Fable documentaire – Couleur – 16:9 – 56 min. – VO français, moré – ST français, english
Sur le mode de la parabole et de la causerie, entre sommeil et réveil, entre ombre et lumière, Qui es-tu octobre ? revient sur l’insurrection populaire survenue au Burkina Faso en octobre 2014 et restitue le portrait d’une société burkinabè profondément marquée par la pensée de Thomas Sankara assassiné, 28 ans plus tôt, en octobre 1987.
Un film « performé »
Rejouer, jouer de l’écho, les flashs d’information résonnent sur les murs en banco du microcosme d’un quartier populaire de Ouagadougou où les femmes cuisinent à ciel ouvert dans les cours. Rejouer l’insurrection populaire, tel est l’enjeu du pacte scellé par la réalisatrice avec les habitants, essentiellement des femmes et des adolescents, du quartier de Norsin retranché de la fureur qui s’abattra sur le centre ville au sein des institutions et des ambassades pendant l’insurrection.
Avec ce film Julie Jaroszewski prolonge l’expérience d’un atelier théâtral avec un groupe de jeunes acteurs non-professionnels et scénarise son film autour de Mika, 18 ans, qui assiste à la montée de l’insurrection et à ses conséquences. Qui es-tu octobre ? est un film « performé » en ce sens qu’il entre dans le champ de la performance tant dans sa conception et sa genèse que dans sa mise en œuvre. En mêlant théâtre et cinéma au cœur de son dispositif filmique Julie Jaroszewski propose aux témoins que sont les habitants de Norsin d’être acteurs de leur histoire, de la rejouer comme pour mieux la saisir et nous la transmettre.
En arrière-plan le contexte historique et politique du pays. On se laisse volontiers entraîner dans le sillage de la réalisatrice mais les ruptures fréquentes du scénario demandent alors un réel effort de lecture au spectateur. Ce « film-école » comme le décrit joliment sa réalisatrice, aura ses moments de grâce mais aussi ses difficultés. Au montage, il agence des images d’archives – comme ce sidérant plan-séquence de la prise de l’Assemblée Nationale commentée en direct et en « in » par un journaliste dans sa course essoufflée avec la foule et face aux militaires qui reculent – à des séquences plus intimistes mises en scène et filmées avec justesse, comme le repas familial qui nous renvoie à la réalité quotidienne des Burkinabè.
En combinaison, des séquences oniriques ou discursives insèrent les femmes au cœur du dispositif poétique de la réalisatrice. Et c’est peut-être dans ce foisonnement d’émotions et d’angles de vue que le film perd un peu de son élan. Les plans très serrés sur les objets du quotidien saisis par la caméra de Pauline Fonsny, la séquence en surimpression sur le poème de Novalis ou celle de l’accouchement, le traitement du son avec des archives sonores reconstituées ou réelles multiplient les points d’entrée. On ne voit alors plus très bien ce que représente le frêle Mika, dont le personnage central est rapidement recouvert au plan scénaristique par des pistes de travail prometteuses mais inabouties dans le film.
Qui es-tu octobre ? ne prétend pas à un discours savant sur l’Histoire du Burkina Faso, il narre avant tout l’impossibilité pour tout un peuple de faire le deuil de Sankara. Il tente aussi de dépeindre l’incroyable retournement de l’Histoire, d’un octobre à l’autre, dont auront été acteurs et témoins les burkinabè comme le proclamera Izaac Zida, personnage majeur de la Transition, au lendemain de la fuite de Blaise Compaoré. Qui es-tu octobre ? est un film-poème attachant et l’on ne peut que se réjouir de la multiplicité des œuvres de théâtre, cinéma ou arts visuels faisant référence à Thomas Sankara et à sa pensée.
Frédérique Lagny, 02 septembre 2017.
Montage son: Cyril Mossé
Julie Jaroszewski est une artiste belge, formée à l’INSAS en interprétation dramatique. Auteure pluridisciplinaire, elle exerce aussi bien dans la musique, le théâtre que le cinéma.