Maurice Freund est actuellement le directeur du Point Afrique. Peu avant la révolution, au Burkina Faso, il avait lancé une compagnie appelée alors Point Mulhouse, parce que basée à Mulhouse, avec comme objectif de faire baisser les prix sur les voyages en avion. Cela ne s’est pas fait sans difficulté.

Mais au Burkina il alors est écouté d’une oreille bienveillante par Thomas Sankara et ses amis, Blaise Compaoré, Jean Baptiste Lingani et Henri Zongo. Ils vont le soutenir. Commence alors une relation soutenue.

L’interview que nous avons réalisée et que nous vous livrons ci-dessous contient donc des témoignages inédits sur Jean Baptiste Ouedraogo qu’il avait connu à Mulhouse, sur la période révolutionnaire, les méthodes de travail de Thomas Sankara. L’un des points forts étant le récit de la naissance de la compagnie Naganagani qui a permis au Burkina de disposer d’un transporteur de fret.

Mais cette interview contient d’autres révélations. En particulier sur le scandale du Carrefour du Développement. Il y est largement question de Guy Penne. Certains des récits sont des illustrations vivantes de ce qu’on appelle les réseaux françafricains. Pour beaucoup, il s’agit d’un concept quelque peu abstrait. Mais ce qui révèle Maurice Freund en donne une illustration vivante. Les connaissances peuvent permettre d’ouvrir des portes pour pénétrer un pays et de l’autre côté on rend des services.

Maurice Freund parle sans détour. Il ne se retient pas. Il raconte, livre des anecdotes. Il a beaucoup fréquenté Thomas Sankara, mais aussi Guy Penne et sans doute beaucoup d’autres personnalités. Durant ce festival Afrikabidon, où nous avions été invités, il a pu nous consacrer du temps. Qu’il soit remercié. Car nous savons que ce qui s’est dit intéressera beaucoup de lecteur du notre site.

La rédaction

—-

Q : Comment vous avez rencontré Sankara ?

Maurice Freund : Une aventure de vie. Il m’est arrivé que par me projection de vie, étudiant, mon souci était comment on peut arriver à voyager à travers le monde en payant le moins cher possible. Donc on s’est organisé autour du statut d’une association qui s’appelait le Point Mulhouse. Point Mulhouse, parce que nous sommes de Mulhouse. Je suis alsacien. Il parle quelques mots d’allemand, histoire de prouver qu’il est bien alsacien.

Le constat qui existait, dans les années 75 80, en France pour voyager, la seule possibilité c’était Air France et bien une autre compagnie qui s’appelait UTA qui avaient une espèce de monopole de fait. Et le prix du kilomètre transporté le plus cher était sur les pays, nos anciennes colonies. Et plus un pas était pauvre et plus son prix du transport était cher. On était dans contradiction totale. Et il y avait une position totalement hégémonique de la part d’Air France et d’UTA avec une impossibilité de rentrer dedans. Et une compagnie qui s’appelait Air Afrique qui représentait tous les pays mais en fait Air Afrique UTA c’était blanc bonnet et bonnet blanc. Tout ça c’était les mêmes gens jouant les nationalistes, etc. Mais des faux nationalistes. Et on ne pouvait rien faire pour aller dans cette Afrique de l’Ouest. Jusqu’au moment où il y a eu en 1980 un premier coup d’Etat au niveau du Burkina Faso qui s’appelait la Haute Volta à l’époque.

Le jour de ce coup d’Etat je me trouvais à Ouagadougou pour essayer de discuter avec les autorités pour voir comment je pouvais faire pour obtenir l’autorisation de poser un avion à Ouagadougou. Ma chance a été d’être là ce jour là. Et là, Thomas Sankara dans ce coup d’Etat du 25 novembre 1980, Thomas Sankara a été nommé secrétaire d’Etat à l’information. Et dans l’équipe des jeunes militaires qui étaient, il y avait Henri Zongo, Thomas Sankara, Lingani, Blaise Compaoré était là. Je les ai rencontrés. On a discuté ensemble. J’expliquais ce que je faisais. Ils m’ont dit comment ? Tu peux faire… Le prix du billet d’avion pour aller à Ouagadougou en octobre 1980 le prix le moins cher était de 7500FF, peu importe c’est le rapport qui compte, et nous on est venu avec 1300FF aller et retour. Vous voyez le rapport.

Pratiquement 6 fois moins cher. Et donc effectivement ça va créer un flux totalement différent. Donc, grâce à cette jeune équipe qui était arrivée au pouvoir, qui était pas au sommet du pouvoir mais qui avait des postes dans des ministères, de secrétaire d’Etat, j’ai pu, on a pu réussir à poser pour la première fois dans l’histoire un avion économique sur l’Afrique de l’ouest. C’était en décembre 1980. Thomas Sankara à ce moment là est secrétaire d’Etat à l’information.

Q : c’est quand même par lui que ça s’est passé.

M F : A fait partie de l’équipe, Thomas Sankara, Henri Zongo. Le coup d’état a été fait par des colonels qui avaient de 45 50 ans… mais qui ont intégré dans l’équipe des jeunes militaires, dans lesquels Thomas Sankara, Blaise Compaoré, étaient présents. Ca s’appelait le CMRPN, le comité militaire de redressement populaire national. Et qui ont dit « ton histoire de créer des liaisons aériennes entre Ouagadougou et le France faire un avec un prix cinq moins cher ? On va t’aider complètement ». C’est les jeunes militaires qui ont fait que l’opération réussisse. Et ça a été pris au dépourvu par rapport à tout ce qui a pu exister parce que, même l’aviation civile française et tout ça n’ont pas pu s’y opposer … avec toutes les pressions. Très vite tous les autres pays la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Centrafrique, la Cameroun… tous les autres pays qui étaient membres de cette multinationale qui s’appelait Air Afrique, et les chefs d’Etat ont montré du doigt ce pauvre Saye Zerbo qui était le Chef d’Etat en disant : « ouais, vous êtes un pays traitre, vous laissez rentrer ces voyous » car bien sur Point Mulhouse était considéré comme des voyous et on fait pression sur le gouvernement, sur les autorités, etc.. Et c’est grâce aux jeunes militaires qu’on a pu résister.

Ma première rencontre de manière très précise avec Thomas Sankara, ça a été à près un an après qu’on ait fait le premier avion, donc en novembre 1981. Ça fait un an qu’on est là. Et je suis interviewé par la télévision de Ouagadougou. Et j’ai fait mon discours en disant « oui l’hégémonisme etc.. bla bla bla… bon»… et je suis convoqué par le deuxième homme du pouvoir et qui m’engueule « Comment ! Vous avez un discours un peu agressif etc.» Après on me dit tu es convoqué chez le secrétaire d’Etat à l’information qui était donc le capitaine Thomas Sankara. Ça va être la première fois vraiment d’un face à face avec lui. On me dit « il faut que tu ailles chez le capitaine » . Je me dis «je vais me faire engueuler doublement.» Le capitaine Thomas Sankara me dit : « je vous ai vu à la télévision hier soir. C’est bien ce que vous avez dit mais vous n’êtes pas allé assez loin.»

A partir de là va se créer une relation un petit peu particulière. Je n’ai jamais fait de la politique politicienne mais moi je me suis cantonné dans le fait de créer de la liaison aérienne, à un rôle de transporteur aérien, à mettre certains concepts du tourisme, de ce qu’a pu exister toujours dans ce premier souci de l’aventure du point Mulhouse c’est comment on s’organise pour permettre à un maximum de gens de voyager moins chère. Et Point Mulhouse est effectivement devenue une structure importante puisqu’on transportait 80000 personnes par an. On était 500 employés. On a créé la première compagnie de charter long courrier.

On n’est pas dans le même contexte qu’en Allemagne. En Allemagne, les charters existaient en France ça n’existait pas. Nous tout l’aérien était sur des logiques de monopoles sur nos anciennes colonies, des logiques de monopole sur les départements et territoires d’outre mer, la Réunion, la Martinique, La Guadeloupe. Donc un positionnement totalement différent de ce qui se passait en Allemagne. Les allemands partent plus en vacances touristiquement que nous, Ils ont plus de besoins, sur la Grèce etc.… Il y a eu très tôt des compagnies charter en Allemagne dans les années 70, la Condor, filiale de Lufthansa qui existe encore, apacloyd. Bon il y a eu plusieurs structures alors que la France était extrêmement hégémoniste. Un peu les pays anglo-saxons contre les pays latins.

Donc voilà ma première rencontre avec Thomas Sankara, importante. Avant je l’avais vu avec tout le comité militaire ou l’ensemble, Blaise plus Lingani, plus Zongo… Là le premier contact…

Q : L’avion volait déjà régulièrement. ?

M F : Oui… avec des interruptions parce que… il faut arrêter… les pressions etc. Et si j’avais pas eu le concours de ces jeunes officiers ? Je parle de tous…

Q : Mais ça s’est passé comment leur concours, parce que votre interlocuteur ça devait être le ministre des transports ?

M. F. : Ceux qui ont soutenu totalement l’opération, étaient les 4 qui vont faire par la suite… Mon interlocuteur plus direct était devenu Henri Zongo qui va devenir d’ailleurs ministre de l’Economie et des Finances, lorsque Thomas Sankara est arrivé au pouvoir. Apres l’histoire dans ce pays. Le deuxième coup d’Etat, le troisième coup d’Etat en Haute Volta est fait par un garçon qui s’appelle Jean Baptiste Ouedragogo. En novembre 1982. Jean Baptiste Ouedraogo était un médecin qui avait fait ses études en partie à Mulhouse, dans ma petite ville natale et qui nous a mis l’eau à la bouche pour aller au Burkina Faso. Et quand au mois de novembre 1982, il devient chef d’Etat!.. Je rêve!

Les avions sont bloqués par la force des choses. Qui a pu faire le coup d’Etat. Quand on a appris que c’était Jean Baptiste Ouedraogo, on a dit mais c’est pas possible, pas Jean Baptiste. C’est un copain. Il était pas du tout préparé politiquement à jouer ce rôle là. En fait il est devenu chef d’Etat parce que tous les autres étaient plus ou moins en prison. Et que Jean Baptiste, en sa qualité de médecin, parce qu’il venait de rentrer au pays, juste quelques mois avant, Jean Baptiste allait voir tous les officiers qui étaient en prison et par ce fait là effectivement était devenu le coordinateur du coup d’Etat qui va être fiat au mois de novembre. Il devient le Chef d’Etat sans l’avoir vraiment cherché. Il n’avait aucune préparation politique. Ce n’était pas un politicien. Et il a donc nommé Thomas Sankara premier ministre.

Mais nous on avait beaucoup plus à ce moment là une coloration d’être très proche de Jean Baptiste du fait qu’on connaissait, de cette amitié. On n’a pas d’histoire particulière là-dessus qui puisse se raconter si ce n’est qu’on a quand même assez bien suivi tout ce qui s’est passé, avec des gens comme Guy Delbrel, qui était proche, Pierre Haski qui était responsable de la page Afrique à Libération… donc des journaux de gauche un peu engagés. On fait partie un peu de cette même bande. Par exemple Pierre Haski est allé faire une interview de Jean Baptiste Ouedraogo en se faisant passé pour un membre de l’équipe du point. Ce qui permettait beaucoup plus de liberté. Qu’est ce qui se passe. Notamment le suivi.

Lorsqu’on a mis Thomas Sankara en prison. C’est Guy Penne qui est en place. Ou est-ce qu’on se positionne dans ce schéma ? On s’est un peu brouillé avec jean Baptiste Ouedraogo en disant “mais tu devrais pas te laisser faire”. Voilà peu près notre positionnement.

Ce qui a fait surtout fait la rupture entre Jean Baptiste Ouedraogo et Sankara, c’est le fait que le 1 ou le 2 mai est venu Kadhafi. Enfin c’est la lecture. Ou ça a commencé a pété. Le 2 mai je me trouvais chez Jean Baptiste Ouedraogo à la maison chez lui. Jean Baptiste a été prévenu une heure avant l’arrivée de Kadhafi à Ouagadougou. Et c’est ça avait une peu déplu à Jean Baptiste. Et surtout Jean Baptiste a été manipulé de plus en plus par les services français c’est clair, et donc avec la pression des services français pour mettre Thomas Sankara en prison.

Q : Pour vous c’est clair.

M. F. : Oui oui pour moi c’est clair. Si ça a pas été vraiment la France en direct… Je ne sais jamais exactement qui manipule quoi ? C’est quoi les réseaux ? C’est quand très compliqué. Quels sont les jeux des uns et des autres. Je peux dire qu’on a posé la question à Guy penne, qui était donc conseiller de Mitterrand à l’Elysée pour les questions africaines et lui jure qu’il n’y est pour rien. On a eu des discussions presque privées avec Guy Penne qu’on voulait inviter ici mais aujourd’hui il a des problèmes de santé énormes. Je pense que Guy Penne en dehors de la franc-maçonnerie qui est le premier réseau…

Q : Mais vous vous le connaissez comment Guy Penne?

M. F. Par la franc-maçonnerie. Je suis franc maçon petit petit petit. Je suis franc-maçon je paye toujours mes cotisations. Mais je ne vais jamais aux réunions. ? Je suis d’une obédience assez souple ce qui peut exister et je fais partie de la fraternelle de Guy Penne. Voilà j’ai rien à cacher.

Q : Ca vous a aidé dans la construction du Point ?

M. F. Je ne me suis jamais servi de la franc-maçonnerie. J’ai été entrainé des cette histoire quand j’avais 23 24 ans. J’ai fait du syndicalisme. On avait besoin d’un syndicaliste dans l’équipe de la franc-maçonnerie mulhousienne. Donc je suis rentré dans la franc-maçonnerie un peu comme ça par des amis. … J’ai fait mon apprentissage mais je n‘ai jamais passé aucun classe. Ça m’a permis de rencontrer des gens. Je n’ai jamais strictement rien demandé. Par contre le fait de faire partie de la fraternelle a amené qu’on pose la question entre franc maçons à Guy Penne pour savoir jusqu’où il est dans le cou dans la mise en prison de Sankara. Dans laquelle il nous a répondu qu’il n’y est pour rien. Ce qu’on appelé dans la franc-maçonnerie sous le secret du marteau. Bon. Puisque nous avons un langage un peu ésotérique dans cette histoire. Voilà. … Après je m’en fous. J’ai 67 ans. J’ai rien à cacher. C’est quoi la vérité. C’est quoi l’histoire ? Mais je peux dire que sans le concours de ces 4 officiers, pendant cette période là, Point Mulhouse, par la suite Point Afrique, n’aurait jamais pu exister au niveau de cette activité qu’a eu le Point Mulhouse en Afrique.

Après pendant qu’il était en prison c’est vrai que des gens du point ont servi un peu de liaison entre Ouagadougou et Po. Moi avec Blaise Compaoré, je me rappelle un dimanche on a fait la navette pour aller rencontrer Blaise Compaoré à Po. Et dans la discussion il était midi. On a apporté une casserole dans laquelle il y avait du riz, quelques morceaux de chèvre. Blaise a commencé à manger ces boulettes. Puis nous on a fait la même chose. C’est une anecdote mais elle est toujours marrante. Et puis pratiquement à la fin du repas, il se rend compte qu’il est avec deux européens, un ami et moi-même, un ami plus politique que moi. Bon peu importe. Il dit, merde il y a des européens il faut apporter des assiettes et des fourchettes. Non on peut aussi manger pareil.

C’est quand même des relations assez intimes sans être politiques politiciennes. On est plutôt quelque part considérés comme des gens incontrôlables associatifs dans ce qui peut exister. Moi j’ai mon parcours politique. 20 ans membre de l’Union des Etudiants communiste… Après de moins en moins politisé, un peu rocardien sur les bords mais pas engagé. Parce que mon activité de Point Mulhouse prenait beaucoup plus ne plus importante.
Il n’y a pas de français qui ont voyagé en Afrique dans les années 75 88 qui n’ont pas connu le point Mulhouse.

Après c’est quoi les grands moments avec Sankara…

Q : Vous avez aussi servi à transporter des messages ? Ou bien c’était juste des visites amicales

M. F. : Disons qu’on avait plutôt de la sympathie pour cette équipe, le fait qu’on avait mis Thomas Sankara en prison, le fait que Jean Baptiste Ouedraogo pour nous devenait quelqu’un de totalement manipulé.

On n’a pas été au devant de scène mais on était présent Le tourisme permet de faire beaucoup de choses. On a toujours tendance à rechercher des gens qui partagent notre point de vue. Je n’ai jamais… Ma finalité n’a jamais été celle de dire je m’inscris dans la politique après c’est plus des sympathies ? J’aimais bien ces discussions auxquelles j’ai pu participer.

Quand il y avait une difficulté et que ça remontait jusqu’à chez Thomas. On convoquait le directeur. Chacun s’expliquait. L’attitude de Thomas c’était de dire : où était l’intérêt de notre pays ?

On est monté à 6 vols par semaine.

Q : Un exemple de problème?

M. F. : Problème d’autorisation. Ou est l’intérêt de notre pays ? La pression de tout ce qui a pu exister, bakchich sur le ministre des Transports… Surtout on a eu des problèmes avec des fonctionnaires. Car le fonctionnaire était en même temps à l’ASECMA, à Air Afrique… on essaye couper les droits. Ça été une bagarre permanente. Ça a été jusqu’au conseil des ministres.

Q : Donc vous vous ne souscrivez pas au fait que Sankara écoutait pas les gens.

M. F. : Ah non, pas du tout. II écoutait vachement les gens. Après il y a des choses à dire. Il y a eu l’autre Vincent Sigué.

Q : vous avez une explication de cette amitié ? Vous avez posé la question à Sankara ?

M. F. : Non.

Q : Vous avez jamais eu affaire à Sigué ?

M F : Si il venait .

Q : Alors racontez-moi

M. F. : Je n’ai pas jamais eu de problème avec Sigué tant qu’il venait contrôler, vérifier, passer au bureau. Il avait quand même beaucoup de sympathies pour les petites blanches. Ca me choquait pas spécialement. Jusqu’au jour où on a eu cette problématique du mec qu’il met en prison. Je ne sais même plus la vraie histoire, mais il est vrai qu’il voulait coincer la nana. La nana a eu très très peur et le soir on l’a mi dans l’avion pour la France. C’est des petites choses mais sur le plan humain ça peut très vite terminer en œuf de poisson. Après je pense qu’on était relativement bien protégé car on était quand même proche de l’équipe dirigeante, et qu’on n’avait pas grand chose à nous reprocher et qu’on ne s’immisçait pas dans le domaine politique. On s’immisçait plus dans le domaine plus ou moins économique. Il y a beaucoup d’histoires.

Dans ce que j’ai pu lire sur Thomas Sankara, il y a des phases qui lui manquent. Ça je ne l’ai vu nulle part. Thomas Sankara a proposé à Pierre Rabhi de devenir ministre du développement rural. Pierre Rabhi est modeste mais il le reconnaît si vous l’interviewez. Sankara n’était pas dans l’ésotérisme de l’agrobiologie mais ce qui le séduisait.. C’était de se dire merde, en mettant tout le monde au boulot avec les détritus etc… on peut améliorer la qualité du sol. Ça évite les dépenses . C’est à ce titre là qu’il se plaisait. Ils se sont rencontrés…

Q : Il a fait un campement de Gorom Gorom avec vous.

M. F. : Et puis la personne qui était un peu le trait d’union entre Thomas et tout ce qui pouvait exister était Guy Delbrel. A la façon de Guy Delbrel. C’était un personnage.

Q : Il était vraiment très proche de Thomas..

M. F.: Ca pour être très proche de Guy Delbrel, il l’était. Oui mais à la manière de Guy. Il fonctionne sur la spontanéité, sur beaucoup d’amitiés, etc.. Il connaissait Thomas Sankara bien avant qu’il n’accède au pouvoir. Guy Delbrel a commencé par un BTS d’agriculture. Il s’intéressait un pue à ça. Il était assez politique un peu trotskiste, on ne sait pas très bien, anarcho…. c‘est Guy quoi. Il se trouve qu’avec Thomas Sankara il était extrêmement proche. Mais Guy n’a pas la langue de bois. S’il a envie de te dire quelque chose, il va te le dire. Il a été correspondant de libération.

Ma première rencontre avec Guy Delbrel s’est assez mal passée. Parce que Pierre Haski qui était responsable de la rubrique Afrique à Libération. On prend le Kouglof. On parle un peu. J’avais pas présenté Pierre Haski comme journaliste de Libération. En sortant. Au moment ou Sankara était en prison Pierre Haski voulait rencontrer Jean Baptiste. A 8h du matin on sort du palais présidentiel. En sortant on croise Guy Delbrel. Il avait quand même les couilles pour aller voir Jean Baptiste pour demander s’il pouvait aller voir Sankara en prison. Ca a été lé seul blanc à le faire. Au moment on se croise sur le perron. Nous on sort avec Jean Baptiste. Pierre Haski était un de mes collaborateurs du Point. Il parlait pas. Dès qu’il voit Guy Delbrel et tout le monde sait que Guy Delbrel est le correspondant de Libération à Ouagadougou. Et puis Guy .. ? Pierre Haski, jean Baptiste et moi. Il nous accompagne. Guy Delbrel : « Ah Pierre qu’est ce que tu fais là ? » Guy Delbrel était assez surveillé.

Ca a commencé très mal car il écrivait dans le Matin. Le Matin a fait un immense papier à deux pages sur Thomas Sankara. Et à la fin il y avait un passage de l’article dans lequel Thomas Sankara dirait à Guy Delbrel « Oui le Point Mulhouse, c’est sibyllin, ils font de la corruption… » Enfin une histoire pas possible? Là je me suis vraiment fâché contre Guy Delbrel sur une histoire que son papier n’était pas juste. Donc j’ai demandé à Pierre Haski : « on va faire venir ton copain. On va discuter vous allez vous expliquer ». On est devenu super copain depuis.

Q : Sankara avait dit ça ou pas ?

M. F. : Non Sankara avait bien dit ça, mais Sankara avait eu des informations et avez Guy il avait dit a « j’aimerai bien que tu vérifies si c’est vrai ou si c’est faux » mais Guy avait été beaucoup plus loin en écrivant « Sankara critique le Point Mulhouse… ». Je ne sais pas ce qu’il avait comme dent contre nous au début. On en a reparlé avec Guy bien sur ? Il était là la semaine dernière. Il a passé 3 jour puisqu’i lest membre du conseil d’administration du Point Afrique.
Après les moments forts, pour nous avec Thomas Sankara, c’est l’histoire des haricots.

Q : En tout cas, après le 4 août vous faites vos vols sans problème ?

M. F.: Oui.

Q : Racontez-moi l’histoire des haricots verts.

M. F.: Je suis à Paris. Il est 4 heures du matin. On est en 85. Il faut vérifier. On avait un téléphone un peu spécifique on appelle chez nous le téléphone rouge au cas où il y a un problème avec un pépin d’avion. 4 heures du matin et on nous dit : « Y a Thomas Sankara qui veut te parler ». Il me dit « Ecoute, Il faut que tu viennes immédiatement au pays. J’ai un problème énorme. Il faut qu’on évacue les haricots. Il faut que tu viennes quand peux-tu venir ? »
« Ecoute il est 4 heures du matin, j’ai un avion qui décolle à 6 heures. Je peux le retarder un peu et je peux être chez toi à midi. OK on t’attend à midi »

J’arrive à Ouagadougou à midi 30. On file à la Présidence, Il y a au moins 8 ministres qui sont à côté. On m’expose un peu le problème, les haricots. Je connaissais un peu l’histoire, 750 tonnes de haricots qui pourrissent dehors. Il faut qu’on évacue. Comment on peut faire ?
J’ai dit il n’y qu’une solution. Tout le monde est là. Un pays est souverain. On créée une compagnie aérienne de cargo pour évacuer les haricots.

Le Point était quand même très très riche parce qu’on a payé cash 4,5 millions de dollars, un Boeing 707 qui pouvait transporter 40 tonnes de haricots par vol. Tous les ministres étaient là. Quels papiers ? Qu’est ce qu’il faut faire ? Déclaration. En 48h, on a acheté un avion, on a peint Naganagany. L’avion est resté très longtemps avec la couleur bleue qui trainait parce que ça n’avait même pas eu le temps de sécher la couleur jaune quand on a mis Naganagany sur l’avion. Au Luxembourg où on a acheté le Boeing 707. Et donc, on est parti , on a transporté comme ça 120 tonnes de haricots, 3 vols par semaine.

Q : Ca veut dire qu’il y avait des gens qui les écoulaient en France. C’est lui qui les avait trouvés ?

M. F. : C’est assez facile. D’abord avant ça Point Mulhouse transportait déjà des haricots mais 1 tonne, 2 tonnes dans les soutes de notre Boeing 707 passagers ou le DC8. Et nous avions créé une espèce de réseau en France dans lequel on vendait les haricots en direct. C’est Le Point qu’il l’avait fait. On allait sur les marchés pour vendre du haricot. Donc on avait déjà du métier là-dessus. On connaissait le MIN de Rungis. J’y connais rien. J’ai tout appris au fur et à mesure que les choses se déroulent. J’ai fait des études en physique du solide. On peut tout faire sauf la médecine. Je suis pas pilote mais je peux poser un avion. Je pose un Boeing 707, c’est pas plus compliqué qu’autre chose. Voilà, ça c’est quand même un moment fort. Il a fallu investir quand même 4 millions et demi, créer une structure

Q : Vous n’avez pas du tout hésité en fait?

M. F. : Ah non. Je connaissais Thomas Sankara, c’est un mec qui m’avait totalement convaincu quoi. Au-delà de tout ce qui peut être rationnel, le personnage par lui-même dégageait une telle sincérité, de ce qu’on peut sentir, de ce qui fait partie de quelque chose d’irrationnel pour nous… qui relève d’une autre traduction de notre perception. Pour moi il y a jamais eu un pet de doute sur ce que pouvait être Thomas Sankara. Il a continué de vivre dans la même maison. Thomas Sankara avait une maison qui était mitoyenne avec mon chef d’escale burkinabè que j’avais. Il a continué de vivre dans la même maison. Sa femme Mariam a continué le même job.

Q : Il s’est pas installé à la présidence ?

M. F. : A côté mais il restait dans sa maison à lui quand même. Et puis ce fait que chaque fois qu’il y a une difficulté sur quoi que ce soit, cette espèce ce lecture de mettre face à face les protagonistes. Et puis de dire, bon très bien on va trancher en reconnaissant l’un comme l’autre où était l’intérêt de la nation. Attendez, j’en ai pas vu beaucoup des Chefs d’Etat en Afrique comme ça ou des ministres …

Q : A propos d’Air Afrique, il était aussi intervenu lorsqu’il y a eu la crise ?

M. F. : Il intervenait un peu dans le sens qu’on voulait. Il était assez bien informé. Moi, Thomas Sankara, je lui ai fait un rapport sur ce que je savais d’Air Afrique, de lui dire, voilà je connais des personnes à Abidjan qui ont des rémunérations d’hôtesse de l’air et qui n’avait jamais mis un pied dans un avion.

Q : Au Mali il devait bien y avoir aussi des choses comme ça. L’hôtesse de l’air ce n’est pas ce qui coule Air Afrique.

M. F. : Oui mais si vous voulez on peut partir du fait que qui vole un œuf vole un bœuf. Si on peut truander sur des rémunérations d’hôtesse de l’air, Il y avait peut être des gens qui avaient des salaires de pilote, de directeur je sais pas quoi. Faut être honnête, chez nous en France, il y avait aussi chez Air France ou chez UTA, un tas de postes qui n’avaient rien à voir avec la fonction.

Q : Pour ce qui est des détournements d’argent, ou de l’utilisation des bénéfices, ça avait été créé pour ça les compagnies comme UTA non ?

M. F. : Peut-être en France, ce n’était pas pour des détournements financiers mais ce sont des créations de postes qui permettaient une couverture pour faire autre chose. C’est tout ce que je peux dire moi. C’est toujours assez amusant parce que après tout on peut me dire tu ne devrais par parler ou dire tout ça. Mais je m’en fous c’est la vérité quoi ? Il y a tellement de trucs qui sont falsifiés, la langue de bois en permanence Ça c’est aussi des réalités quotidiennes que j’ai vécues. Moi je suis plutôt un homme de terrain qui bouge dans ce qui peut être fait dans mes propres croyances, On peut par l’avion, par le tourisme, créer des emplois et ça Thomas Sankara connaissant parfaitement bien et encourageait bien sur.

Un autre dernier point important. Ça se passe le 3 octobre 1987. Thomas demande à ce qu’on descende et qu’on aille le voir. Il voulait discuter avec moi. On y va. Il était très tard. Nous les français on passait toujours les derniers dans le système. Il était pratiquement minuit et demi. Thomas t’attend à la Présidence. On était dehors, je m’en rappelle très bien. Il y avait deux bancs. On était assis sur un banc. J’étais avec deux personnes du Point Mulhouse et Guy Delbrel qui était présent. On est restés jusqu’à 3 heures et demie du matin. L’animal de nuit, il a une capacité à dormir très peu.

La raison pour laquelle il m’a fait venir, c’est qu’il voulait lancer TSF, travailleuses sans frontière. L’idée c’était que lors de la prochaine période de la mangue. Les fruits pourrissent parce qu’on peut pas les évacuer. « Tu me trouves 150 femmes françaises, pas des intellectuelles, je n’en ai pas besoin, qui savent faire des confitures. Et on met dans chaque village en fait un truc. Voilà ce que j’aimerai que tu fasses. Les femmes françaises on les paye au prix du CDR. Donc prochaine mission, pour la prochaine saison des mangues, tu me trouves 250 cuisinières.» Sankara était un mec.. Pchhh ça tournait tout le temps. Qui quand quoi comment.

On était aussi très impliqués au Burkina Faso puisque je transportais pratiquement toutes les ONG . Et là il avait 100% raison. Ces ONG qui viennent chez moi pour faire ceci pour faire cela comme elles ont envie, ça ne tient pas debout. Où elles viennent aider et c’est dans notre programme ou elles ne viennent pas. Il a 100% raison quoi. Voilà donc on était donc là-dessus. Quelle ONG on favorisait. Il y a eu pas mal de trucs de ce genre là. Disons qu’on était parfaitement bien en osmose avec ce que faisait l’Etat. Et quand on n’était pas d’accord avec l’Etat, moi ce que je peux dire, que ce soit avec Henri Zongo, avec Thomas, même avec Blaise, il y a toujours eu débat. Et je sais qu’Henri me disait tu sais il y avait cette sympathie parce qu’il n’y avait pas de langue de bois. On pouvait dire ben oui on s’est planté on s’est trompé, on fait différemment etc. On a eu des altercations mais ça s’est toujours bien terminé. Donc voilà le moment fort c’est la création de Naganagany.

Autre moment fort, c’est cette soirée avec Thomas Sankara. Et là-dessus Guy Delbrel il dit : « Mais Thomas il faut quand même que tu prennes au sérieux on va te flinguer. » Il répète son discours ou je sais je vais mourir etc. Et Guy Delbrel ce soir là … 3 heures du matin, il dit à Thomas, le 3 octobre 1987, le 2 ou le 3… Il lui dit : « Tu sais Thomas il y a des bruits qui courent… L ‘autre, l’autre étant Chantale Compaoré, dit que bientôt elle sera la première dame du pays. ». Et Thomas qui dit : « Arrêtez-vous les histoires de blancs, nous sommes tous les doigts d’une même main. On va pas se couper un doigt, l’un par rapport à l’autre. Si Blaise veut être chef d’Etat, qu’il le dise, je lui donne le poste de Chef d’Etat. Je pense qu’il était vraiment sincère. Il est pour preuve, ma garde personnelle est assurée par les hommes de Blaise Compaoré. Je ne peux pas lui donner meilleure preuve de confiance que lui dire Donne-moi les hommes qui assurent ma sécurité ».

On s’est quitté à 3 heures et demie du matin. Moi je suis parti en tête avec TSF. Bien sur, cette discussion m’avait marquée. C’est quand même des moments forts pour un petit français comme je suis.

Q : Il n’y a pas eu un moment une rupture avec Le Point ou Naganagany ?

M. F. : Après la mort de Sankara. On a pu avoir des histoires… parce que nous on voulait que ceux qui dirigent Naganagany soient des africains, avec tant de formation etc. Il y a eu peut être un moment.. Moi j’ai pas tout à fait suivi non plus. Mais il y a jamais eu de rupture.

Q : Vous n’avez jamais transporté des armes ou des choses comme ça ?

M. F. : Si

Q : Vous pouvez me raconter ?

M. F. : Oui je peux vous raconter ça sans problème. Il est vrai qu’on a cherché du matériel agricole à Belgrade qu’on arrivait à Ouagadougou à minuit le soir et qu’on redécollait pour Bengazi à 1 heure du matin. Ce qu’il y avait dedans… Il faut bien savoir que la compagnie était burkinabè. Que Point Mulhouse avec 49% des parts et que 51% des parts était burkinabè. C’est nous qui avons financé parce qu’on avait l’argent. Ca c’est Naganagany. Donc on n’avait pas à discuter sur ce que faisait cette compagnie, Nous étions derrière effectivement l’opérateur technique… Bon à ce titre là effectivement… Non Non Non Non. Il y a eu… Quand je faisais ces vols Belgrade… Il n’y avait pas que des matériels agricoles… Il ya eu du matériel agricole qui parait à Bengazi mais ça c’était un deal entre Thomas et Kadhafi. Ca a pas toujours été le bonheur.

Q : Parce que les armes étaient pour la Libye, elles étaient pas pour le Burkina.

M. F. : Les armes étaient pour la Libye, c’est clair. Mais elles transitaient de Belgrade par Ouagadougou. C’était en 85 86.

Q : Vous souscrivez à ce qu’on dit que Kadhafi n’en voulait plus de Sankara.. Mais vous savez pourquoi ? La guerre du Libéria ça a suffit comme explication ou bien il y a eu d’autres problèmes ? On dit aussi que Sankara disait ses 4 vérités à Kadhafi.

M. F. : Sankara est un garçon qui disait des 4 vérités à Kadhafi et qu’il n’a pas du apprécier. Il y a eu des phases durant lesquelles ils étaient d’accord sur un tas de chose. Après je pense que tout ce qui était manipulation… Ça, Sankara, c’était pas quelqu’un de manipulable. Sankara était tout à fait capable de réviser un point de vue si les arguments qu’on lui donnait étaient des arguments qui tiennent la route. Et toujours ce filtre, est que c’est dans l’intérêt de mon pays… Si c’est dans l’intérêt de mon pays, on fait. Voilà, il y a pas d’intérêt d’un tel contre un tel, il faut le négocier parce que… a ça il ne fallait pas lui parler comme ça. Et ce qui lui paraissait sympathique ou peu importe, c’est d’avoir un garçon comme Guy Delbrel, même sil peut se tromper, avec toute l’information qu’il lui a apportée, les analyses qu’il a pu lui faire, était totalement sincère. Il se trompe, il se trompe pas c’est un autre problème. Sankara avait certainement cette capacité de dire u tel bluffe untel. Il a une espèce de sixième sens.

Q : Mais avec son ami Blaise alors ?

M. F. : Il voulait pas y croire. Parce que pour lui, qu’on le tue par l’extérieur, par qui que ce soit ça il pouvait s’y attendre… Il était prêt à se sacrifier… Mais ça, que ça vienne de là ! Et la preuve, c’est que 12 jours avant sa mort, et nous sommes 3 témoins à pouvoir dire ça dont l’un c’est Guy Delbrel, c’est pas moi qui a eu la discussion avec .. de Guy qui lui dit mais tu sais Thomas tu devrais.. enfin bref je vous ai raconté.

Cheikh Omar Cissoko et Maurice Freund

Q : Il y a plein de gens qu’il a rencontrés à cette période qui disent la même chose.

M. F. : Moi je peux vous raconter que ce que j’ai vécu, pas ce qu’on entend…

Q : Je voulais vous demander… Avec les autorités françaises, l’ambassade vous n‘avez pas eu de problème.

M. F. : Si Alors justement je vais vous raconter ce que j’ai eu comme problème. Je connaissais bien Guy Penne, parce que j’étais mêlé à l’histoire de Carrefour de Développement. J’en étais mêlé mais ça va très bien se passer pour moi mais à cause de ma naïveté. L’histoire est très simple. Il y a la guerre au Tchad. On a besoin de carburant à Ndjamena pour les jaguars français. L’Etat français lance une espèce d’appel d’offre pour amener des milliers de litres de carburant. On me demande est-ce que tu peux répondre à un appel d’offre. Il n’y a pas que nous. On a répondu. Je fais un devis. J’avais l’impression en faisant ce devis que je me suis bien gavé en tant qu’entreprise Point Air, une bonne marge dans ce qui pouvait exister. Je suis convoqué à l’Elysée. A l’Elysée on me dit, tu t’en sors avec le prix… Il y avait Guy Penne et Jean Christophe. Mitterrand. Guy Penne avait son bureau au 2 rue de l’Elysée et Jean Christophe avait son bureau à côté.

Q : De mémoire, Jean Christophe avait remplacé Guy Penne à l’Elysée. Mais il avait quand même un bureau à l’Elysée ?

M. F. : Guy Penne en avait plein le cul de Jean Christophe qui était quand même un voyou. Un voyou à Lomé etc. Les petites filles… La nuit… Le fric…

Q : Et pourquoi sa mère le défend bec et ongles?

M. F. : C’est sa mère.

Q : Bon on ferme la parenthèse.

M. F. : C’est dramatique. Vous vous dites, comment à ce niveau là… Après c’est vrai partout. On critique les africains.. Karim le fils de Wade, on n’est pas beaucoup mieux hein. A la seule différence peut-être c’est qu’on plante le décor on habille… Voilà. Alors qu’en Afrique, parfois c’est vraiment voyant. Bon on en était ou…

Q : On vous convoque… Guy penne et Jean Christophe à l’Elysée.

M. F. : Ah oui. On me dit écoutez voilà. Ca n’a rien à voir avec Thomas Sankara ça. Pourquoi j’ai échappé à Carrefour du développement parce que d’autres compagnies l’ont fait. On me dit ben écoutez, voilà, vous pouvez doubler le prix de ce que vous avez fait comme proposition de devis pour faire ces centaines de vols entre Libreville et N’Djamena, dans lesquels on partait vide de N’Djamena à Libreville et de Libreville à N’Djamena, hop, on ramenait 40000 litres de carburant dans les ailes des avions. D’ailleurs j’ai du prendre l’avion de Naganagany pour en faire. Etc. bon peu importe. Et en doublant le prix, j’ai du gagner, aller je sais pas moi, 4 ou 5 millions de francs en l’espace de 10, 15 jours. J’ai dit putain ils sont sympas avec moi ces socialistes. Il nous aide vachement… etc. Et puis j’ai bien senti qu’au bout d’un certain temps, mes relations avec Guy Penne, quelques semaines après, ça n’a pas empêché d’avoir des sous entendus, et on a gardé cet argent pour nous. Ce qui fait qu’on est propre. On était bien payé mais l’argent est dans la caisse. Bien sur les autres ont ressortis une partie de l’argent des profits pour le redonner à Carrefour du Développement. C’était l’objectif. Moi je n‘ai rien donné à Carrefour du Développement. Je pensais que c’était pour moi. Vous allez penser que j’étais quand même naïf, mais j’ai cru que c’était pour me faire plaisir. Parce que je me battais pour le désenclavement.. bla bla bla… Bon je ferme la parenthèse.

La problématique que j’ai avec Thomas, sur laquelle j’ai jamais été clair avec Thomas par la suite… Pendant cette fameuse période avec Guy Penne, je me dis quand même, mon histoire de transporter du matériel agricole, de Belgrade à Ouaga, et de Ouaga à Benghazi, je suis quand même français. A Guy Penne, je me confie à lui à un moment donné : « Je suis un peu emmerdé. Blabla bla » Parce qu’il savait. Il y a quand même des gens sur l’aéroport qui observent. Ils voyaient bien l’avion qui arrivait de Belgrade.. On pouvait pas cacher, c’était déclarer, mais on redécollait de Ouagadougou la nuit à 1 heure du matin, sans numéro de vol, sans radio, sans rien. J’avais comme ça trouvé des pilotes assez kamikazes dans le groupe qui eux volaient avec un avion non déclarée. C’est un vol qui n’existait pas. Je ne suis pas qu’un saint. Enfin Thomas m’aurait dit, « fais 4 fois le tour de la planète » je l’aurai fait. Voilà. C‘était quand même une sorte d’inconditionnel de ce côté-là. Et j’ai dit quand même… J’ai pas beaucoup de sympathie pour Kadhafi et j’ai eu malheur de demander conseil. Je pensais sincère de demander à Guy Penne « qu’est ce qu’il faut que je fasse ? » Et Sankara venait 10 ou 15 jours après, faire une visite en France. Et donc il a été reçu par Mitterrand. C’était en 85 86. Et donc pour moi je l’avais dit à Guy Penne, je m’étais confié à lui. Et puis voilà. Et puis où ça a été chaud c’est quand Sankara est rentré. Il m’a demandé « Comment L’Elysée sait-il que les avions font Ouagadougou Benghazi ». J’ai dit : «Je sais pas tout – Est-ce que tu en as parlé à quelqu’un ? – Oui j’en ai parlé un peu »etc. etc. Là c’était un peu chaud.

Q : Mais il s’est fâché avec vous ? Vous l’avez senti ? Il vous en a voulu ?

M. F. : A oui oui oui. C’est à une période, mais vous savez Freund il est quant même très sibyllin., où est-ce qu’il se positionne, et après c’est à ses propres services à lui de lui dire.. Oui Maurice Freund, il est très lié avec Jean Baptiste Ouedraogo, du fait de cette histoire de Mulhouse. Ça colle toujours un peu à la peau.

Q : Et au moment de la guerre du Mali vous avez eu à transporter des armes ?

M. F. : Non moi j’ai rien fait là. Non non.

Q : Vous voulez rajouter quelque chose ?

M. F. : Non les faits marquant, c’est Naganagany, parce que ça je crois que ça n’existe pas dans l’histoire qu’on monte une compagnie en 24 heures.

…. Interruption…

Donc la présidente de carrefour du développement qui était une femme assez sincère, Michèle Bretin Naquet… la pauvre elle était aussi la maitresse de Guy Penne. Ça aide. Peu importe c’est la vie. Elle était vice présidente de carrefour du développement et cette pauvre femme a été complètement dupée parce que c’est le cabinet de Christian Nucci qui en fait manipule tout..

Elle, elle était prof de psycho ou je sais pas quoi, à la fac de Dauphine, socialo-communiste d’ailleurs, assez engagée, socialo, qui avait pris la présidence parce qu’elle y croyait. Carrefour… la rencontre… qu’est ce qu’on fait.. etc. Elle y croyait. Et moi j’étais dans son giron à elle.

Bref on avait des visées sur Madagascar pour de l’aérien. Pour un autre raison, j’avais des droits de trafic sur la réunion, puisqu’en 83, 83, 85, 86, 87 les seuls avions qui faisaient la liaison France – La Réunion, c’était Air France et nous. Ça avec le concours de l’Elysée, les concours de Jacques Attali, Edgard Pisani et Guy Penne. Pour des raisons.. J’ai rendu des services mais c’est une autre histoire.

Donc, je vois un soir Guy Penne et Michèle Bretin Naquet , c’était à Chamonix d’ailleurs, et je dis « je n’arrive pas à rentrer à Madagascar ». Guy Penne me dit : « Ben je sors de réunion cet après-midi avec Mitterrand et il vient de décider que Mme Mitterrand serait présente au dixième anniversaire de la Révolution de Madagascar. Si ça vous dit, vous allez à Madagascar, et je vous mets chargé de mission de l’Elysée pour l’annoncer à Ratsiraka ». Putain, allez voir Ratsiraka avec la casquette de l’Elysée… Génial ! On était en 85, quelque chose comme ça.

Je pars donc à Madagascar. L’ambassadeur me dit : « Méfiez-vous, c’est spécial, bla bla bla ». L’ambassadeur, ça leur déplaisait au plus haut point qu’un néophyte comme moi vienne voir le chef de l’Etat pour annoncer…Voilà. Mais c’était la fleur que m’avait donc faite Guy Penne.

Donc je vois Ratsiraka, et détail, l’ambassadeur me dit à 10h30, «j’ai une délégation du CNPF qui arrive, donc ça sera bâclé, vous verrez Ratsiraka vous donnera pas beaucoup de temps pour annoncer»… Ben je me dis « merde je ne suis pas venu pour annoncer la visite de Mme Mitterrand pour le dixième anniversaire de Ratsiraka. Moi je suis venu pour essayer d’obtenir les droits de trafic pour fournir les avions à Madagascar. C’est ça mon objectif ». Donc très vite, je dis « M. le président bla bla bal, etc ». Et puis je dis : « Vous savez M…» Il faut que je le place. Je voyais l’ambassadeur qui se raidissait, ça lui plaisait pas. « Je suis aussi patron d’un truc qui s’appelle Point Mulhouse, point Air… » Il m’écoute comme ça très gentiment assez distrait et je lui dis : « je suis assez proche de Thomas Sankara». Et là il réagit. « Vous dites connaître Thomas Sankara ? – Je dis oui. – Bon très bien.» Il appelle son machin, il parle en malgache et 3 minutes après, il a Thomas Sankara au téléphone. Et il lui dit : « j’ai en face de moi quelqu’un qui prétend bien te connaître … Maurice Freund….» Et Thomas lui a dit : « Ah ben oui mec super etc. ». Et je suis resté avec Ratsiraka jusqu’à 3 heures du matin, avec l’ambassadeur à côté, il pouvait pas faire autrement. C’était en 85 – 86. Mais les 3 points forts. Celui de m’être fait engueulé en 81, quand il était secrétaire d’Etat à l’information en me disant « Vous avez pas été assez loin », alors que l’autre le colonel, Kambasséré- …

J’ai fait un grand silence sur le Burkina Faso. J’y ai pas mis les pieds pendant 17 ans. J’ai trop aimé.

Donc en 2002, j’ai recommencé les vols pour Ouagadougou. En 2003, sur la pression un peu de Philippe Sawadogo qui était ambassadeur en France. Je l’avais connu par le FESPACO parce que le point Mulhouse, Point Air, était le transporteur du FESPACO dans les années 83, 85. On était tout à fait impliqués dans cette histoire là. Il me dit : « Quand même, tu sais Blaise sait que tu es là tu devrais le voir etc. « « Je dis non je veux pas le voir… » J’ai gardé le contact avec Philippe, A Paris, je mangeais avec lui, une fois par an pour la plaisir. « J’ai dit OK j’accepte ». En fait je travaille pas pour Sankara ni pour Compaoré. Je suis resté presque une heure avec Blaise et sur l’heure que je suis resté avec lui, pendant une demie- heure il a tenté de me convaincre qu’il n’était pour rien dans l’assassinat de Thomas Sankara.

Propos recueillis par Bruno Jaffré en juillet 2010

LAISSER UN COMMENTAIRE

Saisissez votre commentaire svp!
SVP saisissez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.