Hommage à Thomas Sankara

THOMAS SANKARA, QUINZE ANS APRES SA MORT

de Lionel Akpadie

Cet article a été posté le 15 octobre 1982 sur le site togoforum à l’adresse http://www.togoforum.com

Avec l’assassinat, le 15 Octobre 1987, du Capitaine Isidore Dieudonné Thomas Sankara, s’écroulait l’espoir de la jeunesse Africaine qui se reconnaissait en lui. On découvre quinze après sa mort, son originalité et sa grandeur.

L’Homme et ses Croyances
Né le 21 décembre 1949 à Yako (Nord du Burkina), de père Peuhl et de mère Mossi, Thomas Sankara fréquente l’école Primaire de Gaoua (Sud-Ouest du Faso) ou son père est en fonction aux PTT (Poste et Télécommunication). Il commence ses études secondaires au Lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo et sera plus tard admis au Prytanée Militaire de Kadiogo (PMK). Le Bac en poche, Sankara entre à l’Académie Militaire d’Antsirabé (Madagascar). Il en sort Sous-Lieutenant en 1972. De là, les Centre de Parachutistes de Pau (France) et de Rabat (Maroc) l’accueillent successivement. Lorsqu’il regagne le bercail en 1974, le latent conflit qui couvait entre le Mali et l’ancienne Haute Volta vient d’éclater. On l’y envoie. Pour Thomas Sankara, la guerre est insensée, mais il n’a pas choix. En 1976, deux ans après le “cessez-le-feu” imposé par la défunte OUA, Sankara se voit nommé instructeur parachutiste des Para-Commandos de PO (Sud-Est). En Septembre 1971, le Colonel Saye Zerbo, alors Président du Conseil Militaire de Redressement pour le Progrès National (CMRPN) lui confie le poste de Secrétaire d’Etat à l’Information. Alors que lors du premier conseil des ministres, Sankara fait son déplacement à vélo, il démissionne de son poste le 12 avril 1982 en prenant bien soin de marteler: “Malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple.”

Le 7 Novembre 1982, le malheur frappa effectivement Saye Zerbo qui se voit destitué par le Colonel Some Yorian Gabriel, alors Chef d’Etat-major, lequel confie la présidence au Médécin-Commandant Jean Baptiste Oudraogo. Celui-ci crée le Conseil de Salut du Peuple (CSP) et nomme Thomas Sankara, Premier Ministre.

Mais le “PM” ne cache nullement ses sympathies pour le Colonel Muammar Kaddafi, véritable bête noire des régimes africains. Sankara est arrêté le 11 mai 1983.

Avec lui, Jean-Baptiste B. Lingani et Henri Zongo (tous deux militaires et amis du PM). Manque à l’appel une autre tête brûlée, le Capitaine Blaise Compaoré qui a, entre temps, remplacé Sankara à la tête des para-commandos de PO. Celui-ci va entrer en rebellion après s’être retiré discrètement dans son fief, PO, qu’il proclame “République” au grand dam du pouvoir central de Ouagadougou. Et comme on tarde à libérer ses amis, Compaoré se fâche et investit Ouagadougou le 4 août au petit matin, chasse Jean-Baptiste Ouedraogo du pouvoir, libère ses amis avec l’aide du peuple qui menace alors de tout saccager si le “le capitaine peuple” n’est pas libéré sans conditions.

L’oeuvre de Thomas Sankara
En 4 ans de pouvoir jalonnés de grandes succès mais aussi de tracas de toutes sortes, qu’a t-il bien pu faire pour marquer à jamais la mémoire collective de l’humanité?
– Le 2 octobre 1983, il présente au peuple Burkinabè un discours-programme tenant lieu de manifeste de l’instance dirigeante du pays. Il porte le nom de Discours d’Orientation Politique (DOP). Pour la première fois dans l’histoire du pays, une place importance est accordée aux artistes et autres créateurs d’oeuvre de l’esprit. Mais Sankara n’était-il pas lui même un artiste musicien, chef de l’orchestre “Tout-à-Coup Jazz?”
– Le 29 octobre le la même année, Sankara se fache, la Côte d’Ivoire de Houphouet Boigny s’étant opposée à ce que la présidence de la CEAO (dont le siège est à Ouaga) revienne au Faso. Or cette présidence s’assume par rotation entre les pays membres. Ce premier choc pèsera lourd dans les relations futures entres les deux voisins. Beaucoup en voient même l’une des causes de son assassinat.
– Le 9 décembre 1983, Sankara met à la disposition des régions du Nord dévastées par la sécheresse une Caisse de Solidarité Révolutionnaire (CSR) et invite tous les patriotes et amis du Faso à y cotiser.
– Le 20 décembre 1983, il lance la première Semaine Nationale de la Culture qui va plus tard se tenir en dehors de la capitale, rassemblant des milliers d’artistes toutes catégories confondues.

Les années d’après sont davantage marquées d’initiatives créatrices visant à sortir le Faso de la dépendance étrangère.

– 1984. D’abord le 3 janvier, Sankara lance les premières assises des Tribunaux Populaires de la Révolution (TPR).
– Le 28 mars 1984, il fait adopter par le conseil des ministres un projet de construction permanent des “Cités du 4 Août” à raison de 20 villas dans chacun des 30 chefs-lieux de province.
– Le 31 mars 1984, “Thom Sank” est contre toute attente, le premier Chef d’Etat à se rendre en République Arabe Saharaouie Démocratique (RASD) pour apporter à ses combattants de la liberté le réconfort moral.
– Le 5 avril 1984, il lance le premier quotidien gouvernemental du pays. Son non SIDWAYA signifie en langue nationale Mooré “Voici venue la Vérité.”
– Le 26 avril 1984, il donne le coup d’envoi des travaux d’aménagement de la vallée du Sourou. D’une superficie de 41000 hectares, cette vallée regorge de potentialités non négligeables et est capable de couvrir les besoins
alimentaires et en eau de plus de sept millions de Burkinabé.
– Le 8 juin, il lance le Programme Populaire de Développement (PPD). Objectif: décentraliser au maximum l’administration afin qu’elle soit davantage plus proche des administrés.
– Le 3 août 1984, La Haute Volta disparaît au profit du Burkina-Faso – La Patrie des Hommes Intègres. Pour Sankara, le nom Haute Volta est loufoque tandis que Burkina-Faso, dérivé de deux langues du pays, renferme une signification profonde en ce qu’il invite au travail dans l’ordre, la discipline et une gestion rigoureuse et scientifique des ressources publiques.
– Le 1er octobre 1984 voit la suppression de l’impôt de capitation à cause duquel nombre de Burkinabé ont de tout temps immigré vers les pays voisins en vue de rechercher du travail.
– Le 3 octobre 1984, Sankara est aux États-Unis. Ce jour est la veille de son discours musclé qu’il va prononcer à la Tribune de l’ONU. Alors il se rend dans la cité du Harlem à New York. Là, il impressionne plus d’un Américain noir par son discours révolutionnaire frappé du sceau d’une verve pathétique jamais vue auparavant. Sérieusement déçu par les méthodes de l’impérialisme, il dégaine son Colt (pistolet) et le pointe au ciel. Les “Black Brothers” de “Harlem City” se laissent convaincre qu’il a ainsi tué dans l’oeuf “the sad imperialism.”
– Le 21 octobre 1984, Sankara est de retour au Faso où il met à la disposition des Ouagalais les premiers bus de transport en commun, X9.
– Le 25 novembre 1984, débute sur l’ensemble du territoire national la “vaccination commando.” En 15 jours, 2.500.000 d’enfants de 9 à 14 ans sont vaccinés contre la rougeole, la méningite et la fièvre jaune. L’UNICEF s’est
félicité de la volonté politique de Thomas Sankara.

L’année d’après, 1985, Sankara engage plusieurs combats:

-“La bataille du Rail” le 1er février. Il s’agit là de la construction du chemin reliant Ouagadougou à Tambao, long de 345 km en vue de désenclaver le Sahel. Puis ce fut “Les Trois Luttes” (22 mai) contre la coupe abusive du bois, les feux de brousse et la divagation des animaux.

Le 19 septembre 1986, Sankara crée l’Union des Femmes du Burkina (UFB). L’année d’après qui marque aussi la fin de son règne, il contribue à l’innovation du VIe Festival Panafricain du Cinema de Ouagadougou (FESPACO).
– Le 7 février 1987, il crée et comparait lui même devant une “Commission du Peuple chargée de la Prévention de la Corruption”. Il entend ainsi lutter contre les détournements de deniers publics et juguler la corruption car “s’il y a des corrompus, c’est qu’il y a des corrupteurs,” disait-il. Il voulait aussi lutter contre certains bonzes du Conseil National de la Révolution (CNR) qui commencent à “se beurrer.”
– Le 11 mars 1987, il organise les paysans au travers d’une “Union Nationale des Paysans du Burkina” (UNPB), qu’il reçoit en présence du ministre de la Question Paysanne au Palais Présidentiel.
– Le 30 mars 1987 est organisé la 2è Conférence Nationale des CDR. Occasion pour lui de constater l’émoussement de l’élan révolutionnaire de certains camarades.
Il le leur dit clairement et le leur répète le 4 août.
– Le 21 août 1987, Sankara célèbre à Tenkodogo (Est du pays) le 4ème anniversaire du DOP.
– Le 8 octobre 1987, autre anniversaire: celui de la mort de CHE GUEVARRA (20è) célébré par le capitaine peuple en présence du fils du CHE.
– Du 8 au 11 octobre se tient sous son égide une “Conférence Internationale sur l’Apartheid.” A cette occasion, le Mozart africain fait installer un “Comité BAMBATTA”, du nom d’un chef guerrier Zoulou d’Afrique du Sud mort les armes à la main. Sankara se doutait-il un seul instant que 4 jours plus tard, il va rejoindre au Panthéon de l’Histoire Panafricaine, d’autres combattants Africains que furent Sylvanus Olympio, Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Amilcar Cabral, Samora Machel, Annouer El Sadate.

Quelques lignes de Thomas Sankara
1983, Paris, Conférence Internationale sur l’arbre et la forêt :
“Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre 20 années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus là. Pas de développement en dehors de cette rupture là. Il faut ranimer la confiance du peuple en lui-même en lui rappelant qu’il a été grand hier et donc, peut-être aujourd’hui et demain “Fonder l’espoir.”
“La plus grande difficulté rencontrée est constituée par l’esprit de néo-colonisé qu’il y a dans ce pays. Nous avons été colonisés par un pays, la France, qui nous a donné certaines habitudes. Et pour nous, réussir dans la vie, avoir le bonheur, c’est essayer de vivre comme en France, comme le plus riche des Français. Si bien que les transformations que nous voulons opérer rencontrent des obstacles, des freins.”

A un journaliste américain – “L’esprit de liberté, de dignité, de compter sur ses propres forces, d’indépendance et de lutte anti-impérialiste [.] doit souffler du Nord au Sud, du Sud au Nord et franchir allègrement les frontières.
D’autant plus que les peuples africains pâtissent des mêmes misères, nourrissent les mêmes sentiments, rêvent des mêmes lendemains meilleurs.”

Août 1984, Conférence de presse – “Nous n’avons pas compris comment ils [Jonas Savimbi de l’Angola et Pieter Botha d’Afrique du Sud, pro Apartheid] ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre. Ils l’ont tachée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en portent l’entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd’hui et toujours.”

Novembre 1986, discours fait à François Mitterrand, en visite à Ouagadougou – “Parce que de toutes les races humaines, nous appartenons à celles qui ont le plus souffert, nous nous sommes jurés de ne plus jamais accepter sur la moindre parcelle de cette terre le moindre déni de justice.”

Lionel Akpadie

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