Alouna Traoré : «Si la Révolution était à refaire, je serais candidat».

 

Alouna Traoré était l’un des hommes de confiance du président Thomas Sankara, et faisait partie  du dernier cercle des fidèles. Il a échappé de justesse à la mort il y a 21 ans. Lorsque les armes ont commencé à crépiter le 15 octobre 1987, il a fait le mort, baignant dans le sang de ses 12 compagnons, devenant ainsi le seul survivant  du coup d’Etat qui a marqué la fin de la Révolution.)

L’interview ci-dessus a parue dans le mensuel burkinabè «Le Reporter» n°6 édition de décembre 2007. Notre confrère, Hervé d’Afrik, s’est mis à la recherche d’Alouna Traoré et l’a finalement retrouvé le 12 novembre 2007. Le miraculé a tourné les pages de la Révolution d’août. Mais il n’a pas voulu remuer le couteau dans la plaie béante du 15 octobre 1987. « La dose émotionnelle, dit-il, n’est pas humainement supportable.» Ses convictions ne sont pas pour autant ébranlées. Et il est formel : «Si la Révolution était à refaire, je serais candidat ».

Que s’est-il concrètement passé le15 octobre 1987 à 16h au Conseil de l’Entente ?

J’ai pour coutume de ne pas parler du 15 octobre parce que la dose émotionnelle n’est pas humainement supportable. Je ne peux parler que des événements qui ont eu lieu avant le 15 octobre : ce qui nous a unis, ce que nous avons fait de nos dix doigts et notre petit esprit pour éveiller la conscience des Burkinabés et, au-delà, susciter des espoirs sur le continent africain et même au-delà du continent africain. Nous avons fait ce que nous pouvions avec nos moyens de l’époque. Je ne peux parler que de cela.

Vous êtes tout de même le seul survivant de ce coup d’Etat. C’est un miracle, non ?

Miracle ou pas, je suis formel : ne parlons pas de ce qui nous divise. Ce ne serait pas bon. Chez nous, un proverbe dit ceci : « quand la pluie bat les poussins, qu’ils ne perdent pas le temps à se picorer. » Donc, ne nous picorons pas. Ce n’est pas la peine de parler du 15 octobre.

A l’époque, le climat politique était, dit-on assez ‘’pourri’’. Avez-vous, personnellement senti venir le coup d’Etat ?

Il serait mieux de passer à autre chose… Nul n’est fakir ou prophète pour sentir venir les événements, mais il pourrait avoir des prémisses. Bref, une fois de plus, je voudrais que nous fermions la parenthèse du 15 octobre et que nous parlions d’autre chose. Cet événement divise au lieu d’unir. Si l’on doit parler du 15 octobre, nous risquons de mettre fin à cette interview.

Vous étiez très proche du président Sankara. Que faisiez-vous au juste ?

J’ai été d’abord délégué Cdr (Comité de défense de la Révolution) de la présidence,NDLR. J’ai ensuite géré les organisations de masse. J’étais donc en contact permanent avec le secrétariat général des Cdr et toutes les organisations de masse qui gravitaient autour de la Révolution.

On dit aussi que vous étiez l’un des éléments clé du président…

Elément clé, c’est trop dire. Il y avait des chefs de département. Mais j’assistais à pratiquement  toutes les rencontres.

Quels souvenirs gardez-vous aujourd’hui de Thomas Sankara ?

Je garde beaucoup de souvenirs de lui. Ma conscience l’emportera jusqu’au dernier jour. Je ne me souviens pas de Sankara, je le vis. Beaucoup de choses de positif ! Plus qu’un camarade, c’était notre leader, notre leader bien aimé, l’initiateur, celui qui soutenait nos élans révolutionnaires. Chaque fois qu’on le rencontrait, on repartait avec de nouvelles énergies. On ne sentait pas cette précarité qui animait les autres. Il vous encourage, il vous aide à arriver. Son management est vraiment sollicité et même conseillé.

Il était aussi perçu comme quelqu’un qui dérange…

 

Le président Sankara était pertinent. Il est d’ailleurs la pertinence faite en personne. Les autres ont su le dire : « Il dérange ». Effectivement, il dérange. Face à lui, vous êtes face à la glace. Il vous renvoie votre propre image. Sa compagnie est gaie mais ne vous pardonne pas certaines erreurs. Il vous dit ce qu’on n’ose pas vous dire, tout comme la glace vous révèle ce que vous êtes en réalité.

Vous a-t-il dit des choses que vous auriez aimé ne pas entendre ?

A l’époque, comme beaucoup de mon âge, je picolais, je buvais, je fumais. Mais avec lui, je suis arrivé à arrêter de fumer et longtemps après, j’avais arrêté de boire. De plus, avec lui, j’ai appris à faire le sport de masse. Les autres faisaient le sport de masse pour s’amuser, mais moi, j’avais fini l’étape de l’amusement. J’avais intégré le sport de masse dans ma vie. Chaque matin, je prenais ma dose de sport de masse. Ça me rendait efficace au travail. Vraiment, c’est la jeunesse en permanence ! Je ne souffrais de rien ; grâce aux vertus du sport, je n’avais pas besoin d’excitants. Que ceux qui ne veulent jamais vieillir pratiquent le sport en permanence. Tous les jours de leur vie ! Comme dit l’adage, il faut « un corps sains dans un esprit sain ».

On dit que vous aviez le courage de vos opinions et que vous n’hésitiez pas à dire certaines vérités au président. Que lui disiez-vous souvent ?

J’aime dire à mes camarade que je suis en territoire miné et que si l’on ne marche pas sur la mine, elle n’explose pas. D’emblée, je m’accommode à tout. Mais je sors souvent de mes réserves. Peut-être que cela est lié à mes origines. Je suis du nord du Burkina, précisément du Yatenga. Si vous nous respectez, vous pouvez nous mettre comme un boa dans un sac et nous emporter. Mais si vous nous méprisez, nous nous révélons. Nous aimons être vrais et clairs dans ce que nous faisons. En réalité, je n’étais pas tellement différents des autres camarades mais moi, j’avais cette mauvaise habitude de dire ce que je voyais. J’aimais faire les comptes-rendus des « choses » sans les censurer. Quand on m’envoyait à Abidjan, j’avais le désavantage de faire un compte-rendu net et précis. A la limite de la fidélité, je dis tout ce que j’ai vu, comme une caméra. Tout ce que j’aurai enregistré, bon comme mauvais, je le servais à table. Que cela plaise ou pas, je rendais compte.

Il a dû certainement être au courant des prémisses du coup d’Etat. Pourquoi, selon vous, il n’a pas su gérer cette crise ?

Comme on dit en Côte d’Ivoire, « c’est une question complexe et difficile». C’est un officier de surcroit, un commando. Il voit ce que nous, ne voyons pas. Des gens l’accusent à tort de n’avoir pas vu venir le coup d’Etat. C’est leur opinion. Mais ça m’étonnerait qu’il ne l’ait pas vu venir. Bref, aujourd’hui, il n’est plus là, en quoi ça nous avance de savoir s’il a vu venir ou pas ?

Justement, en 4 ans, quelles sont les transformations majeures que vous avez effectuées ?

Il y eu l’émancipation, l’éveil des consciences et la fierté d’être Burkinabè. Nous avons engagé plusieurs luttes : les trois luttes par exemple, la transparence, la rigueur dans la gestion de l’économie nationale. Tous les mercredis, le Conseil des ministres était suivi parce que beaucoup de choses positives étaient faites sous la Révolution. Certaines vertus sont conservées jusqu’à présent ; malheureusement, elles commencent à s’effriter.

Quoi par exemple ?

L’ardeur au travail. Les gens venaient régulièrement au travail. Ils mouillaient le maillot de peur de se retrouver un jour devant les tribunaux populaire de la Révolution. Ces TPR ont enseigné beaucoup de choses sur les gestions antérieures. Elles ont été de grandes écoles qui ont appris au citoyen qu’il ne devrait plus avoir de gabegie. Elles ont tracé des voies pour une meilleure gestion du bien public. Nous avons procédé de façon sélecte à la réduction du train de vie de l’Etat, notamment ceux des ministres et d’autres acteurs, en un strict minimum pour pouvoir bien travailler. Nous avons posé beaucoup d’actes positifs qu’il serait fastidieux d’énumérer ici.

 

Il y avait aussi la déclaration publique de biens. Mais aujourd’hui, la liste des biens du président est mise sous scellés par le conseil constitutionnel. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

A l’époque, il y avait effectivement la déclaration publique des biens, mais maintenant, il paraît qu’il y a une autre pratique. Je constate que les ministres d’aujourd’hui sont mieux que ceux qui étaient en fonction sous la Révolution.

Sous la Révolution, un ministre, ça donnait quoi au juste ?

Un ministre sous la Révolution avait un véhicule 405 ou 505. C’est un « monsieur tout le monde ». Il va partout ; il intègre les masses. Il y a une ligne de conduite dans la Révolution qu’il fallait observer. Vraiment, il faut aller au charbon. Il faut mobiliser les masses.

La France, semble-t-il, est à l’origine de la chute de Sankara. Parlez-nous-en.

Nous avons dénoncé un système, une pratique qui se faisait. Nous avons dénoncé l’attitude de la France. Tout ce qui s’est fait ici avant la Révolution, l’a été sous la bénédiction de la France. Elle nous a conseillés en tout ; elle était donc responsable de tout ce qui nous arrivait. Avec la Révolution, nous devions nous prendre en charge, nous assumer. Cela ne pouvait évidemment pas plaire au tuteur. Tout ce qu’il fallait faire, il fallait s’en référer à la France avant de le faire, alors que sous la Révolution, on le faisait sans recourir à la France. Avouons que ce n’était pas pour plaire.

Vous voulez dire que la Révolution n’avait pas du tout besoin de la France ?

Nous coopérions avec la France au même titre que les autres Etats. Mais nous avions refusé que ce soit comme de par le passé : être en costume cravate, montrer ce qu’on devait faire à la France pour qu’elle censure  éventuellement certaines choses, etc. La Révolution s’était défaite de toutes ces scories. Nous réfléchissions avec notre tête, pas avec celle d’Antoine, c’est-à-dire la France. Evidemment, cela ne pouvait pas plaire à Antoine.

Pourtant, il semble que, pour rester longtemps au pouvoir, il faut avoir la bénédiction de la France…

Antoine peut être au courant ou à la base de nos déboires, mais peut-être que nous avons aussi prêté le flanc. Le crash a-t-il eu lieu du fait de la France ? C’est une question compliquée. Il y a des voix plus autorisées que la mienne pour parler de l’état des rapports entre le Burkina et la France. Pour cela, il faut se référer aux rapports entre notre pays et la France avant, pendant et après la Révolution. Mais je ne saurais me prononcer sur les bons rapports qu’il faut entretenir avec la France pour garantir le paradis ou la sécurité à 100%. Il paraît cependant que ça fait du bien.

Selon certains observateurs, la chute de la Révolution serait due au fait qu’elle avait à sa tête trop de leaders. C’est vrai ou pas ?

Dire qu’il y avait trop de leaders, c’est un peu exagérer. Il y avait le leader, le n°1 donc. Il y avait les n°2,3 et 4. C’est  comme dans un match de football. Tout le monde ne joue pas au même poste. Il y a un capitaine, un marqueur, de défenseurs, des ailiers et un gardien de buts. Dire donc que la Révolution avait plusieurs têtes, c’est une contre vérité. Il n’y avait pas plusieurs centres de décision. Il y avait un capitaine dans le bateau. C’était le PF. A ce sujet, il ne faut pas chercher de poux sur une tête rasée.

Si la  Révolution était à refaire, seriez-vous partant ?

Si c’était à refaire, je serais candidat.

Pourquoi ?

Simplement parce qu’elle est bonne. Cette forme de Révolution, il faut l’avoir fait au moins une fois dans sa vie.

Qu’auriez-vous alors principalement corrigé ?

Sous la Révolution, il y avait un principe selon lequel il fallait mobiliser les gens  en fonction de leurs intérêts. Ce principe est toujours d’actualité. Nous n’aurions pas trop mis à ce sujet, le pied sur l’accélérateur. Il faut démarcher les gens comme les religions révélées démarchent leurs fidèles. Il fallait, comme le PF l’a dit, ne pas arriver seul sur la colline, mais y arriver avec tout le monde. Il fallait prendre le temps de démarcher les gens, les convaincre de la pertinence et de la justesse de notre cause, du défi que nous lançons à nous-mêmes et au monde, et surtout oser inventer l’avenir. Si vous dormez, quelqu’un d’autre vous préparera votre avenir. A ce sujet, j’ai une crainte : on dirait que les Burkinabé ont refusé d’oser inventer l’avenir.

On parle pourtant aujourd’hui, au sommet de l’Etat, de « développement solidaire »…

Je dis et j’insiste : il faut que les Burkinabè apprennent à inventer leur avenir. Pour paraphraser le PF, je dirais que, « tout ce qui sort de l’imagination de l’homme est réalisable par l’homme ». Toutes les inventions qui sont faites sont le fruit de l’imaginaire, de l’invention et de la recherche des humains. Tout ce que nous avons, c’est sortir de ces bobinettes ! Ça a été imaginé, pensé, concrétisé. Imaginons et réalisons ce qu’il nous faut. Notre confort ne doit  pas être dicté par l’extérieur.

Il y a beaucoup d’acteurs de la Révolution qui dirigent aujourd’hui le Burkina. Avez-vous le sentiment que le pays est sur une bonne voie ?

J’évite, autant que possible, de porter des jugements de valeur sur des gens alors que nous ne vivons pas les mêmes réalités. Ils agissent en fonction des réalités du moment. Nous voulons tous le bien du pays, mais il  y a peut-être plusieurs façons de le faire. Mais j’évite d’aborder des sujets à polémiques. Nous devons faire des propositions afin que les choses avancent. Certains disent que les Burkinabè ne travaillent pas. Il faut qu’ils travaillent, il faut qu’on nous filme les peuples au travail, afin que nous puissions nous en inspirer.

A quels peuples pensez-vous ?

Aux peuples de Chine, d’Inde, de Corée du Sud, etc. Notre situation n’est pas si lamentable ; c’est une question d’organisation. Organisons-nous et croyons en nous-mêmes. La pauvreté n’est pas une malédiction. Mais si nous sommes des pauvres qui nous comportons comme des riches, nous serons éternellement assistés. Il faut que nous ayons l’intelligence de notre pauvreté. La malédiction qui peut nous arriver, c’est de ne pas avoir cette intelligence. Dans une telle situation, vous devenez un pauvre éternel. Mais celui qui a l’intelligence de sa pauvreté finira par vaincre cette pauvreté.

Propos recueillis par Hervé d’Afrik

Interview parue dans le Reporter n°6 décembre 2007, mensuel burkinabè

Source  : lejourquotidien.info

2 COMMENTAIRES

  1. Alouna Traoré : «Si la Révolution était à refaire, je serais candidat».
    BONJOUR
    c’est du concret mais il faut qu’il parle du 15 OCTOBRE 1987 car il y a 2 choses qu’on ne contrôle pas la mort et la vieillesse nous burkinés et le monde entier voulons connaitre la vérite

    • Alouna Traoré : «Si la Révolution était à refaire, je serais candidat».
      Je suis tout a fait d’accord avec le commentaire ci-dessus. Nous voulons savoir ce qui s’est passe le 15 Octobre 1987. Je comprends qu’il craigne pour sa vie, mais il se doit d’ecrire ses memoires pour parler de ces evenements-la. Il le doit a tous ceux qui ont peri ce jour-la. Il le doit au PF … Il le doit a Sankara, a sa famille, et au monde entier. Pardon Tonton Alouna, ecrivez vos memoires, et faites meme imprimer dans un autre pays (etc…)… mais ecrivez tout de meme, c’est votre devoir!

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