AVERTISSEMENT;

Cet écrit assez ancien date de 2007, alors que de nombreux nouveaux éléments ont été mis à jour depuis. Nous vous suggérons donc celui intitulé “Les circonstances de l’assassinat de Thomas Sankara” qui traite largement du complot, plus récent qui date de 2018. (voir à http://www.thomassankara.net/who-killed-thomas-sankara-by-bruno-jaffre/)


Coup sur coup, après les déclarations de Prince Johnson, RFI donne la parole à des personnes qui nient l’existence d’un complot dans l’assassinat de Thomas Sankara, Stephen Smith qui semble ne pas avoir travaillé sur question depuis 1987 et Amar Essy un proche d’Houphouët Boigny. Nous tentons pour notre part de faire en sorte que la vérité éclate.

Vous trouverez donc ci-dessous dans le chapitre consacré au complot extérieur publié dans “Biographie de Thomas Sankara, La Patrie ou la mort”, édition revue et augmentée, (voir à l’adresse http://thomassankara.net/?p=441) publiée en octobre 2007, un certain nombre d’éléments confirmant l’hypothèse du complot. A noter encore depuis cette publication, un autre témoignage intervenu en 2008 à verser au dossieur en plus des déclarations de Charles Johnson. Un journaliste français a en effet affirmé publiquement avoir été manipulé par Guy Penne et les services secrets dans la période précédent l’assassinat de Sankara. Nous avons pu récupérer l’intégrale de sa déclaration (Voir à l’adresse http://thomassankara.net/?p=625).

Ces éléments devraient plutôt inciter la presse à rechercher à vérifier ou non ce qui est livré plutôt que de partir à la recherche de personnalités qui continuent à nier l’existence d’un complot extérieur. Puis-je me permettre de faire une suggestion à RFI. Vous verrez dans le chapitre publié ci-dessous que dans l’émission de France Inter intitulée rendez-vous avec M. X, l’éventualité d’un complot extérieur contre Sankara ne fait aucun doute. France Inter et RFI sont dans la même maison non ? Que ne cherche-t-on à en savoir un peu plus sur ce qui a été déclaré dans l’émission rendez-vous avec M. X ?
Nous rappelons d’autres articles précédemment lignes contenant aussi de nombreux éléments sur l’assassinat de Thomas Sankara :
– “Le sénateur Johnson confirme : Blaise Compaoré a assassiné Thomas Sankara” de Rémi Rivère à l’adresse http://thomassankara.net/?p=677 avec une interview inéditie sur la présence des libériens par un chercheur que nous avions interviewé j’avais en mai 2001. Cette interview donne des élements précis avec des noms sur les connexions françaises
– Prince Johnson : ” Blaise Compaoré ne peut plus rien contre moi ” un article paru dans la presse burkinabé ecrit par un journaliste qui est parti rencontrer Johson commentés par nos soins à l’adresse http://thomassankara.net/?p=678.

Bruno Jaffré

Le texte qui suit est extrait de “Biographie de Thomas Sankara, la patrie ou la mort..”, paru à l’Harmattan en octobre 2007 dont vous trouverez une présentation à l’adresse
http://thomassankara.net/?p=441


Le complot extérieur

Des tracts orduriers sont distribués à partir de septembre 1987. Dans l’un d’eux, intitulé « Blaise Compaoré le manipulateur de l’ombre », signé « les démocrates unis » on peut lire : «
Il est atteint de schizophrénie chronique mais patente qui se caractérise par des pulsions sexuelles névrotiques (ce pourquoi le vil rabatteur Palm Jean-Pierre est chargé)
– l’impulsion de l’inconscient en des phantasmes dans la conscience du sujet le pousse à chercher à vivre sa vie onirique, détaché des réalités extérieures, ce qui explique pourquoi il se croit capable de coucher avec toutes les belles femmes du Burkina, de Côte d’Ivoire où il est reçu par son beau-père Houphouët
– l’autisme qui est une forme de repliement sur soi-même avec la réinsertion du monde réel ; le malade se retranche dans sa tour d’ivoire (où il s’est fait aménager un bar américain, où seuls les illustres amis sont admis), l’alcool aidant à sublimer les réalités du pouvoir
» [[Documentation personnelle]].

Les mêmes « démocrates unis » écrivent sous le titre « Thomas Sankara un déséquilibré mental qui mène le pays à la ruine » :
« Sankara envoie pratiquement chaque week-end des émissaires dans chaque coin du pays pour faire des sacrifices de toutes sortes. Tantôt ils vont voir des marabouts, tantôt des féticheurs… Des cadres travaillant à la présidence ont été nommés ‘chef’ de tel escalier, de tel couloir de la présidence. Gare au ‘chef’ si de son couloir ou de son escalier parviennent des bruits jugés inadmissibles par le PF. tout cela confirme la révélation de deux médecins français. Sankara est mentalement déréglé, déséquilibré, cela explique pourquoi au niveau de la politique intérieure et extérieure, c’est l’incohérence totale, l’échec le plus dramatique à tous les niveaux. Chers concitoyens, nous sommes gouvernés par un individu déjà avancé dans la folie. »

Et comme si cela n’était pas suffisant un tract s’en prend même à la vie sexuelle de Mme Sankara. Nous voilà bien loin du débat politique. L’emploi de termes tel qu’« autisme », rarement utilisé au Burkina, la violence des propos, le détachement par rapport à tout respect de la personne humaine nous conduisent à soupçonner que des spécialistes d’entreprises de déstabilisation sont à l’œuvre. On sait désormais qu’Houphouët-Boigny a financé grassement cette campagne de tracts. Ainsi Bernard Doza, qui a recueilli le témoignage direct du secrétaire général de la présidence, écrit : « Houphouët débloque alors des fonds énormes – le secrétaire Général de Présidence, Coffie Gervais, parle de 5 milliards FCFA – pour développer une guerre de tracts tous azimuts qui déchirera le Burkina au cours du mois de juin 1987. Tout en dénonçant la déviation ‘militaro-fasciste’ du régime Sankara, les tracts tentent de créer la division entre les quatre chefs de la Révolution » [[Bernard Doza, op. cit. p. 248. Cet auteur m’a affirmé aussi avoir eu entre ses mains une lettre de Jacques Chirac destinée à Houphouët Boigny lui demandant de s’occuper de Sankara et que cette lettre aurait été confiée à un journal satirique sénégalais mais nous n’avons pu en retrouver la trace.]]. Une telle somme paraît disproportionnée quand il s’agit juste de distribuer des tracts. Alors à quoi a donc servi cet argent ? Houphouët-Boigny avait une conception de la politique, d’ailleurs partagée par nombre d’autres présidents, et pas seulement en Afrique, selon laquelle les hommes se laissent facilement acheter. Une attitude qui lui a en partie réussi puisqu’il est mort président de son pays qu’il dirigeait depuis l’indépendance. Par exemple, il avait pris l’habitude de convoquer les opposants étudiants, à leur retour au pays, quelles que soient leurs activités militantes passées, pour leur proposer de l’argent et des postes. Ceux qui refusaient ses avances n’avaient qu’à bien se tenir. Ils pouvaient très vite se retrouver en prison. Une partie de ces cinq milliards a sans doute dû servir à acheter quelques personnes.

Mais comment est-on arrivé à cette connivence entre Blaise Compaoré, ami intime de Sankara, considéré comme le numéro deux du régime du CNR, et Houphouët-Boigny ? C’est probablement justement parce qu’il était le numéro deux que les réseaux vont s’intéresser à lui.

Et les contacts sont, semble-t-il, établis plus tôt qu’on ne l’imagine, puisque parlant de la difficulté des rapports avec les socialistes alors au pouvoir, Frédéric Lejeal écrit : « ce facteur pousse l’équipe du CNR, Blaise Compaoré en tête, à rechercher le soutien, des plus inattendus, du Rassemblement de la République (RPR)… ‘RPR – CDR’ même combat, pourra-t-on entendre dans les rues de Ouagadougou suite à une visite de Blaise Compaoré à Paris en 1984 » [[Frédéric Lejeal, op. cit. p. 176.]]. Les socialistes au pouvoir, les réseaux Foccart [[A noter que dans Foccart parle, entretiens avec Philippe Gaillard, Fayard – Jeune Afrique, tome II, 1997, 523 pages, on peut lire à la page 303, à propos de Guy Penne : « Nous n’avions aucun désaccord profond » p. 303.]] disposent de moins de moyens, que ce dont ils disposeront un peu plus tard, mais ce n’est pas pour autant que le réseau de renseignements n’existe pas. Des personnages douteux approchent Sankara pour toutes sortes de propositions et rendent compte à leurs commanditaires des rapports particuliers qu’il entretient avec Blaise Compaoré. Sans doute ont-ils senti des failles. Sankara, dont la complicité avec Compaoré est décrite comme totale, par la presse, semble cependant parfois le traiter un peu à la légère. Et si le premier tend à l’ascétisme dans un mélange de foi, de sacrifice et de don total de lui-même, le second est déjà connu comme séducteur ne dédaignant pas les plaisirs de la vie. Et puis il a construit son propre réseau, il garde des liens avec la chefferie dont des représentants viennent régulièrement lui faire remarquer qu’un Mossi ne peut être le second d’un Silmi-mossi.

En janvier 1985, Blaise Compaoré part en visite en Côte d’Ivoire. Sankara lui fait confiance et ce n’est pas la première fois qu’il lui confie une mission délicate. Depuis quelque temps il est attiré par une jeune fille du quartier de Dapoya. Il a demandé au vieux Joseph d’intercéder en sa faveur auprès de la famille de la jeune fille. Joseph Sankara le considère comme son fils. Les choses avancent au rythme des usages en cours et il ne reste qu’à fixer les dates du mariage [[Témoignage de Jonas Hien, ami du vieux Joseph dont il a recueilli les confidences publié dans l’hebdomadaire Bendré du 16 octobre 2006.]] .

Durant son voyage en Côte d’Ivoire, c’est au cours d’une réception qu’on lui présente une jeune femme particulièrement séduisante. Elle fait partie d’un groupe, issu du lycée de jeunes filles de Yamoussoukro, formé pour participer au protocole d’accueil des présidents, ou d’autres personnalités importantes, en visite dans le pays, chargé de rendre leur séjour agréable. Elle est la fille du docteur Jean Kourouma Terrasson, une figure de la Côte d’Ivoire, proche d’Houphouët-Boigny. Parmi les premiers cadres formés sous la colonie, il a poursuivi sa carrière professionnelle dans les cabinets ministériels après l’indépendance. Son grand-père n’est autre que le gouverneur colonial Terrasson de Fougère [[Voir à l’adresse http://olblot.free.fr/epibf0.html le Mémoire de DEA de Olivier Blot, sous la direction de Richard Bagénas, intitulé Epiphénomènes de la crise ivoirienne.]] . A son retour, Blaise Compaoré déclare au vieux Joseph ne plus vouloir se marier avec la jeune fille de Dapoya. Il a trouvé lui-même sa femme. Tout va aller très vite puisque le mariage est célébré le 29 juin 1985, à peine six mois après leur rencontre. Entre temps, Blaise Compaoré très amoureux, se rend régulièrement en Côte d’Ivoire pour la rejoindre. Il a de nombreux entretiens avec Houphouët-Boigny. Celui-ci s’implique personnellement dans la réussite de la noce. Il affrète son avion personnel pour transporter le couple sur les lieux du mariage. Il leur offre de nombreux cadeaux, dont une importante somme d’argent, on parle de 500 millions de FCFA, pour que sa jeune protégée franco-ivoirienne puisse continuer à mener le train de vie auquel elle aspire, dans un pays où la population est appelée à vivre selon ses moyens et à compter sur ses propres forces.

Houphouët tente aussi d’employer des méthodes similaires avec Thomas Sankara. Il ne peut pas lui trouver une femme, mais il peut essayer de le corrompre. Ainsi au cours d’une rencontre à huis clos entre les deux hommes, Houphouët-Boigny est venu avec une valise bourrée de liasses de billet. Au cours de la conversation le président ivoirien veut la lui offrir. Nombreux sont ceux qui auraient pris l’argent. Mais Sankara est différent. Il ouvre immédiatement la porte et tient à montrer la valise à ses collaborateurs. Ceux-ci sont gênés et lui reprocheront par la suite de ne pas avoir pris cet argent, avec lequel il aurait pu acheter du matériel de santé. Houphouët-Boigny, démasqué publiquement, voire ridiculisé, rumine sa colère [[Cette anecdote m’a été racontée par un collaborateur de Sankara ayant assisté à la scène.]].

Selon les apparences, la mission de Blaise Compaoré semble avoir réussi puisque Thomas Sankara et Houphouët-Boigny vont se rencontrer à Yamoussoukro à l’occasion d’un sommet de la CEAO (Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest). Pourtant c’est aussi une période tendue entre les deux pays. Une bombe est découverte dans la suite où devait loger Sankara, qui s’avère d’ailleurs une provocation organisée par Vincent Sigué. La mise en place des TPR déplaît au plus haut point à Houphouët-Boigny qui voit à ses portes juger publiquement un système, à la grande joie des Ivoiriens, perpétué depuis bien longtemps dans son pays, et sur lequel il s’appuie pour assurer son pouvoir. Enfin, l’assassinat de l’homme d’affaire Valentin Kinda [Le rapport de mission de RSF (Reporters Sans Frontière) sur l’assassinat de Norbert Zongo (voir à l’adresse : [http://www.rsf.org/article.php3?id_article=727) cite un témoignage qui sous-entend que, parmi les personnes étant venues le menacer, figurait un des membres du commando qui a assassiné Valentin Kinda.]] donne l’occasion aux diplomates des deux pays de hausser le ton, à tel point que l’ambassadeur du Burkina en Côte d’Ivoire sera rappelé par le ministre des Affaires étrangères.

La guerre du Mali, le premier avertissement

Le Burkina avait pourtant donné quelques signes de bonne volonté envers le Mali en acceptant dès septembre 1983 que le conflit frontalier, qui l’oppose à ce pays, soit traité à la Cours internationale de Justice de La Haye. En levant peu après son veto, il permettait à son voisin d’intégrer la CEAO. Mais les dirigeants maliens s’inquiètent de la popularité grandissante de Sankara. Après l’arrestation de Mohamed Diawara dans une importante affaire de détournement au sein de la CEAO, c’est au tour de deux protégés du régime malien, Moussa Ngom et Moussa Diakité, respectivement secrétaire général de la CEAO et contrôleur du Fonds de solidarité et d’investissement de cette Communauté, d’être arrêtés à leur tour pour être jugés devant les TPR. En août 1985, un autre malien Drissa Keita, secrétaire général de la CEAO est expulsé à son tour. Autant de mesures énergiques qui ravissent la population malienne, mais qui ne manquent pas d’inquiéter les dirigeants de ce pays gangrené par la corruption.

En septembre 1985, nouvel éclat lors du sommet de la CEAO consacré aux problèmes de sécurité : les dirigeants des pays voisins mettent en accusation le Burkina alors que les dirigeants de ce pays sont eux-mêmes victimes de tentatives de déstabilisation. A son retour à Ouagadougou, sous le coup de la colère, Sankara se lance dans des déclarations particulièrement agressives pour ses voisins. Et pour cause, il a déjà pressenti que l’on cherche à fomenter une guerre contre le Burkina. Il déclare :

« Nous savons qu’à l’heure actuelle, l’on essaie de fomenter contre notre peuple des complots de tout genre et notamment l’on essaie de faire résonner à nos frontières des bruits de bottes. On essaie de créer, de déclencher contre notre peuple burkinabè une guerre injuste, multiforme.Voir ce discours à l’adresse  »

Sankara prend même parfois un ton belliqueux :

« Il [Jean-Baptiste Lingani] vous a expliqué que vous constituez les détachements d’assaut, qui prendront les citadelles, à partir desquelles certains valets sont en train de conspirer contre nous. Eh bien, je vais compléter son intervention en vous disant que même si nous ne disposons pas d’armes suffisantes parce que nous sommes si nombreux, eh bien, c’est moi qui vous le dis, ces armes, nous irons les prendre chez l’ennemi. [Applaudissements] Donc, tous les équipements, l’arsenal de guerre et de mort, dont ils sont en train de se doter actuellement, constituent notre propre dotation ! »

Il se rend probablement compte de ses écarts et tente de se reprendre car tout de suite après il insiste sur « l’amitié et le devoir internationalistes qui doivent nous habiter en permanence ». Mais c’est pour appeler les peuples des pays voisins à faire leur révolution « puisque seule la révolution leur permettra de se débarrasser de tous ceux qui, de l’intérieur de leur pays comme de l’extérieur, s’opposent à la réalisation de ce noble objectif ».

Il reprend, un peu plus loin, le même genre de propos, mais spécifiquement cette fois, pour le Mali et déclare : « seule la révolution lui (peuple malien) permettra de lutter contre la faim, la soif, la maladie, l’ignorance, et surtout de lutter contre les forces de domination néo-coloniales et impérialistes. Seule la révolution lui permettra de se libérer ». Plus loin encore, il réfute toute idée d’exportation de la révolution : « il leur appartient de prendre leur responsabilité historique pour leur libération. Il n’est point question qu’ils attendent, de la part de quelque peuple que ce soit, de la part de quelque messie que ce soit, la force salvatrice. Ce serait une erreur, une erreur grossière, une erreur monumentale, une erreur contre-révolutionnaire ».

Quoi qu’il en soit la tonalité de ce discours n’a rien à voir avec la diplomatie. Sankara se laisse aller à sa colère et porter par la foule qu’il sait galvaniser. Sans doute, ce langage plaît-il aux jeunes Burkinabè, comme à ceux des pays voisins, qui observent la révolution du Burkina avec un intérêt grandissant. Mais dans cette période de grande tension, il ne contribue pas à l’apaisement.
Par ailleurs, le Burkina subit alors une campagne de presse le présentant comme surarmé, ce que démentira l’issue rapide du conflit au profit des forces maliennes.

A l’approche de Noël, le Mali concentre ses troupes près de la frontière. Les Burkinabè ont entrepris un vaste recensement. Des soldats accompagnent le personnel chargé d’inventorier la population, dans un village situé dans la zone revendiquée par les deux pays. Les Maliens vont prendre prétexte de leur présence sur leur territoire pour lancer une offensive de grande ampleur.
Sankara tente une ultime démarche pour éviter le conflit. Il téléphone à Moussa Traoré pour lui dire : « je vous envoie quelqu’un qui peut rentrer chez moi quand il veut, qui peut me dire ce qu’il veut, c’est mauvais si c’est mauvais, qui connaît le fond de mon cœur, qui peut me dire non quand nécessaire… ». Il envoie au Mali son ami malien Lansina Sidibé, qu’il a connu à Madagascar, rencontrer Moussa Traoré et tenter une dernière médiation. A son arrivée, Sidibé est emmené directement à la sécurité intérieure pour être interrogé, car jusqu’ici Sidibé ne s’était pas fait connaître comme l’ami du président du pays voisin. Il est finalement reçu une heure, mais en réalité Moussa Traoré ne le laisse pas parler. Il ne fait qu’exprimer sa colère contre le Burkina qu’il a aidé, dit-il, en faisant parachuter des vivres par les Américains à la frontière. Il ne veut visiblement rien écouter, comme si tout était déjà joué. Sidibé rentre rendre compte à Sankara et lui dit très franchement ce qu’il ressent : Moussa Traoré veut la guerre. Le Togo et le Niger tentent de leur côté une dernière médiation sans succès. Sankara confie alors à Sidibé qu’il était le seul parmi les dirigeants militaires du Burkina à ne pas souhaiter la guerre, mais isolé, il a dû se plier à la majorité.

En réalité, le Mali est bien mieux armé que l’armée burkinabè qui peine à trouver des armes. Au milieu de l’année 1985, Charles Hernu, ministre de la Défense a effectué deux visites à Bamako suivies de missions militaires, et le Mali a alors bénéficié de livraisons d’armes, ce que n’arrivait pas à obtenir le Burkina Faso. En plus, le Mali bénéficie d’un armement lourd en provenance de l’Union soviétique. Le Burkina semble avoir dû employer des moyens détournés pour se procurer des munitions, dont l’armée manquait cruellement à l’approche d’un conflit imminent. Les réseaux d’extrême gauche européen auraient été sollicités jusqu’au Portugal, probablement auprès des militaires ou anciens militaires ayant participé à la révolution en 1974. De plus, l’Algérie prend fait et cause pour le Mali, ce qui constitue une déception pour le Burkina !

A l’approche de Noël, l’état-major de l’armée, hésite à faire rentrer les soldats burkinabè qui se trouvent à la frontière. Sankara pense alors qu’il ne peut fêter Noël à Ouagadougou, pendant que les soldats sont sur le front, et il décide d’aller passer Noël avec eux. Le matin vers 5 heures, un garde du corps entend des bruits de char. Sankara est alors en train de discuter dans un village. Les autres militaires qui sont là depuis quelques jours ne veulent pas y croire et tentent de rassurer tout le monde. Mais par prudence, Etienne Zongo, qui veille de très près sur la sécurité de Sankara, rassemble les voitures, va chercher le président et ils quittent précipitamment l’endroit. Quinze minutes plus tard, la position est attaquée. La moitié du convoi est renvoyée pour la soutenir tandis que l’autre moitié se dirige vers Djibo. On apprend alors que cette ville aussi a été attaqué et finalement on décide de rentrer précipitamment sur Ouagadougou. L’attaque a donc eu lieu lorsque Sankara était sur le front. Coïncidence ? Dans l’entourage du président on est en tout cas convaincu du contraire à ce moment-là.

Le jour de Noël plus d’une centaine de blindés attaque au nord et à l’ouest du pays tandis que des avions MIG21 bombardent les villes de Djibo et de Ouahigouya. L’armée burkinabè est en difficulté. Ce sont Houphouët-Boigny et Abdou Diouf, deux des présidents de la région les plus hostiles à la révolution burkinabè, très critiqués par les dirigeants du CNR, qui interviennent alors auprès de Moussa Traoré, pour qu’il cesse les combats contre le Burkina. Comme si, après avoir attisé le conflit par Mali interposé, ils avaient voulu signifier au Burkina leur puissance dans la région, en montrant leur capacité à souffler le chaud et le froid, pour finalement apparaître comme les sauveurs, afin que les autorités de ce pays se sentent redevables.

Qui avait intérêt à cette guerre ? Le Mali était bien mieux armé. Une grève générale était en préparation et l’opposition malienne en voudra à Sankara, pensant à tort, qu’il était véritablement à l’origine de cette guerre des pauvres.
Dans les jours qui suivent, Sankara tient malgré tout à montrer encore son aversion envers toute forme de xénophobie ou toute tentative de vengeance qui vise les nombreux Maliens vivant au Burkina. Deux meetings de solidarité avec le peuple malien sont organisés, les 3 et 6 janvier 1986, à Ouagadougou et à Bobo Dioulasso.

A-t-on voulu punir Sankara ou lui tendre un piège ? Difficile d’imaginer que les dirigeants des pays voisins puissent ignorer l’état réel de l’armée burkinabè. Les Maliens n’avaient-ils pas la bénédiction d’Houphouët-Boigny ? Comment peut-on penser que le président de la Côte d’Ivoire n’en aurait pas été informé, alors qu’il existe de multiples organismes de concertation dans la région, dont l’ANAD (Accord d’assistance de non-agression en matière de défense), signé par la Côte d’Ivoire, le Togo, le Sénégal, le Niger, la Mauritanie, la Guinée, le Burkina et le Mali.

Les hostilités sont déclenchées le 25 décembre, alors que justement une mission de l’ANAD doit venir le 26 décembre constater le retrait des troupes burkinabè. Tout le monde sait que le Mali est mieux armé, ce qui n’empêche pas quelques journalistes de lancer une campagne de presse, depuis leurs bureaux parisiens, affirmant que le Burkina tient ses instructions de la Libye et qu’il est très bien armé.

Difficile dans ces conditions de ne pas voir, dans cette succession d’évènements, la volonté de donner une leçon au jeune capitaine et à ses amis révolutionnaires, déjà extrêmement populaires parmi la jeunesse des pays voisins, et dont les écarts, dans les discours, peuvent être ressentis comme des provocations. En intervenant ensuite personnellement pour faire cesser les combats, Houphouët-Boigny veut ainsi apparaître comme le sauveur du Burkina, mais aussi le véritable maître de la région, où il peut faire la pluie et le beau temps. Comment se fait-il que les liens privilégiés entre Blaise Compaoré et le président ivoirien n’aient pas pu empêcher que le conflit ne se déclenche ?

Les réseaux françafricains entrent en scène

Coïncidence ? Après ce conflit, les relations avec la France et la Côte d’Ivoire se détendent rapidement et simultanément. Les accords de coopération sont signés avec la France en février 1986 et Houphouët-Boigny effectue une visite officielle au Burkina en mars de la même année. Personne n’a réellement envie de voir la guerre s’étendre dans la région. Le Burkina renferme peu de richesses dans le sous-sol, même si la bande contestée est censée abriter du manganèse, ce que conteste d’ailleurs une partie des experts.

Le répit sera de courte durée. La droite gagne les élections le 16 mars 1986 et Jacques Chirac est nommé premier ministre par François Mitterrand quatre jours plus tard. Les réseaux Foccart reprennent plus activement du service. Au sommet de la CEDEAO de juin 1986, nouvelle alerte. Sankara devait être élu président, mais la plupart des chefs d’Etat s’y opposent. Le bruit court qu’un complot se prépare contre Sankara, qu’il va disparaître et qu’il vaut mieux qu’il ne soit pas élu président de la Confédération. Les membres de la sécurité togolaise s’en seraient ouverts au journaliste Norbert Zongo, présent lors de ce sommet. Sankara bloque la réunion et la lecture du communiqué final, jusqu’à ce que son entourage finisse par le convaincre de passer l’éponge.

A propos des réseaux, rapportons ce que révèle M. X, présenté comme un ancien membre des services secrets français dans une émission de France Inter Emission sur France Inter, Rendez-vous avec Monsieur X, de Patrick Pesnot du 23 février 2002. Les extraits que nous publions sont des retranscriptions fidèles d’extraits de cette émission. La voix est probablement celle d’un acteur et il est probable que plusieurs anciens membres des services secrets collaborent à cette émission. On peur écouter l’émission à l’adresse  consacrée à la mort de Thomas Sankara.

« – Il est bien évident que, dès le retour de la droite aux affaires en France, nos meilleurs amis africains se précipitent sur leurs téléphones.
– Pour féliciter les vainqueurs ?
– Et surtout pour demander à Jacques Foccart de mettre fin au scandale Sankara. Ce jeune type intègre, qui clamait tout haut qu’il fallait en finir avec le néocolonialisme et l’exploitation de l’Afrique, représentait pour tous ces présidents africains une provocation permanente et un danger aussi pour leur propre pouvoir. Car j’insiste encore, le capitaine Sankara est devenu rapidement un héros pour la jeunesse africaine, peut-être encore plus que Lumumba.
– Y a-t-il un chef de file dans cette campagne contre Sankara ?
– Le mieux placé est Houphouët-Boigny par ce qu’il est géographiquement le plus proche.
– Et donc le plus menacé ?
– Le vieux chef est alors le leader incontesté de l’Afrique noire francophone et, répétons le, c’est l’homme de la France en Afrique.
– Et un grand ami de Foccart.
– Comme il était très lié à Guy Penne le conseiller de Mitterrand. Enfin bref. Les relations entre le vieux Houphouët et le jeune Sankara ne pouvaient être que détestables et de multiples incidents ont émaillé les rapports entre ces deux pays pendant la période Sankara.
»

Et plus loin :

« – A votre avis, dès le retour de Foccart, on songe vraiment à se débarrasser de Sankara ?
– Bien sûr.
– Les services secrets vont jouer un rôle alors ?
Les services français ? Comment pourrait-il en être autrement ? L’Afrique est truffée d’agents, des anciens qui travaillent directement pour des dirigeants africains ou des compagnies. Il y a ceux qui sont en activité et qui veillent à préserver nos intérêts là-bas.
»

Mais les réseaux ne se contentent pas d’intervenir pour déstabiliser le régime. Il faut aussi montrer à Blaise Compaoré qu’il bénéficiera du soutien du nouveau gouvernement français et ainsi achever de le convaincre. Aussi cette information dévoilée par Jeune Afrique en 1998 [[Jeune Afrique (2 juin 1998). Information d’autant plus sérieuse que Jeune Afrique est légataire universel des écrits de Jacques Foccart.]] vient confirmer le travail de séduction entrepris auprès de Blaise Compaoré avant octobre 1987. « A cette époque numéro deux d’une révolution à laquelle il ne croit plus, de plus en plus proche d’Houphouët, grâce auquel il fit la connaissance de sa future femme, le beau Blaise rencontra son homologue français, alors Premier ministre [[Il s’agit de Jacques Chirac.]] , via le président ivoirien et Jacques Foccart qui lui présenta l’état-major de la droite française, en particulier Charles Pasqua ». Quelques années plus tard, en 1992, Blaise Compaoré remet L’Etoile d’or du Nahouri à Jacques Foccart [[Frédéric Lejeal op. cit. p. 195.]]. Difficile de ne pas voir là un signe de reconnaissance pour les services rendus !

Comme nous l’avons vu, Sankara sort peu du pays en 1987. Il a pris conscience d’un certain nombre d’insuffisances et travaille à l’amélioration qualitative de la révolution. Il consacre une bonne part de son énergie à l’unification des organisations politiques révolutionnaires et à l’amélioration du fonctionnement des CDR. Aussi délègue-t-il Blaise Compaoré pour les missions importantes à l’étranger, que ce soit en Côte d’Ivoire ou en Libye. Ce dernier en profite pour tisser des liens personnels avec le colonel Kadhafi et son entourage. Et comme il est aussi responsable de la sécurité du régime, selon les attributions que se sont partagées les « quatre chefs historiques de la révolution », il envoie se former des hommes qu’il a choisis personnellement dans son entourage. Il se rend notamment dans ce pays en septembre 1987 à l’occasion d’une rencontre avec Jerry Rawlings et Yuweri Museveni, alors que les rapports qu’il entretenait avec Sankara se sont déjà largement détériorés.

La cabale contre le Togo, une provocation ?

Fin 1985, début 1986, les opposants togolais arrivent au Burkina pour demander de l’aide. L’opposition est alors divisée en deux branches, l’une autour de Gilchrist Olympio, le fils de l’ancien président togolais Sylvanus Olympio, assassiné par Gnassingbé Eyadema, l’autre autour d’Edem Kodjo. Le premier est installé au Ghana depuis la mort de son père. Ils optent pour une action militaire contre le régime et reçoivent le soutien des militaires burkinabè au pouvoir. Blaise Compaoré est chargé de cette affaire qu’il va suivre avec Gilbert Diendéré. Tavio Amorin sert d’intermédiaire entre les opposants togolais et les militaires burkinabè… Pendant quelques mois des 4×4 partent toutes les deux semaines au Ghana. D’autres 4×4 sont achetées au Togo au nom de l’ambassade du Burkina Faso. Le 24 septembre, près de soixante-dix togolais armés rentrent au Togo soutenus, semble-t-il par des soldats burkinabè. Mais ils n’ont pas le temps de faire quoi que ce soit. Ils sont immédiatement repérés et mis hors d’état de nuire. Jerry Rawlings est en colère car l’attaque a eu lieu depuis le Ghana, mettant son pays en danger.

Cette attaque apparaît aujourd’hui, avec le recul du temps, bien mystérieuse. Comment imaginer que quelques dizaines d’hommes armés puissent entrer au Togo, par le Ghana, pour tenter une opération militaire et qu’ils puissent espérer un quelconque succès ? Peut-on imaginer que Sankara puisse accepter l’organisation d’une telle opération sans en référer à Rawlings ? Pourquoi un officier aussi expérimenté que Diendéré a-t-il donné son aval à une telle opération forcément vouée à l’échec ? Comment en ont été informés les services de sécurité visiblement mis au courant ?
Autant de questions qui restent actuellement sans réponse. La thèse de la provocation pour impliquer le Burkina et le désigner comme le déstabilisateur de la région apparaît la plus plausible. Nous sommes en septembre 1986. La droite française est déjà revenue au pouvoir et Foccart est lui aussi de retour. Blaise Compaoré est déjà marié, depuis plus d’un an, avec Chantal de Terrasson de Fougère et ses relations avec Houphouët-Boigny sont déjà étroites.
Deux hypothèses sont vraisemblables. Soient les opposants togolais ont lancé l’attaque sans prévenir leurs parrains burkinabè, ce qui paraît peu probable si la présence de soldats burkinabè était confirmée. Soit leurs parrains burkinabè, parfaitement au courant les ont laissé faire, pour contribuer à augmenter la tension dans la région et surtout pour monter un peu plus le président Eyadema contre Thomas Sankara. Ce serait dans ce cas un élément supplémentaire dans la préparation du complot pour l’assassiner.

Une rumeur circule, confirmée par des sources différentes, que le général Memel, proche de Gnassingbe Eyadema était présent à Ouagadougou avec quelques gendarmes togolais le 15 octobre. Reste à savoir quel rôle ils y ont joué ?

L’assassinat de Thomas Sankara, « sacrifice fondateur de l’alliance entre Kadhafi et la Françafrique »

Avec le recul du temps, et la connaissance que l’on a maintenant des connivences entre Jeune Afrique et les réseaux françafricains, la tentative de Sennen Andriamirado de nier l’ingérence étrangère prend une toute autre signification. Les articles qu’il a publié, après le 15 octobre 1987, dans Jeune Afrique, ont valu à l’hebdomadaire une interdiction en Côte d’Ivoire, un des plus gros marchés pour ce journal. On sait aussi que Sennen a eu quelques explications vives avec la direction de son journal. Dans son livre publié en 1989, il contredit donc sur ses premiers écrits dénonçant le rôle de la Côte d’Ivoire, tente de se justifier et surtout nie cette fois toute implication de Kadhafi, d’Houphouët-Boigny ou du président togolais Eyadema :

« Lorsqu’il s’est agi d’expliquer, à chaud et mais aussi à froid, l’assassinat, certains ont voulu y voir, pêle-mêle, une opération organisée avec le Libyen Mouammar Kadhafi, approuvée par l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, soutenue par le Togolais Gnassingbé Eyadema, voire par tous les ‘impérialistes’ réunis… Les témoignages n’ont pas manqué, et nous en avons recueilli plusieurs, contradictoires mais souvent troublants, voire vraisemblables sans être probants. » [[Sennen Andriamirado, Il s’appelait Sankara, Jeune Afrique Livres, premier trimestre 1989, p. 160-161]]

On relève cependant l’ambiguïté du propos. François Xavier Verschave va d’ailleurs démontrer avec brio, quelques années après, la réalité de cette alliance [[François Xavier Verschave, Noir Silence, mai 2000, voir le chapitre « Loterie terroriste en Sierra Leone » p.80]] . Après avoir rappelé l’affrontement au Tchad et l’attentat du DC10 d’UTA attribué aux services secrets libyens, il écrit :

«… De l’autre côté, Kadhafi et la Françafrique multipliaient les causes communes. Cimentées par l’anti-américanisme. Agrémentées d’intérêts bien compris. L’élimination du président burkinabè Thomas Sankara est sans doute le sacrifice fondateur. Foccart et l’entourage de Kadhafi convinrent en 1987 de remplacer un leader trop intègre et indépendant au point d’en être agaçant, par un Blaise Compaoré infiniment mieux disposé à partager leurs desseins. L’Ivoirien Houphouët fut associé au complot. » [[Idem P. 346-347.]]

Les autorités libyennes ne prendront même pas la peine de présenter leurs condoléances à l’ambassadeur burkinabè en Libye après la mort de Sankara.
C’est d’octobre 1987, que date le rapprochement avec Taylor, comme en témoigne un de ses anciens généraux, John Tarnue, lors d’une audition au Tribunal spécial international pour la Sierra Leone [Voir la retranscription des minutes de cette audition du 4 octobre 2004, au Tribunal spécial pour la Sierra Leone, à l’adresse [http://www.sc-sl.org/Transcripts/RUF-100404.pdf. L’extrait auquel nous faisons référence (aux alentours de 17h57) a fait l’objet d’un article de Rémi Rivière dans l’hebdomadaire burkinabè Bendré disponible à l’adresse :
http://thomassankara.net/?p=168.]] . Il explique comment, en exil au Ghana, Charles Taylor a réussi à se lier avec l’ambassadeur du Burkina Faso, qui lui a arrangé un rendez-vous au Burkina avec Sankara. Après la deuxième entrevue, celui-ci semble être prêt à l’aider financièrement. Mais tout de suite après, Blaise Compaoré aurait proposé à Charles Taylor un marché : l’aider à assassiner Sankara, mais Tarnue n’évoque pas la contrepartie. On peut supposer qu’il s’agit de l’introduire auprès de Kadhafi. Par la suite, les effroyables guerres civiles au Liberia et en Sierra Leone, ont en effet montré la complicité entre Compaoré, Taylor et Kadhafi. Tarnue ajoute que cette connivence avec Blaise Compaoré aurait ouvert bien des portes à Charles Taylor, depuis « un couloir avec la Côte d’Ivoire », grâce aux « liens » privilégiés de Blaise Compaoré avec Houphouët-Boigny, aux terrains d’entraînements militaires du Burkina Faso, et finalement, jusqu’à Mouammar Kadhafi et un camp d’entraînement libyen, qu’il appelle « Alma Saba ». Les Libériens étaient donc présents à Ouagadougou le 15 octobre. Quelle mission leur a-t-on confié ? Pouvaient-ils si rapidement se ranger derrière Blaise Compaoré ? Un témoin, enfermé après le 15 octobre, m’a affirmé avoir été détenu en compagnie de Libériens. Certains ont-ils eu de réticences à participer à l’assassinat de Sankara ? Les Libériens ont-ils eu d’autres missions ? En décembre 1991, Alain Ludovic Tou, qui avait eu l’outrecuidance de critiquer le Front Populaire, est victime d’une agression. Il aurait entendu ses agresseurs s’exprimer en anglais [[C’est à la même période qu’a été assassiné Clément Oumarou Ouedraogo et que M. Moctar Tall a été aussi victime d’un attentat dont il est resté infirme. Avec Ludovic Tou, ils avaient rejoint le Front Populaire après le 15 octobre 1987, puis avaient critiqué l’hégémonie de l’ODP/MT (Organisation pour la démocratie et le progrès / mouvement du travail) à partir de 1991.]].

M. David Crane, ancien procureur du Tribunal spécial des Nations unies pour la Sierra Leone a confirmé cette alliance en déclarant en 2006 : « Charles Taylor était la pièce maîtresse d’un plan géopolitique de dix ans, mis en œuvre à la fin des années 80 par le Libyen Mouammar Kadhafi. Il s’agissait de recruter des individus qui fomenteraient la rébellion, s’empareraient du pouvoir dans leur pays et deviendraient des pions de Kadhafi qui, ainsi, aurait les mains libres en Afrique de l’Ouest… Nous avons des preuves incontestables de cela. Parmi les individus ainsi recrutés se trouvaient Foday Sankoh, ancien chef du RUF (Front révolutionnaire uni), Blaise Compaoré, actuel président du Burkina Faso et Ibrahim Bah, marchand de diamants. » Voir à l’adresse , Liberia: l’arrestation de Charles Taylor est un grand moment pour la justice internationale, une traduction d’une dépêche du Département d’Etat des Etats-Unis du 11 avril 2006.]] Encore une fois François Xavier Verschave avait donc vu juste, lui qui définit ainsi la Françafrique :

« La Françafrique définit une nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en France et en Afrique, organisée en réseaux et lobbies, et polarisée sur l’accaparement de deux rentes ; les matières premières et l’aide publique au développement. La logique de cette ponction est d’interdire l’initiative hors du cercle des initiés. Le système, autodégradant, se recycle dans la criminalisation. Il est naturellement hostile à la démocratie. Le terme évoque aussi la confusion, une familiarité domestique louchant vers la primauté. » [[Définition issue de La Françafrique, Le plus long scandale de la République, François Xavier Verschave, Stock, avril 1998, P. 175. Dans le chapitre intitulé « My Talylor is rich », de cet ouvrage, pages 205 à 226, l’auteur démontre avec force détail, citant de nombreux noms à l’appui, la connivence entre les réseaux françafricains et l’entourage de Kadhafi.]]

On lit ici ou là que la Françafrique ferait partie du passé. Pourtant aujourd’hui, M. Blaise Compaoré, est bien installé désormais comme successeur de Félix Houphouët-Boigny en tant que meilleur allié de Paris dans la région. Son rôle stratégique dans la Françafrique est illustré par la création récente de l’Association française d’amitié franco-burkinabè, présidée par M. Penne. On y retrouve M. Michel Roussin, ancien des services secrets, membre du Mouvement des entrepreneurs de France (Medef) et numéro 2 du groupe Bolloré en Afrique. Ancien ministre de la coopération de M. Edouard Balladur en 1993, il côtoie ses successeurs à ce poste : M. Jacques Godfrain, autrefois proche de Foccart, M. Pierre-André Wiltzer, ancien membre de l’Union pour la démocratie française (UDF) et le socialiste Charles Josselin. Dès sa victoire à l’élection présidentielle de 2007, M. Sarkozy a donné un signe fort à l’Afrique en fêtant son accession au pouvoir à bord d’un magnifique yacht prêté par M. Bolloré dont le groupe est omniprésent en Afrique.

Blaise Compaoré a été impliqué dans les conflits dans la région, en Sierra Léone et au Libéria, dirigés par des chefs de guerre sans foi ni loi, si ce n’est celle de l’argent, soutenus par les réseaux « françafricains », pour s’emparer des richesses d’un territoire. Il a abrité les rebelles ivoiriens avant qu’ils ne s’emparent du nord de la Côte d’Ivoire. Blaise Compaoré a été dénoncé dans plusieurs rapports de l’ONU de trafic d’armes et de diamants au profit de l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola) , le Burkina a même été menacé de sanction mais n’a finalement pas été inquiété, sans doute grâce à l’intervention des représentants français au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais on annonce de nouvelles révélations lors du procès de Charles Taylor devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, hébergé par la Cour pénal international à La Haye.

Sans doute est-il encore un peu tôt pour enquêter plus avant sur ce drame. Les quelques faits révélés ici et l’analyse politique, ainsi que l’évolution de la situation dans la région, confirment l’hypothèse d’un complot. Il a fallu quarante ans pour que les circonstances exactes de la mort de Patrice Lumumba soient révélées. Un jour aussi, certains acteurs du complot contre Sankara parleront et les archives dans les différents pays concernés deviendront accessibles.

Extrait de “Biographie de Thomas Sankara, la patrie ou la mort..”, paru à l’Harmattan en octobre 2007 dont vous trouverez une présentation à l’adresse
http://thomassankara.net/?p=441

Bruno Jaffré

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