En ce 25ème anniversaire de l’assassinat du Président Thomas Sankara, il semble utile de rappeler que ce grand patriote avait mis en oeuvre des idées simples et novatrices pour que le Burkina Faso devienne un pays durablement prospère et pacifique. Son successeur, Blaise Compaoré, empressé de se faire reconnaitre par les puissances néocoloniales, a abandonné brutalement dès sa
prise de pouvoir, la plupart de ces initiatives prometteuses, pour livrer le Burkina en pâture aux prédateurs du FMI et de la Banque Mondiale.

Depuis, le Burkina stagne dans l’extrême pauvreté ( 181ème rang sur 187 dans le classement du PNUD), à l’exception de la classe dirigeante, généreusement rétribuée pour son «réalisme» approuvé par les instances internationales.

Il est d’usage, en effet, d’opposer le «Réaliste» Blaise Compaoré, au «Rêveur» Thomas Sankara. Aujourd’hui, face à une crise mondiale qui fait vaciller bien des théories et des certitudes, force est de constater que la vie est du côté de ceux qui « osent inventer l’avenir ».

C’est ainsi que la pensée de Thomas Sankara, dans ce nouveau contexte mondial et face aux menaces bien réelles qui planent sur la planète, loin d’être dépassée, nous apparait au contraire sous un jour prophétique. Derrière le révolutionnaire en treillis et le leader
politique infatigable, on découvre le militant écologiste constamment
préoccupé par le rapport de l’homme à son environnement. De toutes les facettes du génie de Thomas – un génie dû à son
insatiable curiosité – c’est le précurseur de l’écologie burkinabè qui retiendra particulièrement notre attention.

Aujourd’hui, les multinationales en complicité avec les grandes banques dirigent le monde et pillent les ressources de la planète à une vitesse vertigineuse : partout les terres s’appauvrissent, nécessitent de plus en plus d’engrais et de pesticides, les agro-carburants gagnent du terrain, la biodiversité est en danger, la mer a de moins en moins de poissons, la pollution, la déforestation ne s’arrêtent jamais. Même les abeilles n’arrivent plus à faire du miel… Conséquences : les paysans, les pêcheurs, les apiculteurs, les éleveurs dépérissent ou vont grossir les périphéries des grandes villes. Cette guerre qui fait rage n’a pas besoin de kalachnikovs, au contraire, elle se travestit en « aide pour le développement », en projets philanthropiques, en recherche scientifique, en inventions
fascinantes (I-pads, écrans plasma, lasers…) en luttes contre le
paludisme, contre les diarrhées des nourrissons (voir la fondation Bill
Gates), en publicités alléchantes (Coca-Cola, Nido,)… et en
généreuses commissions pour les businessmen qui vendent leurs
frères aux multinationales.

Contre ce fléau qui ravage le monde entier, un mouvement citoyen se
dessine dans les pays du Nord. Il n’en est qu’à son début, mais il progresse rapidement. Beaucoup de jeunes ne croient plus à la notion de « croissance économique », soit parce que celle-ci devient de plus en plus compromise par la crise mondiale, soit parce que cette croissance de toute façon se fait au détriment des peuples et des ressources naturelles. Sans le savoir, ils reprennent la maxime de Thomas Sankara scandée il y a plus de 25 ans par les Burkinabè : « produisons ce que nous consommons, et consommons ce que nous produisons », ils quittent les villes pour s’installer à la campagne et adopter un mode de vie plus sobre.

En écho à cette situation, un film vient de connaitre un vif succès en
France : « Solutions Locales pour un Désordre Global ».Voici les propos de sa réalisatrice Coline Serreau : «Maintenant, il faut montrer qu’il existe des solutions, faire entendre les réflexions
des paysans, des philosophes et économistes qui, tout en expliquant pourquoi notre modèle de société s’est embourbé dans la
crise écologique, financière et politique que nous connaissons, inventent et expérimentent des alternatives
. » Ce sont justement ces alternatives que Thomas Sankara a mis en oeuvre pour sauver son pays de l’extrême misère. Conscient que « ceux qui veulent exploiter l’Afrique sont les mêmes qui exploitent l’Europe », il a
compris qu’il fallait sortir d’un système capitaliste devenu incontrôlable et qui sous un vernis démocratique ne peut que mener à des catastrophes… Ce qui est effectivement en train de se passer
(Tchernobyl , Fukushima, les « marées noires ».etc…) Lors de sa
formation militaire à Madagascar, Thomas Sankara a observé avec
intérêt une expérience de restructuration rurale qui lui a beaucoup appris sur les bienfaits de l’agriculture familiale. Il a écouté René Dumont, ingénieur agronome auteur de « L’Afrique Noire est mal
partie
» (1962), et s’est inspiré des principes de Pierre Rabhi, célèbre pionnier de l’agriculture bio qui, sous la Révolution burkinabè, a fondé un centre de formation agroécologiste à Gorom-Gorom axé sur la préservation des sols fragiles, et la réhabilitation des terres dégradées.

Il en a conçu une politique agricole cohérente, adaptée aux réalités
africaines, respectueuse de la nature et respectueuse des paysans.
Cela s’est traduit sur le terrain par un objectif impérieux de reforestation, les arbres permettant de retenir non seulement la terre mais aussi l’eau. Les élèves burkinabè se souviennent avec émotion de la joie qu’ils éprouvaient à participer aux plantations d’arbres. De nombreuses retenues d’eau et de puits furent aussi creusés en vue d’une meilleure irrigation et pour diminuer l’érosion des terres. En 2004, la Kényane Wangari Maathaï a reçu le prix Nobel de la Paix pour avoir planté des millions d’arbres dans son pays. Thomas Sankara rêvait lui aussi de mobiliser les paysans pour créer une « ceinture verte » qui aurait freiné l’avancée du désert et reverdir le Sahel, un projet grandiose en cours d’élaboration qui, hélas, n’a pas pu voir le jour, stoppé net par sa mort prématurée.

Un second objectif fut de limiter les importations afin de protéger et
développer la production locale. « Certains se demandent : où est
l’impérialisme ? Il est là, dans votre assiette, dans chaque grain de riz importé, ne cherchez pas plus loin !
». Il favorisa les cultures vivrières pour que chacun puisse se nourrir, et fit construire des kilomètres de pistes carrossables pour faciliter le commerce de produits frais.

A noter également sa lutte contre trois fléaux : les feux de brousse, la divagation des animaux et la coupe abusive du bois. Ces mesures pleines de bon sens, et bien d’autres encore, prirent fin avec son assassinat. Le régime de Blaise Compaoré, soutenu par la
communauté internationale, mais aussi otage de celle-ci, s’engouffra
dans la direction opposée : ouverture des frontières, importations massives de riz asiatique, de produits chinois, de pagnes hollandais etc., avec pour conséquences l’effondrement des industries locales, et un déséquilibre budgétaire conduisant à un endettement considérable. Cette dette déjà exorbitante sous la Révolution et dénoncée par Sankara n’a fait que s’alourdir au cours des 25 ans passés. L’état burkinabè est sommé de réduire ses dépenses publiques, c’est-à-dire de couper dans les budgets de la santé, de
l’éducation, des infrastructures.

Difficile de sortir de ce cercle vicieux… En contrepartie de son allégeance aux puissances occidentales et du soutien de la France, le régime actuel n’a cessé de s’enrichir, creusant un fossé toujours plus pathétique entre une petite société grassement rémunérée et le reste du peuple, à 80% rural, toujours plus affamé : 25,7% des enfants burkinabè de moins de 5 ans sont en état de mal nutrition chronique (2010). Tout se passe comme si le milieu rural, mais aussi la jeunesse du pays, représente un sujet de contrariété permanent pour le gouvernement.

Au lieu de chercher des solutions, celui-ci réagit en faisant l’autruche.
« La population active du pays se compose essentiellement de pauvres, de ruraux et de jeunes non qualifiés » ( Perspectives
économiques en Afrique 2012). Aucune mission n’est proposée aux
jeunes, aucune parole ne leur est adressée, et les formations
professionnelles manquent cruellement. Quant aux paysans,
leur condition n’est guère enviable.

Le changement climatique entraine la pénurie de céréales, provoque la spéculation et décourage la jeunesse qui préfère tenter sa chance sur les sites aurifères. Les terres sont alors bradées, et acquises par des hommes d’affaires, parfois membres du gouvernement, qui investissent à grande échelle de préférence dans les agro-carburants ou les cultures OGM. Si la « ruée vers l’or » a pour effet de gonfler le taux de croissance du Burkina (plus de 5% en 2011), elle a aussi pour inconvénient de déstabiliser la population, d’entrainer la rupture avec les valeurs traditionnelles, de
déposséder les paysans de leurs terres aurifères, et d’empoisonner
les eaux par les résidus de mercure et de cyanure. Les extractions
minières sont le plus souvent très dommageables pour
l’environnement.

Il serait injuste de ne pas saluer la construction du barrage de Ziga,
qui signe la fin des pénuries d’eau à Ouaga et qui fait le bonheur des
pêcheurs et des riverains. Cette réalisation, certes très coûteuse, aurait été louée par Thomas Sankara, car elle bénéficie à tout le
peuple. Mais dans l’ensemble le pays manque d’une réflexion
approfondie qui puisse mener à une agriculture durable capable
d’assurer la souveraineté alimentaire du Burkina. Pourtant, le potentiel existe.

Quelle terre les Burkinabè vont-ils léguer à leurs enfants ? Une fois les mines d’or épuisées et les sols latérisés, comment vont survivre les futures générations ? Thomas Sankara voyait loin parce qu’il était un véritable Ami de la Terre. Il serait temps que nous cessions de nous conformer à un modèle de développement à bout de souffle, pour retrouver la véritable source de vie vers laquelle Thomas Sankara savait si bien nous guider. C’est toujours à nous qu’il s’adresse lorsqu’il martèle : « Nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d’hier et d’aujourd’hui le monopole de la pensée, de
l’imagination et de la créativité !
».

Françoise Gérard, altermondialiste

Source : Bimensuel Mutation N°15 du 15 octobre 2012

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