’encourager les populations pasteurs acculées au nomadisme à se fixer le long de cet axe. Le chemin de fer leur permettra d’exploiter leur bétail, ce qu’ils ne peuvent pas faire par route, étant donne que le pays ne dispose pas de moyens pour s’équiper et entretenir un parc automobile à cet effet. La France a ses contraintes, nous le savons. Nous ne lui demandons pas de monter en première ligne contre le sous-développement à notre place, Cela aussi dans l’intérêt de notre indépendance et de notre dignité. Sur le fond, la question à soulever est celle de l’évolution de la coopération. Les régimes qui nous ont précédés estimaient que c’était à la France de développer notre pays. Ils se contentaient de l’aide unilatérale de la France qui se traduisait par des dons de céréales et une assistance technique massive. Le Conseil national de la révolution, lui, estime que c’est au Burkina de définir ses axes de développement, d’en dégager les priorités. Quand nous sollicitons l’aide c’est pour concrétiser nos choix afin de maitriser les phénomènes de sous développement et sortir de ce cycle de dépendance. La coopération pour le développement a sans doute encore un long chemin à faire.
Propos recueillis par Madeleine MUKAMABANO
Source : Actuel développement N°67, avril 1985.